Alors que la nouvelle année approche à grands pas, la tension est palpable sur le réseau électrique français. Le gestionnaire du réseau, RTE, a rehaussé son niveau de vigilance au maximum dans la réactualisation, présentée ce jeudi 30 décembre, des perspectives de sécurité d'approvisionnement en janvier 2022. « Nous sommes préparés à exploiter le système électrique en situation dégradée », affirme Jean-Paul Roubin, directeur exécutif en charge de l'exploitation de RTE. Autrement dit, le gestionnaire du réseau pourrait avoir recours à des interruptions temporaires d'activité des grands consommateurs industriels, voire des « délestages » (coupures de deux heures maximum) chez des particuliers si l'hiver se termine par une vague de froid de plusieurs jours et si une production éolienne insuffisante pousse à des imports significatifs au niveau européen. Cette éventualité dépend de plusieurs facteurs à l'œuvre en la fin de ce mois de décembre.
Dix-sept réacteurs à l'arrêt sur 56
« Nous faisons face à deux crises différentes mais imbriquées », atteste Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé du pôle stratégie et prospective chez RTE. La première concerne la disponibilité du parc nucléaire français : au 17 décembre, 17 des 56 réacteurs du territoire étaient à l'arrêt. « Il s'agit du plus bas niveau jamais atteint pour le parc nucléaire à cette période de l'année ». La plupart de ces arrêts s'expliquent par le planning, dit « de grand carénage », des visites décennales de contrôle particulièrement dense cette année et dans les années à venir. Cette « sur-densification » résulte également des reports des activités de maintenance provoqués par les restrictions sanitaires l'an dernier. À cela s'ajoute l'arrêt inopiné de quatre réacteurs supplémentaires, parmi les plus récents et les plus puissants du parc.
Lors d'une opération de maintenance d'un des deux réacteurs de la centrale de Civaux (Vienne), EDF a relevé une défaillance des soudures dans le circuit d'injection de secours. Le 15 décembre, elle a alors annoncé prolonger cette maintenance et mettre à l'arrêt le second réacteur du site, ainsi que les deux réacteurs similaires de la centrale de Chooz (Ardennes). Ces quatre réacteurs totalisent une puissance de 6 gigawatts (GW). L'arrêt imprévu de trois d'entre eux représente donc une perte immédiate de disponibilité électrique de 4,5 GW. Au 30 décembre, le gestionnaire du réseau estimait le niveau de disponibilité à 45 GW. Il rappelle néanmoins que certains réacteurs actuellement à l'arrêt devraient reprendre du service au début du mois de janvier. Ainsi, d'ici une dizaine de jours, la disponibilité totale du parc devrait avoisiner les 50 GW, contre une capacité totale de 61,4 GW. Huit à douze réacteurs devraient être encore à l'arrêt au cours du mois de janvier, et jusqu'à treize en février.Recours au charbon et à l'import
Fort de ce constat, le réseau électrique doit se replier sur les quelques centrales à charbon encore en activité sur le territoire. Ces dernières sont réparties sur deux sites : Saint-Avold (Moselle), dont l'arrêt est prévu au printemps 2022, et Cordemais (Loire-Atlantique), encore disponible jusqu'en 2024. RTE affirme qu'elles sont fortement sollicitées depuis le début de l'hiver, pour compenser les manques du parc nucléaire, et atteindront très certainement leur durée maximale de production afin de ne pas surpasser leur plafond d'émissions de gaz à effet de serre (à savoir 700 heures par an, soit environ un mois). « C'est un point à souligner, indique Thomas Veyrenc. À cadre juridique inchangé, elles ne seront plus disponibles en fin d'hiver, si nous devons faire face à une vague de froid tardive. » Un projet de dérogation par décret, en consultation publique jusqu'au 20 janvier 2022, prévoit justement de rehausser ce plafond à 1 000 heures de fonctionnement jusqu'à la fin du mois de février 2022. Par ailleurs, du côté des centrales au gaz, celle de Landivisiau en Bretagne ne sera pas non plus prête pour y faire face. Sa mise en service est prévue pour le 15 février 2022, « après la période la plus sensible pour la sécurité d'alimentation ».
Un hiver doux bienvenu
Malgré la pression qui pèse sur le réseau électrique cet hiver, RTE ne qualifie pas la situation de catastrophique. D'une part, l'augmentation du prix de l'électricité ne devrait pas conduire à diminuer les prévisions de novembre dernier sur la consommation. Cette dernière « restera 1 % à 2 % inférieure au niveau d'avant crise sanitaire, indique le directeur stratégie et prospective. À date, on ne voit pas d'effet de modulation de consommation d'électricité de la part des consommateurs, face à la hausse des prix. » Cette analyse reste vraie même confrontée aux nouvelles mesures sanitaires prises pour combattre la cinquième vague pandémique de Covid-19 (et plus particulièrement, du variant Omicron). Pour rappel, le gouvernement rendra le télétravail temporairement obligatoire, au moins trois jours par semaine, à partir du 3 janvier 2022. « L'organisation massive du télétravail ne modifie pas nos prévisions de consommation comme les confinements de l'année 2020 ont pu le faire », rassure Thomas Veyrenc.
D'autre part, les températures plutôt très douces de cette fin de mois de décembre ne présagent pas d'une vague de froid tardive, que RTE pourrait redouter. Les prévisions météorologiques jusqu'au 13 janvier 2022 se situent autour de 5° C au-dessus des normales de saisons. « Même si la température redescend la semaine suivante, elle restera aux alentours des normales et ne présentera donc pas de risque de dégradation de la situation », énonce le directeur de l'exploitation de RTE, Jean-Paul Roubin. Quant aux estimations pour le mois de février, RTE présentera ses données et ses conclusions à la fin du mois de janvier, comme le prévoit son nouveau dispositif prévisionnel.