Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

« La révision du Programme d'actions national nitrates ne va pas au-delà du toilettage »

Après plus de deux ans de discussions, le Programme d'actions national nitrates est enfin révisé. Mais les mesures proposées ne semblent pas à la hauteur des enjeux. Explications d'Estelle Le Guern, chargée de mission chez Eau et rivières de Bretagne.

Interview  |  Eau  |    |  D. Laperche
   
« La révision du Programme d'actions national nitrates ne va pas au-delà du toilettage »
Estelle Le Guern
Chargée de mission chez Eau et rivières de Bretagne
   

Actu-environnement : quelle est la situation française en termes de contamination des eaux par les nitrates ?

Estelle Le Guern : 73 % de la surface agricole utile (SAU) française sont classés en zone vulnérable (1) . Une zone dont la teneur moyenne des eaux dépasse 18 mg/l de nitrates est considérée comme vulnérable. La cartographie des régions classées zones vulnérables est révisée régulièrement et la surface ne cesse d'augmenter. Dans certains bassins, comme celui de Seine-Normandie ou d'Adour-Garonne, cette part atteint 90 %. La Bretagne reste une des régions les plus concernées par cette pollution : elle est classée zone vulnérable - dans son intégralité - depuis le début de l'application de la directive Nitrates en France, en 1994. Et elle n'est pas prête d'en sortir.

AE : Des plans d'actions tentent d'inverser la tendance depuis près de vingt ans : en février dernier, deux arrêtés ont révisé le Programme d'actions national de lutte contre les nitrates (PAN) et ses déclinaisons régionales. Qu'en est-il des mesures prévues ?

ELG : Ces textes sont la déclinaison de la directive nitrates de 1991 qui impose aux États membres de cartographier leurs zones vulnérables aux nitrates d'origine agricole et impose de mettre en place un programme d'actions national qui est ensuite décliné à l'échelle régionale pour remédier à cette pollution. Ces textes sont révisés régulièrement et, là, nous venons de réviser le PAN pour arriver à la septième version.

Nous avons de fortes critiques à exprimer par rapport à ces textes et à ce qu'il s'est passé pendant les deux ans pris pour cette révision. Tout d'abord, les services de l'État ont fait des propositions d'évolutions qui n'allaient pas suffisamment loin, alors que la surface des zones vulnérables ne cesse d'augmenter. Le PAN 7 ne va pas au-delà du toilettage. Des rapports officiels, comme celui de l'Autorité environnementale (AE), indiquent d'ailleurs que « l'inefficacité des PAN successifs est manifeste comme celle de chacun des plans d'action régionaux, mais rien ne semble fait pour y remédier ». De la même manière, le Comité national de l'eau (CNE) « s'inquiète de l'insuffisante ambition du programme et de l'impact des mesures sur les enjeux avérés de dégradation de l'état des eaux ».

AE : Pourquoi cette révision a-t-elle duré plus de deux ans ?

ELG : Sur les quelques avancées proposées dans le projet de PAN, il y a eu une opposition systématique de la profession agricole, la FNSEA, les chambres d'agriculture et tous les instituts techniques qui les accompagnent. Ce qui a fait qu'il y a eu blocage des négociations et que nous avons pris du retard.

Et sur la version publiée dans le Journal Officiel du 9 février dernier, nous nous sommes aperçus que le Gouvernement avait fait machine arrière, notamment sur deux points : les taux d'argile et les apports sur colza. Jusqu'à présent, en période hivernale, il y avait une obligation de mettre des couverts végétaux pour éviter le lessivage des nitrates par la pluie. Une dérogation était toutefois possible sur les terres argileuses : car il est difficile d'y implanter en automne une culture intermédiaire - les taux d'argile déclencheurs étaient toutefois laissés à la discrétion des régions. Dans leur proposition d'arrêté, les services ont proposé un seuil de taux d'argile harmonisé à l'échelle nationale : à partir de 37 % de taux d'argile dans le sol, les agriculteurs pouvaient être exemptés de cette couverture du sol hivernal. Dans la version finale, les régions où le taux était inférieur peuvent finalement bénéficier de l'exemption de couvert dès 31 % d'argile dans le sol.

AE : Quelles ont été les autres modifications apportées ?

EL : Concernant le second point sur le colza, la profession souhaitait pouvoir épandre davantage d'engrais minéral en automne, sous prétexte de soutenir le colza qui est plus sensible durant cette période à un parasite. Dans les premiers échanges, le Gouvernement a demandé des études, qui montrent qu'avec plus d'apport d'azote, le colza est moins sensible au parasite. Et alors que nous n'avons toujours pas la preuve, dans le texte final, il est indiqué qu'un apport de 30 unités d'azote supplémentaires sous forme minérale est possible entre le 1er septembre et le 15 octobre. En parallèle, il est précisé  qu' « à compter du 1er septembre 2027, cette disposition ne pourra s'appliquer que si l'actualisation des connaissances scientifiques et techniques a démontré l'absence de risque de lixiviation supplémentaire et que les effets de ces dispositions du point de vue des apports totaux d'azote et des traitements insecticides sur la culture de colza ont été documentés ».

Par ailleurs, le principal recul du texte concerne le calendrier d'interdiction d'épandage du lisier, du fumier et des engrais minéraux. Ce 7e PAN autorise une flexibilité du calendrier laissé à la discrétion des préfets de région :  les agriculteurs pourront épandre quinze jours plus tôt au printemps pour certaines cultures, en fonction des conditions agrométéorologiques.

La porcherie Avel Vor remise en question

Le collectif « Stoppons l'extension », dont fait partie Eaux et rivières de Bretagne (ERB), vient de déposer un recours contre l'autorisation de l'extension du cheptel d'une porcherie dans le Nord-Finistère en Bretagne, Avel Vor. L'exploitant avait obtenu en 2016 l'autorisation de passer de 8 965 à 12 090 animaux équivalents. Extension réalisée en 2017. « Ce qui faisait de cet élevage l'une des plus grosses porcheries de France », pointe ERB. Un premier recours avait abouti à sanctionner cette autorisation et le préfet avait permis à l'exploitation de poursuivre son activité dans l'attente de la régularisation de la situation. « L'autorisation de 2016 avait été annulée par les juges principalement pour la raison suivante : l'étude d'impact produite par l'exploitant censée permettre l'évaluation des conséquences environnementales de son projet, ne le permettait.... tout simplement pas, souligne ERB. La deuxième autorisation que nous contestons aujourd'hui devant les mêmes juges souffre exactement des mêmes maux : l'extrême insuffisance de l'étude d'impact produite. »

La profession s'est arcboutée sur quelques mesures pendant deux ans… Alors que nous, nous espérions des évolutions beaucoup plus ambitieuses…

AE : Qu'auriez-vous souhaité pouvoir introduire dans ce 7e PAN ?

ELG : Trois points sont essentiels pour nous : tout d'abord, aujourd'hui, le PAN fixe le seuil d'un usage d'un maximum de 170 unités d'azote organique par hectare. Mais il ne prend pas en compte l'azote minéral (2) . Nous demandons que l'azote sous cette forme soit également intégré dans le plafond.

Ensuite, nous demandons que la couverture des sols - pour limiter les risques de fuites - soit imposée aux agriculteurs, notamment sur les intercultures courtes et sur certaines successions culturales à risque. Par exemple, les cultures de maïs grain sont ramassées très tard et, techniquement, il est difficile d'implanter un couvert végétal après la récolte, laissant les sols à nu en période hivernale. L'idée est d'implanter cette couverture dans la culture de maïs pour bénéficier d'un couvert même après la récolte et de ne pas remettre un maïs l'année suivante.

La prise en compte des éléments paysagers (bocage, zones humides), favorable à la préservation de la qualité de l'eau, commence à se faire en Bretagne dans les « baies algues vertes (3) », mais nous devrions le faire dans toutes les zones vulnérables.

De manière plus générale, nous nous rendons compte de l'inefficacité de ce genre de texte, si en parallèle les agriculteurs ne sont pas accompagnés dans l'évolution de leurs pratiques, vers plus d'agroécologie. Et là, il s'agit d'un problème de cohérence des politiques publiques : on ne peut pas demander à un agriculteur, d'un côté, de respecter une réglementation environnementale de plus en plus complexe et, de l'autre, de produire toujours plus, sur des surfaces plus grandes et avec moins de main-d'oeuvre pour mal gagner sa vie...

AE : Qu'espérez-vous du rappel à l'ordre de la Commission européenne sur le fait que l'eau distribuée dans plusieurs territoires ne respecte toujours pas la limite de qualité de 50 mg/l ?

ELG : Cela peut permettre d'améliorer la protection des captages d'eau potable. Dans le cadre de la révision de la politique nitrates, un décret – aujourd'hui en relecture par le conseil d'État - va bientôt sortir sur les zones d'actions renforcées (ZAR). Ce sont des zones vulnérables où sont mises en œuvre des mesures plus poussées, notamment les zones de captage.

Dans le projet de décret, une disposition permet aux préfets de s'emparer de la protection des captages dès 40 milligrammes par litre (contre 50 milligrammes par litre précédemment). Jusqu'à présent, les agriculteurs étaient obligés de mettre en œuvre dans ces zones une mesure parmi une liste établie, comme la couverture des sols. Ils pourraient à l'avenir se voir imposer deux, voire trois mesures de protection. Le contentieux pourrait pousser à maintenir le niveau d'ambition du texte.

À notre niveau, nous avons engagé des recours contre l'État pour obtenir la prise de toutes mesures utiles à la lutte contre les nitrates, face au constat d'échec de la politique du Gouvernement pour atteindre les objectifs de la directive-cadre sur l'eau (DCE) et de la directive Nitrates.

1. La zone vulnérable est une partie du territoire où la pollution des eaux par le rejet direct ou indirect de nitrates d'origine agricole et d'autres composés azotés susceptibles de se transformer en nitrates, menace à court terme la qualité des milieux aquatiques et plus particulièrement l'alimentation en eau potable.2. L'azote peut être présent dans le sol sous forme organique, sa forme majoritaire (détritus végétaux ou animaux en décomposition, animaux du sol, micro-organismes etc.) ou sous forme minérale (nitrate NO3-, ammonium NH4+, ammoniac NH3, urée CO(NH2)).
3. concernées par Plan de lutte contre la prolifération des algues vertes.

RéactionsAucune réaction à cet article

Réagissez ou posez une question à la journaliste Dorothée Laperche

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager