
Directeur général de Hespul
Actu-Environnement : En décembre dernier, le gouvernement décidait d'un moratoire sur le dispositif de soutien au photovoltaïque. S'en sont ensuivis un certain nombre de changements décriés par les professionnels (appels d'offres pour les grandes installations et révision trimestrielle du tarif d'achat pour les plus petites). Comment va le secteur photovoltaïque aujourd'hui ?
Marc Jedliczka : Il n'y a pas de suivi fiable des données, ni d'observatoire du marché, donc on ne peut que se fier à des impressions... Mais la situation n'est pas au beau fixe pour les professionnels. La situation est même dramatique pour certains. De nombreux projets ont été annulés et on estime les licenciements à 10.000 voire 15.000 personnes. Ce phénomène passe inaperçu parce qu'il touche de petites entreprises, qui n'intéressent pas les centrales syndicales.
La raison ? On assiste à un effet de concentration, avec un gros poisson, EDF EN, qui s'apprête à racheter les projets des plus petits et qui veut accaparer le marché. Le système tend vers une situation quasi-monopolistique. Tout est fait pour ça ! Les coûts de transaction augmentent artificiellement (raccordement au réseau, lourdeur des procédures, assurances avec l'intégration au bâti…) et les projets ne sont plus sécurisés par un dispositif de soutien fiable. Les petites entreprises ne peuvent pas supporter les risques pour les appels d'offres et même les tarifs d'achat deviennent incertains. Du coup, le banquier ne suit plus, et s'il n'est pas là, la petite entreprise ne peut pas y aller toute seule. En injectant du risque, le gouvernement a sacrifié les petits pour laisser la place aux plus gros. Il y a une volonté farouche de bloquer le photovoltaïque parce que c'est une énergie démocratique : tout le monde peut en produire. Les tenants du système actuel veulent avoir un monopole sur le soleil !
AE : A la veille du moratoire, plusieurs industriels prévoyaient d'implanter en France des usines de fabrication de panneaux photovoltaïques. Qu'en est-il aujourd'hui ?
MJ : Plusieurs projets ont été tout simplement annulés. A ma connaissance, un seul projet est maintenu, celui d'une usine d'assemblage de modules photovoltaïques (150 MW de production annuelle) de Bosch à Vénissieux, près de Lyon. Mais ce cas est particulier : c'est un site de production en reconversion, Bosch s'est engagé à y maintenir des emplois. De plus, le fonctionnement propre de Bosch, qui est une fondation, fait que sa politique n'est pas soumise à une rentabilité à court terme. Ainsi, si Bosch avait développé ce projet pour des raisons économiques, il n'existerait plus aujourd'hui… Pour ce qui est des industriels les plus anciens, ceux-ci espèrent se maintenir à moyen terme, mais leur situation est devenue difficile.
AE : Certains pointent du doigt la concurrence asiatique…
MJ : La concurrence asiatique a été plus qu'exagérée ! On a entendu dire que 80 % de panneaux utilisés en France provenaient d'Asie, ce qui était complètement faux : d'après les douanes, les importations asiatiques ne couvriraient que 20 % du marché français. Mais cela pourrait devenir vrai si on continue à s'acharner à tuer l'industrie française. En fait, on grossit une problématique afin de cacher le fonds du problème…
Le Japon par exemple a une industrie ancienne, de très bonne qualité, tournée en effet vers l'exportation. Mais cela n'empêche pas les Japonais de produire au plus près des marchés. Ils ont des entreprises de fabrication en Europe et envisageaient d'en construire une en France avant le moratoire.
En Chine, des investissements énormes ont été mis sur l'amont de la chaîne. Ce qui n'empêche pas l'Allemagne d'être excédentaire dans sa balance commerciale avec la Chine sur le photovoltaïque... De plus, les Chinois commencent à alimenter leur propre marché. Certains fabricants vont arrêter d'exporter, d'autres pourraient bien venir s'implanter en Europe un jour.
Aujourd'hui, les prix des panneaux baissent énormément. Avec une surproduction au niveau mondial, le photovoltaïque s'approche de plus en plus rapidement de la compétitivité (parité réseau). L'Allemagne pourrait l'atteindre dès 2013. Dans ce contexte, la valeur ajoutée des systèmes pèse moins lourd dans le coût total. Celle de la mise en œuvre, non délocalisable, augmente au contraire. En outre, les usines sont de plus en plus automatisées, ce qui fait que le bas coût de la main d'œuvre est de moins en moins important. Si Photowatt s'est trouvé en difficulté, c'est que son modèle, très intense en main d'œuvre, était ancien, et plus adapté à la nouvelle donne.
AE : Tous les projets n'ayant pas accepté la proposition technique et financière (PTF) de raccordement au réseau des gestionnaires de réseau avant le 2 décembre 2010 sont tombés sous le coup du moratoire. Vous avez annoncé récemment que 16,1 MWc de projets avaient donc été bloqués. Qu'en est-il de leur situation ?
MJ : Certaines personnes sont au bord de la ruine, elles vont devoir vendre leur maison. Dans le milieu agricole notamment, la situation est catastrophique. Mais sur cette question, il n'y a aucune flexibilité de la part du gouvernement, même si Nathalie Kosciusko-Morizet avait laissé entendre dans un premier temps qu'elle était prête à étudier les dossiers au cas par cas. Pourtant, dans la plupart des cas, les porteurs de projets n'ont pas reçu leur PTF et c'est ErDF qui n'a pas respecté le délai imparti de trois mois. Mais ce retard n'est pas attaquable car ce délai de trois mois n'est pas réglementaire, c'est juste un engagement vague. Il n'y a que le politique qui peut assouplir le décret et donner de l'oxygène au secteur…
AE : Qu'attendez-vous des candidats aux élections présidentielles ?
MJ : Les prochaines élections sont notre seul vrai espoir pour le moyen terme. Toutes nos idées ont été présentées lors de la concertation post moratoire, mais aucune n'a été retenue. Le seul côté positif de la concertation, c'est qu'elle a permis aux acteurs de se rencontrer. Aujourd'hui, tout le monde se parle : agriculteurs, industriels, installateurs… Nous allons organiser fin octobre les Etats généraux du solaire où nous allons faire des propositions communes. Si l'on veut construire une filière en France, il faut un volume de marché suffisant. Il est urgent de repartir sur une vraie concertation et d'agir vite. Les acteurs sont en train de survivre.
Propos recueillis par Sophie Fabrégat
*Hespul : association pour le développement de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables