Les lourdeurs prêtées à l'enquête publique sont dans le collimateur du gouvernement attaché à accélérer le développement économique du pays. Plusieurs épisodes sont venus en témoigner ces derniers mois : réduction du périmètre des projets soumis à évaluation environnementale, et donc à enquête publique, lancement d'une expérimentation de remplacement de l'enquête publique par une simple consultation du public, radiation d'un commissaire enquêteur jugé trop zélé en la personne de Gabriel Ullmann.
C'est précisément sur cette dernière affaire, qui a fait monter le débat national sur le bon fonctionnement des enquêtes publiques et la réelle indépendance des commissaires enquêteurs, que le Tribunal administratif de Lyon vient de se prononcer. Ce dernier rejette la requête de la société Isère Aménagement qui contestait l'indemnité allouée à M. Ullmann en sa qualité de commissaire enquêteur lors de l'enquête publique du projet d'aménagement de la zone industrialo-portuaire de Salaise-sur-Sanne et Sablons (Isère), dénommée "Inspira".
D'une part, ce jugement éclaircit l'avenir professionnel de ce commissaire enquêteur radié suite à l'avis négatif que la commission d'enquête qu'il présidait avait rendu sur le projet, et qui a engagé depuis plusieurs procédures pour contester cette radiation. Mais, de manière plus large, il vient rappeler les fondamentaux de la procédure d'enquête publique et préciser les prérogatives attachées à la fonction de commissaire enquêteur. Un jugement d'autant plus important que l'aménageur à l'origine de la procédure, dont le représentant siégeait à la commission de radiation, a décidé de ne pas faire appel, le rendant ainsi définitif.
Se prononcer sur la faisabilité d'un projet
Selon le Commissariat général au développement durable (CGDD), l'opportunité d'un projet doit être discutée lors de la phase de concertation préalable, consacrée par la réforme de 2016, alors "qu'au stade de l'enquête publique, le projet est à un stade plus avancé qui traite de sa mise en œuvre". Si le Tribunal de Lyon ne remet pas en cause cette complémentarité, il précise qu'une commission d'enquête, ou un commissaire enquêteur, peut en revanche se prononcer sur la faisabilité d'un projet. "Compte tenu des enjeux du projet Inspira, la commission d'enquête pouvait se prononcer sur sa faisabilité, ses inconvénients et ses risques", juge ainsi le Tribunal. Il valide donc la mission telle que l'avait définie la commission qui avait distingué la faisabilité du projet "qui relève de son domaine d'intervention au titre de l'utilité publique du projet" et sa fonctionnalité "pour chacune des sept procédures concernées par l'enquête publique".
Les juges lyonnais ont également estimé que la commission pouvait procéder à une analyse de la dispense d'évaluation environnementale décidée par la mission régionale d'évaluation environnementale (MRAe). "De même pouvait-elle, avant l'ouverture de l'enquête publique, entendre toute personne dont l'audition lui apparaissait utile afin d'informer le public et d'émettre un avis circonstancié, en toute connaissance de cause", indique le jugement. "Ce point est important, commente Gabriel Ullmann, car beaucoup de commissaires enquêteurs n'osent pas organiser de réunions avant l'ouverture formelle de l'enquête".
Le Tribunal rejette par conséquent le moyen d'Isère Aménagement qui estimait qu'un certain nombre d'heures de vacations facturées correspondaient à des prestations superflues liées à des réunions inutiles avant l'ouverture de l'enquête publique et à une analyse de la faisabilité du projet sous tous ses aspects, y compris la décision de dispense d'évaluation de la MRAe.
Du baume au cœur des commissaires ostracisés
Mais ce jugement apporte aussi plusieurs précisions jurisprudentielles. En premier lieu, sur la nature de l'ordonnance par laquelle le président d'un Tribunal administratif fixe le montant de l'indemnité due à un commissaire enquêteur. Cette ordonnance, de même que la décision du Tribunal prise sur le recours administratif préalable obligatoire, revêtent un caractère administratif. "Le recours dont elles peuvent faire l'objet (…) est un recours de plein contentieux par lequel le juge détermine les droits à rémunération du commissaire enquêteur", juge le Tribunal de Lyon.
En second lieu, le jugement précise qu'en cas d'enquête publique unique, comme ce fut le cas pour le projet Inspira, le taux plein de rémunération des vacations, fixé à 38,10 euros, s'applique à l'ensemble des vacations. Le taux réduit (de moitié) ne trouve à s'appliquer que lorsque plusieurs enquêtes publiques sont organisées conjointement.
De quoi remettre du baume au cœur des commissaires enquêteurs qui ont pu être jugés trop indépendants et ostracisés pour cela : le 17 mai dernier, le président de la compagnie des commissaires enquêteurs d'Auvergne refusait à sa table une commissaire enquêteur qui avait contesté son éviction. Une éviction sans doute liée, comme dans le cas de M. Ullmann, à un nombre trop important d'avis défavorables.