La suspension des forages en Guyane annoncée le 14 juin 2012 par les ministres de l'Ecologie, Nicole Bricq, et du Redressement productif, Arnaud Montebourg, toucherait déjà à sa fin. Pourtant, les ministres en charge des questions énergétiques qualifiaient alors d'"indispensable" la réforme du code minier et annonçaient que "d'ici là il sera procédé à une remise à plat des permis concernés". Aujourd'hui, l'AFP rapporte que les forages exploratoires en Guyane vont pouvoir reprendre a priori lundi 25 juin, selon des parlementaires guyanais interrogés mercredi soir à l'issue d'une rencontre avec le ministre des Outre-mer, Victorin Lurel.
La suspension avait "surpris" le groupe pétrolier Shell, co-détenteur du permis maritime guyanais avec Total et Tullow Oil, "[marquait] une victoire d'étape vers une nouvelle loi visant à annuler définitivement les permis" de gaz et pétrole de schistes ou offshore, selon Greenpeace, et avait inquiété certains élus de Guyane qui craignaient une remise en cause du permis et des éventuelles retombées économiques associées.
Le préfet de Guyane aurait reçu l'autorisation de signer les arrêtés préfectoraux permettant la nouvelle campagne d'exploration ont indiqué à l'agence de presse le sénateur Georges Patient (PS) et la députée Chantal Berthelot (PRG). Les textes auraient été signés mercredi et les forages pourraient reprendre effectivement dès lundi, ont-ils précisé. Selon Robin des Bois, il s'agit des arrêtés préfectoraux sur les dispositions préalables aux travaux et la prévention des pollutions marines. Quant au bateau de forage affrété par Shell, il est attendu mardi en Guyane.
Tactique et partage des revenus
Comme le laissait entendre le communiqué des ministres, un accord sur un partage des éventuels revenus pétroliers plus favorable à l'Etat et aux collectivités locales ouvre la voie à la reprise des travaux. "Des avancées ont pu être obtenues tant en termes de garanties environnementales qu'en termes de garanties économiques", a indiqué George Patient, précisant que "très probablement les retombées financières pour les collectivités et pour l'Etat seront revues à la hausse, par rapport à ce qui était avancé jusque là par Shell".
Le partage des revenus pétroliers pourrait aussi intervenir via des créations d'emplois en Guyane. Les parlementaires ont indiqué que des discussions vont avoir lieu pour définir les besoins en formation et les métiers que pourraient générer la plate-forme s'il y a exploitation. Chantal Berthelot a ainsi rappelé que le taux de chômage atteint 20% et que le problème touche surtout les jeunes.
Le sénateur, explique par ailleurs qu'"il y a un peu de tactique et de stratégie dans cette façon de faire du gouvernement, d'autant qu'au ministère de l'Ecologie ils n'avaient rien trouvé dans les dossiers pour travailler correctement". Concrètement, "cette petite mise à plat a permis de faire comprendre qu'une autre logique était à l'œuvre avec ce nouveau gouvernement : si le précédent privilégiait l'exploitation par le privé quitte à réguler, là ce gouvernement sera plus vigilant sur l'intérêt général et les retombées pour la population", a-t-il précisé.
Un point confirmé par Chantal Berthelot qui considère que "ce petit couac du départ permet de ramener les choses vers une gouvernance différente et qui prend bien en compte les trois acteurs : l'Etat, l'opérateur et les élus".
Shell n'a pour le moment pas communiqué suite à ces dernières annonces.
Etude d'impact minimale
De leur côté, les associations environnementales préparent leur réponse. "Nous allons attendre de savoir ce qu'il y a dans les arrêtés signés mercredi", indique Christian Roudgé, coordinateur de Guyane nature environnement (GNE), précisant que l'association "sait qu'il y des faiblesses dans le dossier de Shell et des éléments qui vont à l'encontre du code de l'Environnement, notamment sur les rejets d'hydrocarbure en mer [et] en fonction de ce que diront les arrêtés, on les attaquera au contentieux".
En l'occurrence, l'association Robin des Bois, qui a eu accès à l'étude d'impact réalisée par le cabinet Creocean, indique qu'elle "aborde exclusivement le fonctionnement normal des forages" et n'envisage pas les situations dégradées ou accidentelles "fréquentes dans le cadre des forages ultra-profonds" et à l'origine de "marées noires difficiles à maîtriser".
En matière de risque de marée noire, l'association avance qu'"on ne peut pas compter sur le plan Polmar-Guyane pour défendre les eaux et le littoral guyanais puisque sa seule inquiétude vient des pétroliers qui passent au large et [qu']il ne connaît pas les marées noires venues de l'exploration ou de l'exploitation du pétrole". Quant à Shell, il "n'a pas prouvé sa capacité à stopper rapidement et à confiner une marée noire accidentelle".
Trois phases, trois types de rejets
Par ailleurs, "quoique minimale, l'étude de Shell / Creocean démontre que même si tout se passe bien, ça se passera mal pour un environnement marin fragile, productif et peu pollué". Robin des Bois dénonce en particulier le forage lors de la première phase qui "dispersera autour de la tête de puits 200 tonnes de déblais et [créera une] auréole de contamination (…) visible jusqu'à 500 m". L'association pointe ici les risques associés au baryum mélangé aux fluides de forage.
Quant à la deuxième phase du forage, "les déblais et fluides usagés seront rejetés depuis le navire par « lâchers successifs »", indique l'ONG ajoutant que "la somme des contaminants rejetés en mer est évaluée à 345 kg de baryum, 174 kg de pétrole, 13 kg de plomb [et] 678 kg" de mercure. La répartition de ces rejets sur les fonds marin devrait impacter 10.000 km2.
Enfin, à l'issue de la deuxième phase, il est prévu de faire des essais de pompage des hydrocarbures liquides et gazeux, rapporte l'ONG qui précise que "les eaux de production seront rejetées en mer après traitement sur le navire de forage". L'étude d'impact "ne précise pas les quantités rejetées ni les teneurs résiduelles en hydrocarbures" et ces essais "émettront en CO2 l'équivalent journalier de 265.000 voitures, soit 2.300 t à quoi s'ajoutent les autres polluants atmosphériques rejetés par la torchère du navire de forage – soufre, métaux lourds, hydrocarbures – [qui] ne sont pas quantifiés".