Quelles seront les conséquences de la dernière version du « socle commun pour les matières fertilisantes et supports de culture » pour la gestion des boues de stations d'épuration ? La question reste sensible pour certaines collectivités. Les nouveaux seuils et critères de qualité fixés aux matières fertilisantes par les projets de textes pourraient en effet compliquer leur retour au sol.
Mis en consultation par le ministère de l'Agriculture en novembre dernier, ce socle commun est en préparation depuis plusieurs années. Des jalons - comme le volet agricole de la Feuille de route économie circulaire (Frec) ou le rapport d'Alain Marois en 2019 – avaient donné de premières sueurs froides aux acteurs de la filière eau sur les orientations que pourraient prendre ce cadre. En janvier 2020, la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) avait engagé la révision des référentiels réglementaires sur l'innocuité environnementale et sanitaire applicables aux boues d'épuration en vue de leur usage au sol.
La première version du texte, présentée en novembre 2020 aux parties prenantes, n'avait pas suscité de consensus. Les discussions ont ensuite repris en avril dernier, avec toutefois seulement une partie des acteurs. « Il était question d'une concertation, d'une coconstruction, mais durant ces deux dernières années, nous n'avons eu aucun contact, aucune information de la part du ministère de l'Agriculture, regrette Franco Novelli, expert technique cycle de l'eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Nous comprenons bien que les boues d'épuration ne sont qu'une partie mineure de l'ensemble des matières fertilisantes. Mais l'importance des stations de traitement et le flux continue de ses matières demandent quand même une prise en considération des impacts. »
Un constat d'absence de dialogue que partage l'association Amorce, qui déplore également que l'ensemble des matières fertilisantes ne soient pas toutes logées à la même enseigne. « Il ne s'agit ni d'un socle commun ni d'un socle équitable, réagit Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. Les valeurs limites ont été fixées dans des conditions qui sont tout à fait discutables et certaines catégories en sont exonérées. »
Une nouvelle catégorie B1 contestée
Parmi les points qui irritent les associations de collectivités figure la création, par rapport à la version de travail du décret, d'une nouvelle catégorie de matières fertilisantes, la B1, qui échappe à certaines contraintes, contrairement aux boues. Elle regroupe quatre types de matières liées aux effluents d'élevage (1) , seules ou en mélanges, pour un usage professionnel dans le cadre d'un plan d'épandage. « Les apports maximaux en termes de flux sur les hectares de parcelles agricoles admissibles en contaminants ne concernent que les matières de catégorie A1, A2 et B2. Il n'y a pas de seuil en termes d'apport pour la catégorie B1 », remarque Franco Novelli.
Manque de cohérence réglementaire
Un autre regret est l'absence de lien avec la réglementation actuelle qui encadre l'épandage des boues. « Des dispositions viennent se superposer à celles de l'arrêté du 8 janvier 1998, d'autres s'insèrent en parallèle, certaines comme la manière de transporter, de stocker, d'hygiéniser ne figurent pas dans la nouvelle réglementation… Sont-elles ou non conservées ? interroge Franco Novelli. Ce n'est pas clair : une concertation aurait permis de travailler sur les interactions entre les deux textes. »
Par rapport à la version de travail, certaines dispositions ont toutefois été assouplies : les exigences relatives aux critères écotoxicologiques sont en suspens en attendant des précisions sur les modalités d'analyse.
Le cadmium, un élément à problème
Des évolutions sont également à noter concernant l'élément trace métallique cadmium. « Nous ne pouvons pas nier que des progrès existent dans cette nouvelle version, note Franco Novelli. Les seuils fixés pour le cadmium sont devenus raisonnables pour une période de trente-six mois, mais ensuite les niveaux fixés seront très bas. Ce serait contre-productif que nous soyons obligés dans des délais très contraints de trouver des solutions d'incinération pour les boues d'épuration. » La FNCCR plaide pour davantage de dialogue et une certaine tolérance pour que l'ensemble des collectivités répondent à ces nouvelles normes en conservant le retour au sol. « La réduction du cadmium est engagée depuis des années : l'essor des installations de traitement industriel ont permis de réduire et de contrôler petit à petit les contaminants, souligne Franco Novelli. Plus la teneur est faible, plus la réduction est difficile, ce serait dommage que nous ayons à exclure des boues dans les territoires. »
L'association Amorce, quant à elle, remet en cause la méthode pour établir les seuils et les niveaux en eux-mêmes, notamment à propos du cadmium. « Il n'y a pas eu d'étude d'analyse de risques sanitaires, oppose Baptiste Julien, responsable du pôle eau d'Amorce. Nous avons mandaté l'Ineris pour le faire. Pour le cadmium, en restant sur les valeurs de l'arrêté de 1998 de 10 mg/kg de matière sèche, il n'y a pas d'atteinte sanitaire. Nous ne comprenons pas comment se justifie la baisse. » D'une manière plus large, l'association souhaiterait que les quantités acceptables pour le sol soient arrêtées en fonction des caractéristiques de chaque élément de l'équation. « Il faudrait que le premier socle commun soit celui de la connaissance des impacts, estime Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. La quantité de substances potentiellement polluantes que le sol peut accepter sans prendre de risque en termes écotoxicologiques et sanitaires devrait être fixée par typologie de sol (argileux, karstique, etc.), de cultures (carottes, pommes ou maïs, etc.) et de l'amendement. »
Recherche de surfaces d'épandage supplémentaires
Quant aux apports annuels de contaminants admis dans les parcelles concernées par l'épandage, les deux associations estiment que les niveaux fixés constituent un obstacle de taille. Notamment pour le cadmium et le cuivre. Avec, en réponse, une nécessaire recherche de nouvelles surfaces d'épandage disponibles afin de réduire ces apports annuels moyens. « Le flux du cuivre, qui était à 10 000, est passé à 1 000 grammes par hectare, souligne Baptiste Julien, d'Amorce. Cette division par 10 n'a pas été justifiée. Dans le même temps, l'Europe préconise 4 000 g/ha. » Pour surveiller les teneurs dans les sols, Amorce appelle de ses vœux la création d'un observatoire. « Cet organisme serait indépendant du producteur d'amendement et de l'utilisateur et aurait une démarche d'observation et des objectifs de qualité des sols dont la capacité d'absorption du dioxyde de carbone, explique le responsable du pôle eau d'Amorce. Les projets de textes ne responsabilisent que le producteur d'amendement organique. »
Par ailleurs, les associations de collectivités attendent des précisions sur les protocoles d'échantillonnage et d'analyse, notamment des microplastiques. « Deux nouveaux critères ont été introduits : les inertes et la dioxine, avec pour le premier, une absence de méthodologie, et pour la seconde, des coûts très conséquents, note Baptiste Julien. Nous commençons à avoir des retours de collectivités qui s'inquiètent tant pour les biodéchets que pour les boues d'épuration. » En effet, certaines grosses collectivités ont commencé à suivre les teneurs en dioxine et alertent sur les difficultés à respecter les seuils prévus. Confrontées à un manque de nouvelles surfaces d'épandage, elles n'auraient pas d'autres choix que de se tourner vers l'incinération.