La Fédération européenne pour le transport et l'environnement (Transport & Environnement, ou T&E), qui regroupe plusieurs dizaines d'ONG, est formelle : « Les camions au GNL (gaz naturel liquéfié) ne représentent aucune perspective de réduction des émissions nocives et émettent plus de particules cancérigènes. » L'organisation européenne l'atteste à la suite d'une nouvelle étude comparant les diverses émissions produites par deux camions de type poids lourd du constructeur italien Iveco : le S-Way, roulant grâce à un moteur alimenté en GNL, et le Stralis, doté d'un moteur Diesel, alimenté en gazole. Les mesures ont été réalisées par la Société allemande de recherche pour moteurs à combustion interne et thermodynamique (FTV) et analysées par l'université de Graz, en Autriche.
Le GNL émet plus de méthane, en amont
En premier lieu, T&E s'est attelée de savoir si l'utilisation du GNL permettait réellement de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au gazole, comme le suggère le constructeur ciblé, Iveco. Mandatée par T&E, FTV a donc mesuré les émissions (en CO2 équivalent) de dioxyde de carbone (CO2), de protoxyde d'azote (N2O) et de méthane (CH4) à la fois en aval, au niveau des pots d'échappement des deux modèles de véhicules concernés, et en amont (« well-to-tank », c'est-à-dire de l'extraction du gaz naturel ou du pétrole au remplissage du réservoir du véhicule). L'université de Graz a ensuite évalué la quantité de GES effectivement concentrés dans l'atmosphère pendant vingt ans, puis pendant cent ans après l'émission.
D'après leurs calculs, T&E en conclut qu'un camion roulant au GNL émet en moyenne 13,4 % de plus de GES en vingt ans qu'un camion doté d'un moteur Diesel. Si, au niveau du pot d'échappement, le premier émet effectivement moins de CO2, presque pas de N2O et seulement très légèrement plus de CH4 que le second, les émissions provoquées en amont pour le GNL dépassent celles pour le gazole. Elles sont dues aux fuites de méthane à l'extraction du gaz naturel et aux GES émis, à la fois, par les camions citernes transportant le GNL mais aussi par l'électricité nécessaire à l'alimentation du processus de liquéfaction du gaz naturel en GNL.
Néanmoins, sur une période de cent ans, l'utilisation de GNL plutôt que de gazole engendre 7,5 % d'émissions de GES en moins, selon les chiffres avancés par T&E. La durée de vie dans l'atmosphère du CH4 (d'environ douze ans) est en effet plus courte que celle du CO2 (cent ans). « Compte tenu du fait que le méthane a un impact beaucoup plus important sur le réchauffement climatique que le CO2 dans les vingt ans qui suivent son émission, le récent rapport du Giec montre qu'il faut absolument le réduire afin d'éviter des hausses catastrophiques de température », rappelle cependant T&E dans son étude.
La traque aux particules ultrafines
La société FTV a aussi mesuré la quantité de particules ultrafines (PUF), inférieures à 100 nanomètres (0,1 micron), émises par les deux types de camions examinés. Elle s'est intéressée plus précisément aux PUF de plus de 23 nm (réglementées par les normes Euro VI des filtres à particules des véhicules routiers) et de 23 à 4 nm, non réglementées et peu mesurées à l'heure actuelle. En termes de nombre, le camion d'Iveco roulant au GNL produit ainsi deux à trois fois plus de PUF de plus de 23 nm que son camion Diesel sur l'ensemble du parcours, en particulier en zone urbaine. Seules les portions d'autoroutes ou de routes de campagne, où le moteur n'est pas autant sollicité qu'en ville, favorisent le GNL. Il émet entre 62 et 91 % de moins que le diesel, sur l'autoroute, et 56 % de moins sur les routes de campagne. Quant aux PUF de moins de 4 nm, le nombre total de particules émises par le camion au GNL est 37 fois plus élevé que pour le camion Diesel – et, plus précisément, 18 fois plus en zone urbaine et 147 fois plus en zone rurale.
« Ces résultats montrent que les déclarations affirmant que les camions au GNL réduisent les émissions de particules fines, en comparaison des camions Diesel, sont fausses, soulignent T&E. Les camions au GNL peuvent émettre plus de particules fines que les camions Diesel dans une grande variété de conditions de route et peuvent même surpasser le seuil légal d'émissions sur la route. » Cela étant, l'étude fait malgré tout état d'une réduction des émissions d'oxydes d'azote (NOx) d'environ 60 %, en particulier sur les routes de campagne, par les camions au GNL en comparaison des camions Diesel. (A noter que les résultats de cette étude viennent se confronter à l'ACV rendue publique par Ifp Energies Nouvelles deux ans plus tôt.)
Le biométhane ou bioGNL : alternative insuffisante ?
Par ailleurs, Transport & Environnement en a profité pour interroger la pertinence d'un remplacement du gaz naturel d'origine fossile par du biométhane, d'origine renouvelable, sous forme de bioGNL. Dans son étude, elle présente la conclusion d'une modélisation de la disponibilité du biométhane en comparaison de la demande énergétique des camions dans six pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Espagne et Pologne). « La demande de biométhane pour les camions surpasserait largement la quantité disponible, même avec de généreuses subventions » et rendrait donc cet éventuel remplacement inconcevable.
Selon T&E, même avec des soutiens nationaux six fois supérieurs au prix de détail du gaz naturel, ces six pays ne couvriraient que 4 à 28 % de la demande énergétique pour leur transport routier avec le biométhane. « Seuls les véhicules neutres en émissions sont capables de décarboner le transport routier, en déduit Diane Strauss, directrice de T&E, en référence aux véhicules à hydrogène « vert » ou électriques. Il est temps que les stations de remplissage au gaz naturel soient exclues des objectifs européens d'infrastructure de distribution de carburant, et que le gouvernement français cesse d'inciter à l'achat de camions GNL. »
Revoir la réglementation
Par conséquent, T&E appelle les gouvernements des pays de l'Union européenne et les eurodéputés à rejeter, d'une part, la proposition de l'Union de poursuivre l'installation de stations de distribution de GNL dans le cadre du nouveau Règlement des infrastructures de carburants alternatifs (Afir) issu du paquet législatif « Fit-for-55 ». « L'Union européenne devrait viser une Afir qui se concentre exclusivement sur l'électricité et l'hydrogène renouvelable, supprime effectivement le gaz naturel pour véhicules (GNV, qui inclut le GNL et le GNC, gaz naturel comprimé) de son périmètre et la transformer en un Règlement des infrastructures à zéro émission. »
T&E réclame, d'autre part, que les États-membres mettent fin aux déductions supplémentaires d'amortissement que, par exemple, « la France offre pour promouvoir les ventes de camions au GNL ». De plus, elle préconise de fixer « la date à laquelle tous les camions neufs devront être neutres en émissions d'ici l'année prochaine, lors de l'examen de la loi sur les émissions de CO2 des camions ».