À l'heure où le nucléaire revient en force dans la politique énergétique française, la Commission nationale du débat public (CNDP) dresse un état des lieux des questions soulevées lors des débats publics relatifs au sujet. Deux grandes critiques ressortent. Tout d'abord, ces débats seraient inutiles, car ils sont réalisés après que les décisions aient été prises. Ensuite, les décisions sont justifiées sur la base d'informations dont la fiabilité est contestée, notamment s'agissant des coûts réels des projets soumis à débat.
La note de la CNDP est publiée à la suite d'un avis émis, en décembre dernier, dans lequel l'autorité administrative indépendante « souligne que le public n'a jamais pu être pleinement associé à ces choix énergétiques majeurs concernant l'énergie nucléaire ». Constatant que des annonces de relance de construction de réacteurs nucléaires avaient été formulées, annonces confirmées récemment, elle recommandait qu'« un débat public de programmation relatif à l'énergie nucléaire ait lieu (…) avant toute procédure de participation du public sur les projets de création d'une installation nucléaire ».
Des débats organisés après la prise de décision
En 2005, une pétition, signée par 50 000 personnes, demandait que les options générales de gestion des déchets radioactifs soient validées par référendum. En vain. La même année, la loi d'orientation de l'énergie, qui actait la construction d'un EPR, était débattue au parlement, avant même la clôture du débat public sur le projet de Flamanville (Manche). Même constat, en 2006, concernant le lancement du projet Iter, avant la clôture du débat. En 2010, rebelote : le débat public sur la construction d'un EPR à Penly (Seine-Maritime) est lancé, alors que décision avait déjà été prise par Nicolas Sarkozy l'année précédente.
En 2013, le débat public sur Cigeo a aussi été l'occasion de rappeler, qu'en 2006, le législateur avait écarté la solution de l'entreposage et retenu l'enfouissement. Or, les recommandations issues du débat public de 2005 préconisaient de travailler sur les deux solutions en parallèle. « Cette décision a été considérée comme la preuve que les responsables n'entendaient pas associer réellement le public aux décisions », explique la CNDP, rappelant « la très forte conflictualité qui s'est exprimée lors du débat public sur le projet Cigeo, qualifié de "débat bidon" ».
La fiabilité et la sincérité des informations contestées
Autre constat : une « contestation récurrente » pointe « le manque de transparence et de fiabilité des informations concernant le nucléaire ». En 2005, une partie des associations avaient quitté le débat public sur la gestion des déchets radioactifs. En cause ? Elles « [contestaient] le manque de transparence des informations au nom du "secret défense" ». Quant au débat public sur l'EPR de Flamanville, il a vu « le haut fonctionnaire de défense [imposer] la suppression d'un paragraphe d'une contribution d'une association considérant qu'il portait atteinte au "secret défense" ».
Par la suite, le « secret défense » est moins invoqué, mais « la fiabilité et la sincérité des informations présentées ont [toujours] été contestées ». Reviennent régulièrement les doutes sur les coûts du nucléaire et son bilan carbone ou encore le volume réel et le coût des déchets radioactifs. Ces sujets, qui ne font pas consensus, « font systématiquement l'objet de controverses et contestations ». Les coûts, en particulier : « Les partisans et responsables de projet [les] présentent comme une "vérité en soi", quand les opposants en contestent la méthode d'évaluation. »
Pour y remédier, la CNDP recommande de s'appuyer sur des institutions ou instances d'expertise jugées indépendantes. Elle explique aussi que « le public et certaines parties prenantes expriment avec constance une forte attente sur une forme d'expertise citoyenne, ou a minima non institutionnelle ». Les défenseurs de cette expertise demandent notamment qu'elle soit dotée de moyens propres.
Les enjeux éthiques sont particulièrement sensibles
Enfin, plusieurs autres sujets reviennent de manière constante. Le premier est « la confusion de la gouvernance du nucléaire ». Le manque de confiance envers les pouvoirs publics repose, entre autres, sur le fait que « le public "ne comprend rien sur qui décide quoi" et s'interroge sur les incohérences des politiques publiques ». Bien sûr, la sécurité et la sûreté des sites sont aussi régulièrement questionnées, tout comme les impacts environnementaux et sanitaires.
Enfin, « [les] questionnements éthiques sont particulièrement sensibles », explique la CNDP. « Les questionnements éthiques interrogent inévitablement la filière nucléaire puisque tous les publics convergent pour considérer qu'il n'est pas possible de débattre des déchets radioactifs sans débattre de l'énergie nucléaire et qu'il n'est pas possible de débattre de l'énergie nucléaire sans débattre de la politique énergétique. » Et de rappeler qu'il s'agit là de « questions de société majeures que la Commission nationale du débat public peut contribuer à éclairer ».