Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

Droit nucléaire : retour sur l'année 2023

L'année 2023 a confirmé que nous étions entrés dans une nouvelle ère de renaissance du nucléaire, pour reprendre le discours du Président de la République sur la politique de l'énergie tenu à Belfort le 10 février 2022.

DROIT  |  Synthèse  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°329
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°329
[ Acheter ce numéro - S'abonner à la revue - Mon espace abonné ]
   
Droit nucléaire : retour sur l'année 2023
Hervé Arbousset, Muriel Rambour, Thomas Schellenberger, Marie-Béatrice Lahorgue, Claire Portier-Jolibois, Marc Léger, Jean-Luc Fugit
Respectivement enseignants-chercheurs à l'université de Haute-Alsace, Cerdacc (pour les quatre premiers auteurs), maître de conférences en droit public, CRDAF, Université Savoie Mont-Blanc, président de la section française de l'AIDN/INLA et député du Rhô
   

I. Institutions-Acteurs

Sûreté nucléaire et radioprotection : vers une nouvelle organisation – Intervention de Jean-Luc Fugit

Dans le contexte du fort engagement de la France pour réaliser progressivement la transition écologique de son économie, rappelons qu'en février 2022, lors du discours de Belfort, le Président de la République a tracé les orientations du destin énergétique de la France : sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, garantir notre souveraineté et accélérer la transition énergétique pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.

Depuis ce discours, la politique énergétique française portée par la ministre Agnès Panier-Runacher a été précisée. Elle repose sur 4 piliers : sobriété, efficacité énergétique, énergies renouvelables et relance du nucléaire. Quatre piliers complémentaires, qui forment un tout ! Cette trajectoire étant fixée, le Parlement a adopté, en 2023, un texte de loi pour accélérer le développement des énergies renouvelables et un autre pour faciliter la relance du nucléaire.

À l'occasion du débat sur le projet de loi nucléaire, nous avons évoqué la question de la sûreté nucléaire, un sujet majeur car la question qui se pose est de savoir si l'organisation actuelle de notre système de sûreté nucléaire est suffisamment efficace et robuste pour garantir les meilleurs standards de sureté à l'aune des immenses défis à venir. C'est dans ce contexte que l'Opecst (1) a été saisi.

Le contrôle de la sûreté nucléaire en France a une longue histoire, mais les structures actuelles sont relativement récentes : l'IRSN (2) , Epic (3) placé sous l'autorité de plusieurs ministères, créée en 2002, et l'ASN (4) autorité indépendante du Gouvernement créée en 2006.

Rappelons le rôle de chacun. L'exploitant, aujourd'hui EDF, est responsable de la sûreté de ses installations. L'ASN définit la réglementation s'appliquant aux installations et accorde l'autorisation de les ouvrir ou de prolonger leur utilisation. Pour ce faire, elle s'appuie à la fois sur ses propres équipes d'expertise et sur les services d'expertise de l'IRSN, qui y consacre une partie de ses ressources.

Nous sommes aujourd'hui au seuil d'un bouleversement d'ampleur du paysage industriel nucléaire français, puisque, après de longues années de simple gestion du parc existant, de nouveaux et nombreux défis se dressent devant nous, tels que la poursuite de l'exploitation du parc existant, son adaptation aux impacts du changement climatique, mais aussi les réacteurs EPR2 et l'apparition de nombreuses innovations autour des petits réacteurs tels que les SMR.

Ces projets ne sont d'ailleurs pas seulement le fait d'EDF. Le tissu très actif des start-ups se révèle aussi particulièrement dense en ce domaine. Demain, la sphère de contrôle va donc se retrouver en face d'une multitude d'acteurs privés. On voit donc que l'ensemble de la filière nucléaire fait l'objet d'un changement d'échelle inédit.

Dans ces conditions, une optimisation de l'organe de contrôle du nucléaire civil semble nécessaire, comme le propose le rapport de l'Opecst (5) . Nous avons fait plusieurs propositions en faveur du rapprochement et d'une augmentation des moyens alloués à la sûreté nucléaire au sein d'une structure unique et indépendante comparable à celles qui existent dans les grands pays nucléaires occidentaux.

Pour donner corps aux propositions faites, nous avons formulé de nombreuses recommandations, dont les principales sont :

  • regrouper les moyens humains et financiers actuellement alloués au contrôle, à l'expertise et à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection, afin que ceux-ci relèvent à l'avenir d'une structure unique et indépendante ;
  • maintenir une publication distincte des rapports d'expertise sur lesquels s'appuient les décisions du collège de l'autorité indépendante issue de la réorganisation ;
  • rendre concomitante la publication des décisions de la future autorité indépendante avec la publication de l'ensemble des rapports d'expertise sur lesquels elle s'est appuyée pour rendre sa décision ;
  • renforcer les groupes permanents d'experts sur lesquels s'appuiera l'autorité indépendante ;
  • améliorer la gestion de crise, en engageant la mise en place d'un centre de crise unique au sein de la nouvelle entité indépendante ;
  • renforcer la recherche, en créant un département dédié à la recherche ;
  • améliorer la transparence et l'information du public, en cumulant les moyens de l'ASN et de l'IRSN affectés à ces missions ;
  • créer les conditions d'un dialogue approfondi avec les nouveaux opérateurs du nucléaire, en adaptant si nécessaire les procédures et en lien avec les autorités de sûreté étrangères, sans pour autant renoncer au plus haut niveau de sûreté qui devra s'appliquer à leurs installations.

Cette nouvelle organisation permettrait alors à l'ensemble des acteurs qui contribuent, directement ou indirectement, à assurer la sûreté nucléaire de la France, allant des exploitants, des contrôleurs, des experts de l'ASN et de l'IRSN et des chercheurs de l'IRSN, de gagner en fluidité, en partage d'informations et donc en efficacité au service du développement d'une industrie nucléaire devenue un acteur majeur de la défossilisation de notre économie.

II. Principes généraux

Le Conseil constitutionnel déclare le cadre législatif de Cigéo conforme à la Charte de l'environnement, et le Conseil d'État valide la DUP du projet

Cigéo est le projet français de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Porté par l'Andra (6) , il est censé être implanté à 500 mètres de profondeur entre la Meuse et la Haute-Marne. 85 000 m3 de déchets véhiculant 99,8 % de la radioactivité totale des déchets nucléaires français devraient être stockés dans 270 km de galeries, avec une emprise souterraine de 15 km2 (équivalant à 2000 terrains de football). Littéralement séculaire dans sa durée (autorisé en 2035 et fermé définitivement en 2150), il est aussi pharaonique dans son gabarit : 6 millions de m3 de béton (23 fois le viaduc de Millau) et 200 000 tonnes d'acier (31 fois la tour Eiffel) (7) . Son objectif est de confiner les déchets pendant un million d'années.

La décision du Conseil constitutionnel du 27 octobre 2023 validant certaines conditions de mise en œuvre du projet au regard de la Charte de l'environnement, et l'arrêt du Conseil d'État du 1er décembre 2023 (8) en approuvant la déclaration d'utilité publique (DUP), viennent de marquer d'une pierre blanche le démarrage de Cigéo. Le recours initial devant le Conseil d'État contre la DUP du projet avait donné lieu à une QPC (9) dont l'enjeu était de savoir si l'article L. 542-10-1 du code de l'environnement, fixant le cadre législatif de Cigéo, et en particulier les conditions de réversibilité du stockage, était conforme à la Charte de l'environnement.

Premièrement, le Conseil constitutionnel consacre implicitement le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain, en interprétant l'article 1er de la Charte de l'environnement « à la lumière » du 7ème alinéa de son préambule. Si le législateur adopte des mesures générant un risque d'atteinte « grave et durable » à l'environnement, il « doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».

Deuxièmement, si des limitations sont apportées par le législateur à la mise en œuvre de l'article 1er de la Charte, elles doivent être soit « liées à des exigences constitutionnelles », soit « justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

Troisièmement, le Conseil reconnaît que, en permettant ce grand projet de stockage, les dispositions législatives attaquées étaient susceptibles « de porter une atteinte grave et durable à l'environnement ». Néanmoins, les Sages vont, d'une part, considérer que cette limitation apportée à l'exercice de l'article 1er de la Charte poursuit des objectifs constitutionnels de protection de l'environnement et de la santé, dans la mesure où les déchets radioactifs seront confinés à long terme et que la charge de la gestion de ces déchets n'est pas reportée sur les seules générations futures. Les modalités législatives prévues n'étant pas « manifestement inappropriées », l'article L. 542-10-1 du code de l'environnement est conforme à la Charte de l'environnement. D'autre part, il est jugé que l'exigence légale de réversibilité du stockage ne compromet pas la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins, et que leur liberté de choix est préservée.

C'est à la lumière de cette QPC que le Conseil d'État a ensuite validé la DUP du projet Cigéo. Sur les points particuliers de l'appréciation de l'utilité publique et de la réversibilité du stockage souterrain, le juge administratif considère, d'une part, que l'intérêt public du projet découle de la volonté du législateur entérinée par le Conseil constitutionnel et que le coût du projet « ne présente pas un caractère excessif de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ». D'autre part, le Conseil d'État apprécie le contenu de l'étude d'impact du projet au regard des effets à long terme de celui-ci sur l'environnement et sur la santé, mais il ne contrôle pas directement les incidences du projet sur les générations futures, décidant de rejeter ce moyen « en tout état de cause ».

III. Activités nucléaires

ASN, avis n° 2023-AV-0420 sur les perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans

Dans la perspective de la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), l'ASN a rendu son avis sur la poursuite du fonctionnement des réacteurs d'EDF jusqu'à leurs 60 ans. Cet horizon étant trop lointain, l'exploitant a été invité à justifier cette hypothèse d'ici fin 2024. Plusieurs aspects méritent une analyse approfondie : la résistance de portions de tuyauteries du circuit primaire de plusieurs réacteurs, le fonctionnement des installations du cycle du combustible, le retour d'expérience du séisme du Teil en 2019 et les effets du changement climatique. L'ASN prendra position fin 2026.

L. n° 2023-491, 22 juin 2023 : JO 23 juin, relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes

La présente loi a pour objectif de faciliter le développement de l'énergie nucléaire, qui est l'un des trois axes fixés par le chef de l'État, lors du discours prononcé à Belfort en février 2022, pour sortir des énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone en 2050 (construction de six réacteurs EPR2 et possibilité de huit autres réacteurs).

La loi comporte quatre parties :

-  La planification énergétique

Le texte actualise la planification énergétique en supprimant l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2035, de même que le plafonnement de la capacité de production nucléaire à 63,2 gigawatts (GW). La loi invite le Gouvernement à réviser en conséquence la PPE.

-  Accélérer la construction des réacteurs EPR2

Pour accélérer les projets de création de réacteurs électronucléaires (EPR2 et SMR) et de certains projets d'entreposage de combustibles, les procédures sont temporairement simplifiées (pendant 20 ans). La loi permet ainsi :

  • de dispenser ces projets de permis de construire. La conformité aux règles d'urbanisme sera contrôlée par l'État dans le cadre de la demande d'autorisation environnementale ou d'autorisation de création du réacteur ;
  • de construire des nouveaux réacteurs nucléaires en bord de mer, s'ils sont installés à proximité ou dans le périmètre d'une centrale existante. ;
  • des mesures d'expropriation, avec prise de possession immédiate, pour les ouvrages annexes aux projets de réacteurs nucléaires reconnus d'utilité publique ;
  • d'exempter les réacteurs nucléaires du décompte de l'objectif "Zéro artificialisation nette" (ZAN) pour les collectivités locales.

En parallèle, les délais d'instruction des travaux pour les parties non-nucléaires (terrassement, clôtures ou parkings nécessaires au chantier...) sont réduits. Ces travaux pourront démarrer sans attendre le décret d'autorisation de création du réacteur.

Afin d'accélérer les procédures, la loi confère également une présomption de raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) à la réalisation de réacteurs nucléaires, sous certaines conditions de puissance et de type de technologie qui seront définies par décret.

-  Prolonger les installations nucléaires actuelles

La loi simplifie la procédure de réexamen périodique des réacteurs de plus de 35 ans et renforce la participation du public. Elle prévoit que, dans le cadre de ce réexamen, l'exploitant devra remettre un rapport quinquennal sur la sûreté nucléaire.

La loi remplace, par ailleurs, l'arrêt définitif automatique d'une installation nucléaire de base ayant cessé de fonctionner depuis plus de deux ans par une procédure faisant intervenir un décret de fermeture avec possibilité pour l'exploitant de faire part de ses observations.

-  La sûreté et la sécurité nucléaires

Les rapports de sûreté, élaborés lors de la délivrance de l'autorisation de création et des réexamens périodiques des installations nucléaires, devront tenir compte des conséquences du changement climatique et la cybersécurité devra être mieux intégrée dans la sécurité nucléaire.

IV. Démantèlement et sortie du nucléaire

Commission européenne, avis, 16 juin 2023 : JOUE C 218, 21 juin, concernant le projet modifié de rejet d'effluents radioactifs provenant du démantèlement de la centrale nucléaire de Brennilis dans le département du Finistère, en France

Près de quarante ans après sa mise à l'arrêt, la troisième et dernière phase de démantèlement de la centrale de Brennilis a été autorisée par un décret du 26 septembre 2023. Ce décret fait suite à un avis rendu par la Commission européenne, le 16 juin 2023, par lequel elle validait l'augmentation des limites de rejet d'effluents radioactifs autorisées résultant du démantèlement de ladite centrale.

Conformément à l'article 37 du traité Euratom (10) , les États membres sont, en effet, tenus de communiquer à la Commission européenne les « données générales de tout projet de rejet d'effluents radioactifs, sous n'importe quelle forme, permettant de déterminer si la mise en œuvre de ce projet est susceptible d'entraîner une contamination radioactive des eaux, du sol ou de l'espace aérien d'un autre État membre ». Ici, il s'agissait principalement d'assurer l'intégrité du territoire de l'Irlande, État membre le plus proche des côtes bretonnes depuis le Brexit.

Or pour la Commission européenne, et compte tenu des limites de doses fixées par la directive du Conseil du 5 décembre 2013 fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l'exposition aux rayonnements ionisants, le démantèlement de la centrale de Brennilis ne devrait pas — dans son fonctionnement normal — occasionner de rejets gazeux susceptibles de porter significativement atteinte à la santé de la population d'un autre État membre. Elle parvient à la même conclusion concernant la survenance d'un épisode accidentel conduisant à des rejets non concertés, qu'ils soient gazeux ou liquides. Bien que ces derniers ne soient pas autorisés dans le cadre du démantèlement de la centrale, l'hypothèse d'un relâchement accidentel ne devait effectivement pas être exclue.

V. Sécurité et sûreté nucléaires

IRSN, Baromètre 2023

Selon le Baromètre IRSN 2023 sur la perception des risques et de la sécurité, 54 % des Français soutiennent la prolongation de la durée d'exploitation des installations nucléaires. 50 % (+ 6 pts) se disent favorables à la construction de nouvelles centrales. La production de déchets nucléaires et la probabilité d'un accident sont les deux raisons mises en avant par les plus réticents à l'égard de la production d'énergie nucléaire. 84 % des répondants exigent le maintien d'un haut niveau de sûreté de la part des exploitants qui doivent protéger leurs sites de tous les risques.

ASN, état de la sûreté nucléaire en France en 2022

La sûreté des installations nucléaires s'est maintenue à un niveau satisfaisant, de même que la radioprotection en milieux industriel et médical et lors du transport de substances. De nombreux aléas (corrosion, canicules) ont cependant jalonné l'exploitation nucléaire civile. Les problématiques de souveraineté énergétique ayant émergé dans le sillage du conflit en Ukraine conduisent l'ASN à préconiser une approche globale de la part de la production nucléaire dans la PPE.

La mise en service de l'EPR de Flamanville reste conditionnée à la réalisation, dans des conditions satisfaisantes, d'une ultime campagne d'essais et aux dernières mises en conformité techniques. Les projets de développement de petits réacteurs modulaires à l'appui d'une production d'énergie décarbonée, en même temps qu'ils soulèvent des questionnements en termes de sûreté, ne doivent pas faire oublier la nécessité de disposer de filières industrielles de production et de gestion des déchets aujourd'hui inexistantes. Cette préoccupation est d'autant plus aiguë que l'ASN souligne la persistance des fragilités observées l'année précédente sur la chaîne de gestion des combustibles usés, et rappelle l'importance d'apporter une réponse à la saturation des capacités actuelles d'entreposage. C'est pourquoi l'ASN recommande de conserver des marges de sûreté suffisantes.

Refonte du dispositif réglementaire sur la sécurité nucléaire

Un arrêté du 28 février 2023 établit les dispositions organisant la sécurité des transports de matières nucléaires. Pour protéger ces substances des pertes et actes malveillants, le texte précise les modalités de leur transport : autorisation d'exercice de l'activité de transport, obligations de l'opérateur, prescriptions de circulation, maintenance, accompagnement des convois. La plupart de ces dispositions entreront en application le 1er janvier 2025.

Un second arrêté (11) rappelle les mesures de sécurité applicables aux activités d'élaboration, de détention, de transfert, d'utilisation, d'importation ou d'exportation de matières nucléaires soumises à autorisation (12) et aux opérations mettant en œuvre des matières nucléaires dans des quantités correspondant à la catégorie III (13) . Ces matières sont utilisées dans des installations civiles ou font l'objet d'importation et d'exportation hors d'un point d'importance vitale (PIV), désigné en application de la directive nationale de sécurité (DNS) régissant le secteur de l'énergie. Au 1er janvier 2025, l'opérateur adresse au ministre compétent une analyse de mise en conformité précisant les moyens mis en œuvre afin d'assurer la sécurité nucléaire. S'il est dans l'impossibilité d'appliquer les prescriptions définies dans l'arrêté, l'exploitant présente une demande d'aménagement expliquant les raisons du retard et le dispositif déployé jusqu'à la conformité complète.

Un arrêté du 13 avril 2023 fixe de nouvelles prescriptions de sécurité pour les activités d'élaboration, de détention, de transfert, d'utilisation, d'importation ou d'exportation de matières nucléaires, soumises à l'autorisation prévue par l'article R. 1333-4 du code de la défense et concernant les matières nucléaires de catégories I et II faisant l'objet d'importation et d'exportation ou présentes dans un PIV désigné au titre de la DNS du secteur de l'énergie. Ces dispositions concernent également les plateformes de transbordement soumises à autorisation. En revanche, elles ne s'appliquent pas aux matières nucléaires affectées aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de la politique de dissuasion. L'opérateur a jusqu'au 1er janvier 2025 pour adresser au ministre de tutelle une analyse de mise en conformité aux exigences de sécurité et, le cas échéant, pour soumettre une demande d'aménagement jusqu'à parvenir à satisfaire à l'ensemble des critères requis.

Huitième et neuvième réunions d'examen de la Convention sur la sûreté nucléaire de l'AIEA (14)

Du 20 au 31 mars 2023, se sont tenues à Vienne, au siège de l'AIEA, les huitième et neuvième réunions d'examen de la Convention sur la sûreté nucléaire, qui a rassemblé 81 parties contractantes. Ces réunions ont pour objet de procéder à un examen de la sûreté des centrales nucléaires dans chacun des pays parties à la Convention. Elles font partie d'un exercice triennal qui impose à chaque pays de rendre compte de ses engagements pris au titre de la Convention.

À cette occasion, l'ASN a présenté le rapport de la France portant sur les actions menées pour respecter ses engagements dans les domaines suivants : organisation de la sûreté, indépendance de l'autorité de sûreté, dispositions prises pour garantir la sûreté des réacteurs nucléaires de la conception à l'exploitation.

À l'issue des échanges, les autres pays concernés ont attribué deux bonnes pratiques à la France : l'examen préliminaire, par l'ASN et ses homologues finlandais et tchèque, des options de sûreté du projet de petit réacteur modulaire Nuward, ainsi que la consultation du public à l'occasion du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 Mégawatts électrique (MWe). Quatre « domaines de bonne performance » ont également été relevés : le réseau national de mesure de la radioactivité dans l'environnement, le plan anti-fraude, la récente mise à jour de la doctrine post-accidentelle, ainsi que les activités coordonnées par l'ASN, au titre de la présidence de Wenra, dans le contexte de la guerre en Ukraine. En outre, trois enjeux ont été identifiés pour la France : la mise en service du réacteur EPR de Flamanville, la position générique sur le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 1 300 MWe et l'instruction du projet EPR2.

VI. Matières nucléaires

CE, 9 août 2023, n° 462777 : les annonces présidentielles ne peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir

Des annonces du Président de la République lors d'un discours prononcé le 10 février 2022 intitulé « Reprendre en main notre destin énergétique ! » (« prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l'être sans rien céder sur la sûreté » et « lancer dès aujourd'hui un programme de nouveaux réacteurs nucléaires ») peuvent-elles faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et ainsi être éventuellement annulées par le Conseil d'État ?

Telle était la problématique à laquelle a dû répondre ce dernier, saisi par l'association Greenpeace France. Il a jugé, dans un arrêt du 9 août 2023, que « les annonces du Président de la République contestées par la présente requête ne révèlent pas l'existence d'un acte susceptible d'être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir ». Selon le Conseil d'État, « la mise en œuvre de ces intentions reste conditionnée à l'adoption de plusieurs mesures et au respect de procédures, que le Président de la République a au demeurant lui-même rappelées ». Dès lors, « seules les décisions à venir, prises conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables, seront susceptibles de faire l'objet de recours contentieux ».

Rappelons, en effet, que le recours pour excès de pouvoir exige que l'acte contesté fasse grief et modifie ainsi l'ordonnancement juridique en ajoutant ou en retirant quelque chose à la réglementation. D'évidence, ce n'était pas le cas ici, la création des installations nucléaires de base et la prolongation de leur durée de vie exigeant le respect de conditions posées par le code de l'environnement tant dans sa partie législative que réglementaire. Ainsi, la volonté politique, dans le cas d'espèce, parce qu'il existe des exceptions, ne créée pas en tant que tel une décision, seule de nature à être contestée par le biais d'un recours en illégalité.

VII. Déchets radioactifs

CE, 27 mars 2023, n° 463186 : validation de la « libération » de certains déchets radioactifs de très faible activité (TFA)

Le pouvoir réglementaire peut-il permettre, par dérogation, le recyclage de certains déchets radioactifs et leur réutilisation dans les filières industrielles ordinaires ? C'est la question de la « libération » des déchets nucléaires TFA que le Conseil d'État a dû trancher au regard de plusieurs principes directeurs du droit de l'environnement et de la radioprotection.

Les déchets radioactifs TFA représentent 30 % du volume total des déchets radioactifs français, mais moins de 0,0001 % de leur radioactivité. Pourtant, ils sont considérés comme ultimes et traités par stockage dans un site arrivant à saturation en 2025. C'est pour permettre le recyclage des déchets métalliques TFA qu'a été instauré un régime dérogatoire au sein du code de la santé publique, permettant à l'Administration d'autoriser au cas par cas la valorisation dans l'industrie conventionnelle de matières TFA issues de l'industrie nucléaire (15) .

Le recours de l'association « Réseau sortir du nucléaire » était principalement articulé autour des principes de justification, d'optimisation et de limitation et du principe de non-régression. Constatant « l'intérêt général qui s'attache au développement de la valorisation des substances métalliques très faiblement radioactives », le Conseil d'État reconnaît les avantages du recyclage de ces déchets et confirme que cette activité est bien justifiée. C'est pour en contrôler ensuite les inconvénients que le Conseil d'État examine les valeurs limites autorisées, les contrôles administratifs prévus et les conditions de traçabilité des matériaux recyclés, pour conclure que les risques liés à la gestion de ces déchets sont raisonnablement maîtrisés.

S'agissant du respect du principe de non-régression, les juges apportent, dans un premier temps, une précision notable sur son invocabilité : « il n'est (…) pas invocable lorsque le législateur a institué un régime protecteur de l'environnement et confié au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions de mise en œuvre de dérogations qu'il a lui-même prévues à ce régime ». En l'espèce, le Conseil d'État constate que la dérogation instituée pour recycler les déchets TFA est bien d'origine réglementaire, ce qui permet l'invocabilité du principe de non-régression. Sur le point de savoir si cette dérogation impliquait une régression de la protection de l'environnement, le Conseil d'État se fonde sur les niveaux de radioactivité en cause, qui sont très faibles, et sur les garanties administratives prévues, pour conclure à l'absence de risque d'atteinte grave à l'environnement, et au rejet des requêtes.

VIII. Relations internationales

Juillet 2023 : L'AIEA conclut que le plan du Japon de rejet en mer de l'eau traitée à Fukushima satisfait aux normes internationales de sûreté

Au début du mois de juillet 2023, l'AIEA a donné son feu vert au plan de rejet des eaux contaminées de la centrale de Fukushima dans l'océan Pacifique. C'est en avril 2021 que le Japon avait sollicité l'approbation de l'organisation, la chargeant alors d'établir la conformité du projet aux normes de sûreté internationales. Bien que la décision de l'AIEA constitue ainsi le résultat des travaux menés, sur près de deux ans, par une équipe de spécialistes, assistés par des experts internationalement reconnus, l'opération de rejets dans l'océan apparaît relativement controversée.

Cette solution, présentée comme étant économiquement la plus raisonnable, n'a effectivement pas emporté la conviction de certains États, particulièrement de la Chine et la Corée du Sud. Dénonçant l'impact de ces rejets sur le milieu marin et la santé humaine, ces dernières ont notamment reproché à l'État nippon de ne pas avoir persévéré dans la recherche de solutions alternatives.

Notons toutefois que les rejets opérés par le Japon sont principalement des rejets de tritium. Or le risque radiologique associé au tritium demeure relativement faible, quand, parallèlement, les limites de concentration établies pour l'évacuation de eaux de la centrale de Fukushima devraient conduire à exposer les individus à des doses situées bien en deçà de celles ayant permis de déterminer les limites fixées par l'Union européenne et l'Organisation mondiale de la santé concernant les eaux destinées à la consommation humaine. Est-ce à dire que l'opération ne présente aucun risque ? Cela n'est pas certain. En effet, alors que la communauté scientifique s'accorde généralement à considérer le manque d'information sur le tritium, il ne faut pas sous-estimer le caractère extrêmement mobile de ce radioisotope qui est susceptible d'intégrer les milieux liquide et organique. Aussi, la réponse dépendra de la capacité du milieu marin à tolérer cette nouvelle source de pollution, qui a commencé le mardi 23 août et qui devrait se dérouler, sous le contrôle de l'AIEA, jusqu'en 2050.

IX. Risques et indemnisation des victimes

Rapport du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen)

Le Civen a publié, le 10 juillet 2023, son neuvième rapport d'activité (depuis 2014) pour l'année civile 2022. Les 328 demandes présentées (chiffre le plus haut depuis celui de 2010 qui était de 406) ont abouti à 168 décisions de reconnaissance de la qualité de victimes des essais nucléaires français (soit 53 % de décisions en faveur des demandeurs) et 152 décisions de rejet (soit au total 320 décisions rendues). Suite à une décision du Conseil constitutionnel de 2021 (16) , le Civen a validé l'indemnisation de 54 dossiers. 14 887 033 € ont été versés aux victimes ou à leurs ayants-droit. En ce qui concerne l'origine géographique, les demandes proviennent de la Polynésie française (239 soit 73 %), de France métropolitaine (80 soit 24 %) et, pour une toute petite part, d'Algérie (9 soit 3 %).

Pour ce qui est de l'origine professionnelle, les demandes de militaires venant de métropole sont les plus nombreuses (71 sur 81 demandes), les demandes présentées par des civils ayant travaillé sur les sites et par la population l'ont été principalement par des Polynésiens (respectivement 48 sur 53 demandes et 181 sur 194 saisines). La part des demandeurs algériens est ainsi très faible (seulement 9 demandes parmi la population). « La part des demandeurs (militaires et civils) ayant travaillé dans un centre des essais nucléaires (en Algérie ou en Polynésie française) s'établit à 41 % des dossiers enregistrés ».

Relativement aux maladies reconnues, il s'agit majoritairement du cancer du poumon chez les hommes (35 sur un total de 44), et du cancer du sein chez les femmes (75 sur 76), alors que le total des pathologies est plus important chez les hommes (163) que chez les femmes (137).

Le nombre de contestations contentieuses pour 2022 était de 55 (sur 60), portant sur la décision de rejet de la demande, cinq ayant trait au montant de l'indemnisation proposée. « On constate (…) que la majorité des demandes d'indemnisation acceptées par le Civen depuis sa création l'a été depuis 2018, soit à compter de l'application du critère du 1mSv » au-dessous duquel la présomption de causalité est renversée.

1. Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques2. Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire3. Établissement public à caractère industriel et commercial4. Autorité de sûreté nucléaire5. Fugit J.-L., député, et Piednoir S., sénateur, Les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, Opecst, 20236. Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs7. V. sites internet de l'Andra et du projet Cigéo8. CE, 1er déc. 2023, n° 467331 : Lebon T.9. Question prioritaire de constitutionnalité10. Traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique

11. A., 28 févr. 2023, NOR : ENEK2233716A : JO 25 mars12. C. défense, art. R. 1333-413. C. défense, art. R. 1333-70

14. Agence internationale de l'énergie atomique15. D. n° 2022-174, 14 févr. 2022 : JO 15 févr., relatif à la mise en œuvre d'opérations de valorisation de substances faiblement radioactives ; D. n° 2022-175, 14 févr. 2022 : JO 15 févr., relatif aux substances radioactives éligibles aux opérations de valorisation mentionnées à l'article R. 1333-6-1 du code de la santé publique16. Cons. const., 10 déc. 2021, n° 2021-955 QPC

RéactionsAucune réaction à cet article

Réagissez ou posez une question

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager