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Produits chimiques toxiques : « C'est un signal d'alerte envoyé à la Commission afin qu'elle rectifie le tir »

En 2022, la Commission européenne présentait sa feuille de route visant à interdire les familles de produits les plus toxiques d'ici à 2030. Un an après, Hélène Duguy, de l'ONG ClientEarth, dresse le bilan de cette méthode de gestion des risques.

Interview  |  Risques  |    |  F. Bénard
Actu-Environnement le Mensuel N°436
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°436
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Produits chimiques toxiques : « C'est un signal d'alerte envoyé à la Commission afin qu'elle rectifie le tir »
Hélène Duguy
Conseillère juridique et politique sur les projets produits chimiques, ClientEarth
   

Actu-environnement : ClientEarth et le Bureau européen de l'environnement publient, ce 25 avril, leur rapport « L'engagement de l'Union européenne d'interdire les produits chimiques les plus toxiques est un échec ». Quel bilan tirez-vous, un an après, de la mise en place de la feuille de route « Produits chimiques » de la Commission européenne ?

Hélène Duguy : Cela fait un an seulement que la feuille de route est en place, et il faudra probablement encore un peu de temps pour qu'on puisse complètement évaluer son efficacité. Mais on peut déjà faire un premier bilan. Notre évaluation se base sur une ambition qui a été clairement mise en évidence par la Commission européenne dans sa stratégie pour la durabilité des produits chimiques en 2020. La feuille de route est un premier essai de mise en œuvre de cette stratégie, avant la révision du règlement Reach, et de ses objectifs majeurs.

L'un d'eux est l'élimination des produits les plus dangereux pour la santé et l'environnement. Pour cela, plusieurs changements sont prévus : restreindre par groupes plutôt que par substance, éviter les dérogations hors usages essentiels, etc. Nous étions donc très positifs lors de la publication de la feuille de route, parce qu'on a pour une fois une promesse qui est concrètement appliquée, avec un calendrier assez clair sur les prochaines années, et deux ambitions clairement affichées : des interdictions plus rapides des substances les plus dangereuses, et un régime plus protecteur de la santé humaine et de l'environnement.

Un an après, on réalise que la plupart des restrictions qui ont été engagées et sont sur le point d'être adoptées, ou en train d'être négociées à l'Agence européenne des produits chimiques (Echa), ne remplissent pas, en réalité, du tout le contrat fixé par la feuille de route. Le processus n'est ni plus rapide ni plus protecteur. Les deux objectifs fixés par la feuille de route ne sont pas remplis. Nous avons évalué les restrictions pour lesquelles nous avons un texte, dont on peut déjà saisir quel va être le contenu et pour lesquelles on a de la visibilité sur le processus. Bien sûr, cela ne fait qu'un an, et beaucoup pourrait être fait. C'est exactement pour cela qu'on publie ce rapport (1) maintenant : c'est un signal d'alerte envoyé à la Commission afin qu'elle rectifie le tir, et cesse de procéder par réglementation à trous comme elle l'a fait jusqu'à maintenant, c'est-à-dire en ne réglementant qu'une petite partie du problème.

AE : Sur quelles substances en particulier se portent vos inquiétudes ?

HD : Deux cas sont particulièrement symboliques.

Premièrement, les bisphénols, parce que ce sont des substances qu'on sait dangereuses, perturbateurs endocriniens, depuis les années 1990. On était donc très enthousiastes qu'ils soient annoncés dans la feuille de route, avec une restriction pour tout le groupe, qui compte 200 substances. Sauf qu'en réalité, la restriction ne concerne que 5 bisphénols sur les 150 fortement suspectés d'être perturbateurs endocriniens. De plus, tout ce qui est lié à la santé humaine est mis de côté. Comment peut-on attendre de ce type de restriction qu'elle soit efficace ? Un tel processus réglementaire représente un énorme coût pour les autorités, en termes de ressources et d'investissement, pour un résultat très peu satisfaisant puisque la restriction attendue risque de ne solutionner qu'une très faible partie du problème. Quasiment 97 % des usages de bisphénols risquent d'être exemptés en pratique.

“ La Commission européenne a le pouvoir, si elle le souhaite, d'adopter une approche plus précautionneuse ” Hélène Duguy
Le deuxième exemple est celui des PFAS, très médiatisé actuellement du fait du haut niveau de contamination mesuré en Europe. Des réglementations sont déjà en place dans l'Union européenne pour des sous-substances de PFAS : PFHxS, PFOS, PFOA, etc. Désormais, c'est leur interdiction « universelle » qui est mise sur la table, exactement le type de restriction que l'on souhaite. Sauf qu'on s'attend déjà à des dérogations importantes. L'industrie est fortement mobilisée et conteste d'ores et déjà l'existence même de cette réglementation.

Ce que notre rapport montre donc, c'est qu'il existe un gros décalage entre ce qui a été promis en termes de protection et ce qu'on observe aujourd'hui.

AE : Comment expliquez-vous un tel retard ?

HD : Le règlement Reach ne facilite pas les choses, c'est pour ça que sa révision est prévue. Cependant, de notre point de vue, c'est plutôt la mise en œuvre faite de ce texte qui est problématique. Aujourd'hui, les processus sont extrêmement lourds et longs, la charge de la preuve exigée de la part des autorités est particulièrement sévère, sachant qu'elles n'ont pas accès à l'information nécessaire pour l'honorer, et les coûts à l'industrie prennent une part disproportionnée dans la décision de restreindre l'usage de substances dangereuses. La plupart de l'information est détenue par l'industrie, qui n'a, bien sûr, pas toujours intérêt à la partager. Dans un tel système, on fait face à des blocages répétés. C'est pourquoi depuis l'avènement de Reach, les restrictions ont été si peu ambitieuses, et très souvent, contraires au principe de précaution. La Commission européenne aurait pu décider de rectifier le tir, mais ne le fait pas par manque de leadership politique. Le manque de collaboration de l'industrie est également très problématique, celle-ci s'opposant systématiquement au renforcement de la réglementation au lieu d'investir dans des technologies innovantes.

AE : Quelles en seront les conséquences ? L'objectif de 4 000 à 7 000 substances interdites en 2030 peut-il toujours être atteint à ce rythme-là ?

HD : Notre rapport montre clairement notre inquiétude. La Commission européenne a le pouvoir, si elle le souhaite, d'adopter une approche plus précautionneuse. On pourrait donc avoir l'espoir que la prise de décision en matière d'interdiction des substances les plus dangereuses change, mais pour cela il faut une vraie volonté politique. Pour le moment, la Commission a tendance à se montrer défensive vis-à-vis de ce que les ONG rapportent, au lieu de reconnaître les problèmes et tenter d'y remédier.

Le problème sous-jacent que notre rapport révèle est très sérieux : aujourd'hui, les citoyens ne peuvent pas avoir confiance dans les produits qu'ils utilisent au quotidien, mis sur le marché par des entreprises conscientes et autorisés par les autorités publiques. Pour la majorité de ces produits, il n'y a en effet pas de certitude qu'ils soient sûrs pour l'environnement et leur santé. Cela pose de vraies questions de responsabilité, de transparence et de confiance en nos institutions, et donc de démocratie, nos représentants ayant en effet une obligation de protéger leurs citoyens contre la pollution chimique.

AE : La France a-t-elle soumis des propositions de restriction ou interdiction ?

HD : Oui plusieurs, c'est un des pays les plus actifs. Elle a récemment proposé d'interdire l'usage de la créosote, utilisé pour traiter le bois, ainsi que les substances toxiques présentes dans les couches pour bébés. Cette restriction a malheureusement été abandonnée par la Commission, par manque de données scientifiques sur le risque. C'est un bon exemple d'échec du système actuel : malgré la preuve de la toxicité de ces substances et de leur présence dans les couches, la Commission refuse de prendre des mesures de précaution, du fait d'incertitudes scientifiques, pourtant inhérentes à ce type d'évaluation.

AE : Les industriels prennent-ils leur part de responsabilités ?

HD : La plupart des industriels considèrent que la réglementation des produits chimiques n'a de sens que si elle est justifiée par le risque. Le fait qu'une substance soit dangereuse n'a pas d'importance en soi, si le risque est suffisamment contrôlé. De notre point de vue, il n'est pas toujours possible de contrôler un risque. De surcroît, tous les produits chimiques ne sont pas essentiels (pensez aux microplastiques dans les cosmétiques), et beaucoup ont une alternative plus respectueuse de la santé humaine et de l'environnement. Les industriels raisonnent essentiellement en termes de coût financier à court terme, et omettent ainsi une réflexion sur la durabilité et la sûreté des produits à plus long terme. Les effets d'un produit chimique toxique peuvent se déclencher plusieurs dizaines d'années après qu'une personne y ait été exposée. Certaines substances dites persistantes restent dans l'environnement et affectent les écosystèmes de manière irréversible. C'est pourquoi il est important d'appeler à un leadership politique bien plus prononcé. Les décisions en matière de pollution chimique, ou le manque de décisions en la matière, auront des conséquences très concrètes sur les générations futures : ce n'est donc pas aux industriels de les dicter, mais aux institutions politiques, en se basant sur une vision réfléchie du type de société que nous souhaitons promouvoir pour les décennies à venir.

1. Consulter le rapport
https://eeb.org/wp-content/uploads/2023/04/roadmaptonowhere.pdf

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