Alors que le débat nucléaire électrise actuellement les classes politiques, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a présenté à la presse le 17 novembre, son rapport intitulé "Evaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima". Selon l'IRSN, même si les centrales françaises peuvent être considérées comme sûres, certaines normes de sûreté de certaines installations doivent être rapidement améliorées, notamment pour faire face à des catastrophes naturelles extrêmes. "L'accident de Fukushima, mais également les évaluations complémentaires de sûreté, mettent en évidence la nécessité de faire évoluer sans tarder certains référentiels de sûreté des installations", souligne le rapport de près de 500 pages. Les experts préconisent ainsi de mettre en place une solution qui permettrait de protéger, voire de surprotéger les fonctions vitales et essentielles de ces sites. Toutefois, l'institut estime qu'aucune des 58 réacteurs nucléaires français ne méritent pour l'instant d'être fermés.
Des référentiels de sûreté à réévaluer
Dans ce document complet qui évalue les rapports d'expertise remis par les exploitants, l'IRSN a dégagé trois grands constats. "Il existe un certain nombre de sites qui font état de non-conformité par rapport au référentiel nucléaires de sûreté dont disposent chaque centrale", a précisé Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, ajoutant que "ces écarts de conformité fragilisaient les installations en cas d'agressions externes et diminuaient les marges de sûreté". Ces écarts doivent donc être "résorbés au plus vite" et la notion de conformité doit être respectée. Conscients de cette problématique, les exploitants ont promis de se pencher sur la question et de "compléter la revue de conformité de leurs installations sur l'ensemble des équipements utilisés en cas de situations accidentelles de pertes de sources d'énergie ou de refroidissement pour la fin de l'année 2012", indique le rapport. A l'inverse, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ainsi que les Groupes Permanents ont jugé les référentiels mis en place globalement satisfaisants, ces non-conformités étant avant tout mineures et ponctuelles. "Si une des installations présentait vraiment un danger immédiat, l'ASN l'aurait fait fermé ce qui n'est pas le cas", a justifié André-Claude Lacoste, président de l'autorité française.
Par ailleurs, le rapport de l'IRSN souligne que certains référentiels ne sont pas adéquates avec nos connaissances actuelles, d'où la nécessité de les réexaminer quelques exigences de manière anticipée. Cela touche plusieurs domaines, notamment la caractérisation des aléas, "pour laquelle les connaissances acquises en matières d'aléas environnementaux devraient être mises à profit". En effet, un certain nombre d'hypothèses comme la survenue d'un séisme était auparavant considéré comme impossible. Avec l'accident de Fukushima, plusieurs sites devront donc réévaluer leurs référentiels, en particulier les centrales de Civaux, du Bugey et de Fessenheim pour le risque sismique ou celles de Chinon, Saint-Laurent et Cruas pour le risque d'inondation.
Un noyau dur pour protéger les fonctions vitales
Enfin, l'IRSN propose une évolution de l'approche de sûreté actuelle qui consiste à protéger les structures et équipements assurant les fonctions vitales. Cela permettra de maîtriser les principales fonctions de sûreté vis-à-vis d'aléas supérieurs à ceux retenus pour le dimensionnement général de l'installation. Ces équipements composeraient un "noyau dur" qui assurera une protection ultime des installations contre des agressions, jugées inimaginables avant mars 2011. "Ce noyau dur serait ainsi une sorte de structure hautement résistante qui sauvegarderait les équipements essentiels comme les pompes de refroidissement, les mécanismes de filtres, les réserves de diesel ou les générateurs de secours afin que l'exploitant dispose à tout moment d'électricité et d'eau", appuie Jacques Repussard. Ce noyau dur devra également accueillir la salle de contrôle dont la construction ne résisterait pas aux séismes.
Cette proposition fait consensus aussi bien pour les exploitants que pour l'ASN mais la mise en place d'une telle structure peut prendre plusieurs années et demandera des investissements massifs. Même l'EPR qui a bénéficié des retours d'expériences des accidents nucléaires antérieurs devra quand même être équipé de ce système de noyau. "Mais, le chemin sera plus court et plus facile pour ce type de réacteur car la construction est encore en cours", note Jacques Repussard.
Ces différentes recommandations ont été soumises à l'ASN qui rendra ses propres conclusions à l'union européenne avant la fin de l'année et au Gouvernement début 2012. "L'ASN imposera ensuite les prescriptions complémentaires appropriées, voire recommandera au gouvernement l'arrêt des installations qui le nécessiterait", a ajouté André-Claude Lacoste qui précise que ce n'est que le début de retour d'expérience de Fukushima.
En outre, ce rapport dont certaines propositions sont jugées intéressantes par les acteurs du secteur nucléaire, a déjà suscité la réaction d'associations opposées à cette forme d'énergie. L'Observatoire du nucléaire dénonce ainsi la coupable indulgence de l'IRSN en faveur de l'industrie nucléaire. "Sachant qu'un évènement naturel violent (tempête, gel sévère, inondation, séisme, etc) peut se produire à chaque instant, l'IRSN reconnaît implicitement que les réacteurs français peuvent causer à tout moment une catastrophe nucléaire", s'insurge l'association dans son communiqué.