La Suède a été le premier pays membre de l'Union européenne et l'un des premiers pays au monde à avoir réformé son système fiscal. Elle a instauré dès 1991 des écotaxes assises sur le carbone, le soufre et les oxydes d'azote afin de lutter contre le changement climatique et la pollution de l'air. La taxe sur le carbone, instituée en 1990, a été initialement fixée à un taux de 22€ la tonne. Parallèlement, la Suède a abaissé l'impôt sur le revenu et certaines contributions sociales afin de maintenir les recettes fiscales à un niveau stable. En 2009, les taux de la taxe CO2 en Suède sont de 103 € la tonne pour l'essence, de 114 € la tonne pour le gazole et le fuel domestique, de 92 € pour le charbon. Résultat : un tiers de l'énergie consommée aujourd'hui en Suède provient de sources renouvelables, et la Suède a réduit les émissions du secteur du logement de 7 millions de tonnes en 2005 par rapport à 1990, et entre 1,5 et 3 millions de tonnes dans les transports.
Taxe ou marché carbone
En regard d'un tel cas d'école, comment expliquer le recul du gouvernement sur le taux de la taxe ? Annoncée à 15 € la tonne par Mme Lagarde, ministre de l'économie, plutôt qu'à 32, comme le préconisait le rapport Rocard, la taxe carbone – ou plus justement appelée Contribution climat énergie – annoncée pour 2010, sera une mesure symbolique, bien en dessous du seuil prescrit par les économistes de la Commission Quinet. Celle-ci n'avait-elle pas prescrit dans son rapport une valeur « tutélaire » du carbone fixé à un seuil de départ de 32 € la tonne ? Le calcul prenait en compte la nécessité d'infléchir les émissions de CO2 de manière à les diviser par 4 d'ici à 2050.
Les modélisations utilisées par cette commission n'avaient-elles pas convergé sur une valeur de 100 euros la tonne de CO2 en 2030 ? En utilisant le taux d'actualisation recommandé pour les choix publics en France, qui est de 4%, cela conduisait à une valeur de départ en 2010 de 45 euros. Cependant, pour des raisons d'acceptabilité et de continuité, la Commission Quinet avait finalement proposé une valeur initiale inférieure à 32 euros. Sur la base de cette dernière valeur, la Contribution climat énergie aurait conduit à des recettes fiscales de 8,3 milliards d'euros en 2007, dont 4,3 milliards à la charge des ménages (soit 0,7% de leur budget moyen de consommation) et de l'ordre de 3,75 milliards versés par les entreprises (soit 1% de leur valeur ajoutée dans l'industrie et 1,7% dans le transport). Si l'on retenait les recommandations du rapport Quinet, ce prélèvement devait ensuite croître de 5 % par an au-dessus de l'inflation, c'est-à-dire nettement plus rapidement que la progression attendue du revenu des ménages et de la valeur ajoutée des entreprises, pour atteindre les 100 euros en 2030.
Dans un entretien récemment accordé au journal Le Monde, Christine Lagarde, ministre de l'économie, justifiait la décision de fixer à 15 € la tonne le taux de démarrage de la taxe carbone par la nécessité de rester au plus près des prix du marché. De fait, les experts réunis en juillet dernier au sein de la conférence sur la taxe carbone s'étaient longuement interrogés sur la compatibilité de cette taxe avec le marché européen de permis d'émission, auquel sont soumises les installations industrielles de plus de 20 mégawatts. Ce système de cap and trade est actuellement contesté par des personnalités telles que le climatologue américain James Hansen, pour qui une taxe carbone serait largement plus efficace sur le plan écologique qu'un système de quotas. Non seulement ce système est soumis à la spéculation des marchés, mais on assiste, en Europe, à un phénomène de surallocation des quotas accordés par les Etats sous la pression des consortiums industriels. D'où la volatilité du prix de la tonne de CO2, cotée seulement à 13 € sur le marché européen en juin dernier, un coût dérisoire et non dissuasif pour les industries concernées. Dans la lettre qu'il adresse au président Obama le 29 décembre 2008, James Hansen, prône la taxe plutôt que les quotas parce qu'elle est simple, impartiale, stable et prévisible et préconise la redistribution intégrale de son produit aux ménages1.
De quoi faire réfléchir les décideurs politiques, qui, comme Mme Lagarde, se voient aujourd'hui contraints d'aligner le taux de la taxe sur le prix du marché carbone, lequel est déconnecté de toute efficacité environnementale. En 1991, la Suède n'avait pas éprouvé cette difficulté, car le marché européen des permis d'émission n'existait pas. Aujourd'hui, la complexité du système est telle que les régimes, pour être compatibles, risquent un nivellement par le bas. C'est ce qui semble se produire aujourd'hui à travers le choix de rétrograder à 15 € plutôt que 32 € le taux de la taxe.