" Il y a des besoins considérables dans le secteur de l'eau. Le savoir-faire français est reconnu mais il faudra être plus agressif face à nos concurrents pour le valoriser", a estimé Jean-François Donzier, directeur général de l'Office international de l'eau (Oieau), lors du colloque "Les enjeux de l'eau et le changement climatique", organisé par l'Union nationale des industries et entreprises de l'eau et de l'environnement (UIE), mercredi 1er avril.
Si l'école française de l'eau conserve sa réputation, elle est confrontée au dynamisme de ses homologues notamment américains, allemands, italiens, canadiens ou chinois. "Nous sommes sur des schémas trop classiques. Pour prendre des parts de marché aujourd'hui, nous devons nous tourner vers des propositions plus originales", assure Patrick-Yann Dartout, délégué international de la fédération des professionnels de l'ingénierie, Syntec-ingénierie et conseiller du commerce extérieur de la France depuis 2004.
Pour lui, deux axes sont à privilégier : faire travailler les entreprises et l'ingénierie ensemble mais également s'orienter vers la gestion de crise. "La France a une force d'intervention sur les crises, par exemple comme les tsunamis, rappelle Patrick-Yann Dartout. C'est un creuset pour des interventions partagées entre les entreprises et l'ingénierie". Et de préciser que 50% des activités de la vingtaine d'entreprises du secteur de l'eau de Syntec-ingénierie sont désormais à l'international.
"L'international peut devenir une source de développement car le marché français est déclinant, toutefois les grands projets à l'étranger comme le dessalement se sont également calmés, du fait de la crise ", constate Didier Le Tallec, directeur de la business unit grands projets municipaux d'OTV, filiale du groupe Veolia. Selon ce dernier, les entreprises françaises se mesurent à deux types de concurrences lors des appels d'offres : celle axée sur de la haute technologique, où elles ont une carte à jouer et celle, plus féroce, qui propose des solutions rustiques. "Nous sommes obligés de faire appel à de l'ingénierie locale pour pouvoir nous développer", précise-t-il.
Une porte d'entrée par la ville durable
"La force est décuplée quand le public et le privé y vont ensemble, estime Pascal Confavreux, directeur du pôle des secteurs prioritaires à l'export au Quai d'Orsay. Nous n'avons pas de stratégie eau mais une stratégie ville durable". Ainsi, au Mexique a été développé un quartier vitrine des solutions adaptables à différents besoins. Des approches comme celle de Vivapolis, "vecteur du développement international des entreprises françaises de l'urbain" constitue pour les industriels de l'eau une porte d'entrée plus facile. "La réduction du stress hydrique est l'un des moyens de promouvoir nos technologies", a également pointé Pascal Confavreux. Toutefois, des solutions utilisées dans certains pays du Sud restent encore très peu exploitées en France. "Concernant la réutilisation des eaux usées épurées (Reuse), c'est probablement les Israéliens, en pointe sur le sujet, qui nous apporteront des solutions pour la France", note Patrick-Yann Dartout.
La position française pourrait cependant évoluer. "La Reuse n'a pas été développée en France car jusqu'à présent, nous n'avions pas de problème concernant l'eau. Désormais, elle devient une option pour demain, a noté Virginie Dumoulin-Wieczorkiewicz, sous-directrice de l'action territoriale et de la législation de l'eau et des matières premières à la direction de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Ecologie. Mais nous devons trouver un équilibre par rapport au principe de précaution : nous préparons un appel à manifestation d'intérêt dans lequel, figureront les réseaux intelligents et où la Reuse pourra faire partie des solutions proposées".
Quelques expérimentations ont toutefois vu le jour en France, d'arrosage de golfs et d'irrigation de cultures. "L'expérience d'une vingtaine d'année de la réutilisation des eaux usées épurées pour des champs de maïs par l'association Limagne montre qu'il n'y a pas de problème sanitaire, pointe Eric Frétillère, administrateur d'Irrigants de France et secrétaire général de l'association Agriculteurs français et développement international. Pourtant si nous devons appliquer l'arrêté de juillet 2014, nous devrons réduire la taille de l'exploitation".
Comment financer les projets ?
Autre problématique abordée lors du colloque : le financement des opérations. "Le temps du projet n'est pas le temps du financement", a remarqué Jean-François Donzier. Selon l'Agence française de développement (AFD), l'eau potable et l'assainissement représenteraient 10% de ses engagements annuels, soit 700 millions d'euros par an. Une priorité est mise sur l'Afrique subsaharienne.
"Les subventions sont aujourd'hui affectées essentiellement à l'éducation et la santé, détaille Céline Gilquin, responsable adjointe de la division eau et assainissement de l'Agence française de développement (AFD). Pour le secteur de l'eau, nous accordons des prêts"
Sur ce secteur, la priorité est mise sur l'adaptation : l'AFD vise la réduction de la vulnérabilité des personnes et des biens. Dix milliards par an seraient consacrés aux coûts d'adaptation avec quatre axes d'intérêts : la préservation de la qualité de la ressource (assainissement), de la quantité (réduction des fuites), la gestion concertée de l'allocation des ressources ainsi que la réduction des risques d'inondations. "La question est comment on joue à la fois sur le déliement des aides et l'influence diplomatique, remarque Patrick-Yann Dartout. On reproche à l'ingénierie de ne pas aider les entreprises. Il faudrait que nous travaillons les projets en amont, mettre autour de la table les entreprises lorsque le programme sort, c'est ce que nous pourrions appeler du déliement intelligent".