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Carburants de synthèse : un marché prometteur mais encore à construire

Si les projets autour des e-carburants se multiplient dans le monde, ils sont encore loin de se concrétiser par une production industrielle. Un observatoire international du Bureau français des e-fuel fait le point sur ce marché émergent.

Transport  |    |  N. Gorbatko
Carburants de synthèse : un marché prometteur mais encore à construire

E-méthane, e-méthanol, e-kérosène, e-ammoniac, e-essence, e-gazole… Très attendus pour décarboner les transports, les e-fuels suscitent l'engouement dans le monde entier, dans un contexte législatif porteur. Votés en juillet et en octobre derniers, les règlements européens FuelEU pour le maritime et Refuel EU pour l'aviation encouragent en effet fortement l'incorporation progressive des carburants durables et de synthèse : au moins 2 % en 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035, 34 % en 2040 et 42 % en 2045 pour l'aviation, par exemple. C'est aussi le cas de la nouvelle stratégie de l'Organisation maritime internationale (OMI) adoptée l'été dernier.

« Cela représente des quantités énormes », souligne Cédric de Saint-Jouan, président-fondateur du groupe VOL-V, à l'origine du développeur d'e-carburants Elyse Energy, et porte-parole du tout jeune Bureau français des e-fuels. Résultat : « On constate déjà un gros appel d'air pour l'e-méthanol dans le maritime mondial, avec 200 bateaux commandés pour fonctionner avec ce carburant et qui seront livrés dans les trois ou quatre prochaines années », indique Cédric de Saint-Jouan. À ce jour, sur tous les continents, l'Agence internationale de l'énergie a recensé quelque 530 projets de production de tailles diverses de tous ces e-carburants. En tête des pays les plus avancés, se trouvent le Canada, l'Espagne, les États-Unis, le Danemark, la Suède et la France. Mais d'autres envisagent aussi de se lancer sur ce marché : en Afrique (Égypte, Maroc, Mauritanie, Namibie) où le potentiel de production d'électricité renouvelable est important, en Amérique du Sud (Brésil, Chili, Colombie), en Asie (Inde, Indonésie, Malaisie), au Moyen-Orient…

Moins d'une centaine de gros projets

La fédération Transport & Environment, pour sa part, dénombre 45 projets de production d'e-kérosène dans l'Union européenne. « S'ils étaient confirmés, ils permettraient au secteur aérien d'avoir suffisamment de carburant de synthèse pour répondre au premier mandat fixé par l'UE pour ce type de carburant d'aviation durable (…) en 2030 », observe-t-elle. Si elle se produit, la vague de fond prendra cependant encore un peu de temps. Car sur l'ensemble de ces initiatives, selon l'observatoire international du Bureau français des e-fuels publié mercredi 7 février, seules 77 bénéficieraient d'une capacité de 200 kilos équivalent pétrole par an (ktep/an) au moins, soit le volume nécessaire pour assurer 1 300 000 trajets individuels Paris-New York.

“ Les technologies nécessaires à la synthèse des e-fuels sont connues, mais les procédés d'assemblage des différentes briques doivent encore être améliorés ” Cédric de Saint-Jouan, VOL-V
Et sur ces dernières, 66 concerneraient l'e-ammoniac, très toxique, donc encore difficile à l'utiliser pour le maritime et inenvisageable pour l'aérien. Pour le moment, les projets axés le maritime et l'aérien resteraient donc minoritaires : cinq pour l'e-méthanol et cinq pour l'e-kérozène et l'e-gazole, auxquels il faut ajouter un hybride e-méthanol/e-kérosène. En outre, la plupart ne seraient pas encore réellement financés. En réalité, sur les 77 gros programmes recensés, trois seraient assurés d'un capital suffisant. « Les technologies nécessaires à la synthèse des e-fuels sont connues, mais les procédés d'assemblage des différentes briques doivent encore être améliorés, explique Cédric de Saint-Jouan. Le e-kérosène, en particulier, reste complexe et difficile à créer. »

Une accélération après 2030

Malgré des politiques sur l'hydrogène ambitieuses, peu de pays ont par ailleurs développé une stratégie sur les filières e-fuels accompagnée d'objectifs chiffrés et de mesures de soutiens spécifiques, indique l'Observatoire. « Ces lacunes rendent incertain le cadre de marché et restreignent la planification de la mobilisation des ressources », précise-t-il. La construction des premières usines de taille industrielle devrait se dérouler entre 2025 et 2035 dans le monde. En France, il faudra plutôt miser sur 2028 pour atteindre, en 2030, une capacité de 672 ktep/an, via une dizaine ou une vingtaine de projets. Aujourd'hui, on en compte une demi-douzaine, trois ayant passé le stade de la consultation du public. Le dépôt des autorisations devrait s'effectuer entre l'été prochain et la fin de l'année. Une fois ces autorisations acquises, en 2025, le financement pourrait être bouclé en 2026 et la construction démarrer en 2027, pour une réception en 2028.

« Nous sommes au début du cycle de développement, confirme Cédric de Saint-Jouan. La France n'est pas en retard. Mais c'est maintenant qu'il faut préparer le terrain pour les années à venir et réfléchir à la mise en place d'un cadre ainsi qu'à la construction de la filière. Sinon, les autres pays le feront à notre place et nous ne pourrons pas rattraper leur avance, donc être compétitifs. » De fait, le développement de la chaîne de valeur des e-carburants implique pour ces acteurs de maîtriser plusieurs éléments : la production d'électricité, celle d'hydrogène, le captage du CO2 et la synthèse des molécules, notamment. La question des ressources, en particulier, pourrait donc bien devenir cruciale.

Les ressources en CO2 et en eau à surveiller

En France, par exemple, le Bureau des e-Fuels évalue le besoin en électricité pour la production de ces carburants de synthèse entre 15 et 18 térawattheures par an (TWh/an) jusqu'en 2030. « Ce qui correspond à 3 % de la consommation électrique », précise Cédric de Saint-Jouan. Dans l'immédiat, ce volume reste accessible, puisque la France en exporte de bien plus importants. Mais la concurrence risque de s'exacerber au fil des années avec les autres usages de l'électricité, même si les rendements s'améliorent. En 2030 déjà, les projets nord-américains nécessiteront 66 TWh par an, ceux du Danemark, de Espagne et de la Suède, pays d'Europe les plus en pointe, en totaliseront 82. Or la demande en e-fuels va s'amplifier rapidement. En France, elle passerait de 101 ktep/an en 2030 à 420 ktep/an en 2035.

L'enjeu devrait être similaire pour les disponibilités en CO2. Au Danemark, en Espagne et en Suède, les besoins en CO2 atteindront 8 millions de tonnes en 2030. En Amérique du Nord, la demande s'élèvera à 17 millions de tonnes. Relativement bien réparties dans l'espace européen et disponibles à court terme, ces ressources pourraient venir à manquer ensuite. Le volume accessible reste d'ailleurs à évaluer plus précisément et leur nature à définir, selon le Bureau des e-fuels. Censé produire 75 000 tonnes d'e-biokérosène par an sur le site de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) à partir « du produit de la sylviculture locale et de déchets de bois en fin de vie », par exemple, le projet Bio TJet d'Elyse Energy suscite ainsi l'inquiétude des mouvements écologiques et du collectif « Touche pas à ma forêt : pour le climat » qui craignent un abattage massif des forêts, jusqu'à un million d'arbres chaque année pour satisfaire aux besoins de l'usine.

Les militants béarnais redoutent aussi les prélèvements d'eau dans le gave de Pau qu'ils évaluent à 8 millions de mètres cubes par an. Face au dérèglement climatique et aux tensions qu'elle suscite, cette question du partage de la ressource aquatique pourrait se transformer en nouvel obstacle au développement des filières e-fuels. Là encore, les volumes requis sont loin d'être anodins : 23 millions de mètres cubes prévus aux États-Unis en 2030, 17 millions au Danemark, en Espagne et en Suède…

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