La pollution de l'eau par les nitrates (NO3) dans le Jura risque bien de s'aggraver avec le réchauffement climatique, alerte le BRGM. Le service géologique national a réalisé une étude rétrospective des données de concentration en nitrates dans la région, indicateur de l'état écologique des cours d'eau qui est relevé depuis les années 1970. Elle est relayée par The Conservation, dans un article écrit par Jean-Baptiste Charlier, chercheur hydrogéologue au BRGM.
Si les taux de nitrates restent trop élevés dans les cours d'eau dans certains territoires, la tendance est toutefois globalement à la baisse en France : cette pollution a reculé de 12 % durant la dernière décennie. Un territoire toutefois reste fortement marqué par cette pollution, malgré des efforts en matière de rejets ces trente dernières années : le Jura. Ses rivières sont soumises, comme la plupart des rivières françaises, à l'eutrophisation, c'est-à-dire un excès en nutriments qui engendre un développement algal asphyxiant le milieu aquatique. Un phénomène causé par les fertilisants utilisés en agriculture, mais aussi par les rejets domestiques et industriels. Plusieurs épisodes de mortalités piscicoles se sont ainsi succédé ces dix dernières années dans les rivières comtoises. Dans ce territoire agricole extensif, les nutriments sont principalement d'origine agricole, en raison des rejets de l'important cheptel bovin pour la fabrication de fromages (Comté, Morbier, Mont d'Or). Les fromageries et les stations d'épuration rejettent aussi de l'azote.
« Le paradoxe jurassien »
Malgré des efforts pour réduire la fertilisation dans les années 1990, la dégradation se poursuit. La cause est à chercher du côté du contexte géologique du massif du Jura. L'eau s'infiltre rapidement – en quelques heures – à travers des sols peu profonds développés sur des roches calcaires (dites karstiques), dans des fissures de plusieurs centaines de mètres, jusqu'aux sources alimentant les rivières. Les bassins de ces rivières karstiques ont ainsi la particularité d'être alimentés principalement par des eaux souterraines ayant un faible pouvoir de rétention des polluants, et d'avoir de faibles réserves en eau. En résulte une forte vulnérabilité aux pollutions et aux épisodes de sécheresse, plus fréquents et plus intenses à cause du réchauffement climatique.
En période sèche, les sources et les rivières sont en effet « alimentées par des eaux issues des réserves les plus anciennes des aquifères enrichis par la recharge des nappes des années précédentes ». Quand la pluie revient à l'automne, les sols riches en reliquats azotés sont soumis au lessivage rapide de l'eau qui retourne aux eaux souterraines et aux rivières. Plus les sécheresses qui se succèdent sont importantes, plus la concentration en NO3 augmente.
Sur les plateaux du massif jurassien, s'il n'y a pas de baisse des précipitations prévue sur le long terme, la température de l'air a augmenté de 1°C en moyenne depuis cinquante ans. Le stress hydrique y reste donc important, avec une diminution des débits et des étiages plus sévères sur certains cours d'eau. En témoignent des ravitaillements en eau potable par camions-citernes dans certaines communes en 2018 et en 2022.
Les concentrations élevées en nitrates dans la région devraient donc se poursuivre si aucune diminution drastique des apports n'est envisagée. Une faible pression anthropique, en l'occurrence agricole, ne garantit donc pas toujours une bonne qualité de l'eau. À l'heure où la fréquence des sécheresses augmente, il s'agit d'un constat à prendre en compte dans d'autres territoires, alerte le BRGM. Les bassins karstiques recouvrent ainsi plus du tiers du territoire français (Bassin parisien, Normandie, massif de Provence, causses du Sud-Ouest…), et de grandes villes dépendent de ces ressources pour l'alimentation en eau potable.