C'est une décision qui tombe pile au bon moment. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient de prendre un arrêt estimant que « les États membres ne peuvent pas déroger aux interdictions expresses de mise sur le marché et d'utilisation de semences traitées à l'aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes », indique le communiqué de presse de la CJUE. Une décision qui intervient la veille d'une réunion du comité de surveillance français chargé de se pencher sur une nouvelle dérogation en faveur de la filière des betteraves, pour la prochaine campagne de semences. Une réunion que dénoncent plusieurs organisations, qui ont décidé de claquer la porte du comité de surveillance (LPO, Agir pour l'environnement, Confédération paysanne), estimant que cette dérogation n'était pas justifiée. Pour rappel, le ministère de l'Agriculture a mis en consultation, jusqu'au 24 janvier, un projet d'arrêté qui autorise, pour une durée de cent vingt jours, l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec un produit phytopharmaceutique contenant la substance active imidaclopride ou thiamethoxam.
Une interdiction au titre du principe de précaution
La CJUE rappelle dans sa décision que les mesures d'interdiction européennes sur les néonicotinoïdes, mises en place en 2018, ont été adoptées pour garantir un « niveau élevé de protection de la santé des animaux ». Or, les semences traitées par ces substances présentent des « risques aigus et chroniques élevés encourus par les abeilles ».
Onze États membres, dont la Belgique (dont la dérogation fait l'objet de l'arrêt, après saisine du Conseil d'État belge), mais aussi la France, ont mis en place des dérogations au titre du règlement de 2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytosanitaires. L'article 53 prévoit en effet que, « par dérogation (…) et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d'un usage limité et contrôlé, lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables ».
Et ce, malgré un avis contraire de l'Autorité européenne de sûreté des aliments (Efsa) qui estimait, en novembre 2021, ces dérogations justifiées puisqu'aucune méthode alternative n'existait, ou que les organismes nuisibles ciblés (pucerons) risquaient de développer des résistances aux traitements alternatifs.
Quel impact sur le projet d'arrêté français ?
« La Cour de justice européenne siffle la fin de la partie (…). La France doit retirer immédiatement son projet de nouvelle dérogation », réagit l'association Générations futures.
La décision de la CJUE a semble-t-il poussé le président du conseil de surveillance chargé de se pencher sur la nouvelle dérogation, à reporter au 26 janvier sa réunion initialement prévue ce vendredi 20 janvier. Le ministère de l'Agriculture, quant à lui, déclare vouloir « utiliser le délai permis par ce report pour expertiser les conséquences juridiques de cette décision en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s'ouvre.»
Si le gouvernement choisit, malgré cette décision, de publier un arrêté autorisant une nouvelle dérogation, nul doute que la bataille sera portée devant les tribunaux. La campagne de semences betteravières démarre en mars.