Quel est l'impact sur le taux marginal d'imposition des entreprises d'un transfert des charges patronales sur le travail vers la fiscalité énergétique ? En d'autres termes, une baisse de la fiscalité du travail compensée par une hausse des taxes énergétiques réduit-elle, ou non, la charge fiscale globale des entreprises ? Telle est la question à laquelle le centre de recherche de la Commission européenne (JRC) a tenté de répondre dans une étude évaluant l'impact des réformes fiscales en termes de charge globale pour les entreprises.
"Une hausse des taxes sur l'énergie associée à une baisse des charges sur le travail peut réduire substantiellement les taux marginaux d'imposition effectifs [des entreprises des différents pays et secteurs étudiés] et ainsi conduire à des gains substantiels pour les entreprises", concluent les chercheurs, qui pointent néanmoins la nécessité d'une "réforme suffisamment ambitieuse pour obtenir les effets désirés".
Pour étudier l'impact des réformes fiscales, les chercheurs du JRC ont tout d'abord évalué le taux marginal d'imposition global des entreprises, c'est-à-dire un taux marginal d'imposition qui tient compte à la fois de la fiscalité du capital, du travail et de l'énergie. Ce travail a été réalisé pour 17 pays de l'OCDE et onze secteurs manufacturiers. Ils ont ensuite évalué l'impact qu'aurait, pour les entreprises, un transfert de la charge fiscale d'un facteur de production vers un autre. Objectif de l'étude : évaluer s'il est judicieux de modifier la structure de la fiscalité pesant sur les entreprises de sorte à favoriser l'emploi et la croissance.
Transférer les charges sociales à l'énergie
Pour évaluer l'impact d'un transfert fiscal, les chercheurs ont choisi d'étudier une réforme souvent évoquée : une baisse des charges patronales portant sur le travail (une baisse des charges payées par le salarié n'est pas évalué par l'étude) associée à une hausse de la fiscalité énergétique, le tout à prélèvement constant. "Ce type de réforme est défendue depuis longtemps comme un moyen de réduire efficacement les émissions de CO2 tout en créant des emplois et en incitant, via l'efficacité énergétique, à améliorer le rapport coût-efficacité et l'innovation", expliquent-ils, citant en particulier la Commission européenne qui a repris cet argument dans le cadre de sa Feuille de route vers une économie bas carbone d'ici 2050 présentée en mars 2011.
Concrètement, la réforme proposée consiste à augmenter la fiscalité énergétique de telle sorte à compenser les pertes de recettes liées à la baisse de la fiscalité sur le travail. Dans ce modèle, la baisse du coût du travail est donc le facteur déterminant et la fiscalité énergétique n'est considérée que comme une variable d'ajustement. Les calculs ont porté sur des réductions des charges patronales sur le travail allant de 5 à 100%, par tranche de 5%.
Compte tenu des différences de structure fiscale, l'impact d'une telle réforme varie selon les pays. Néanmoins, à deux exceptions près (le Danemark et les Pays-Bas), le taux marginal d'imposition global des entreprises baisse dans tous les pays. Cette baisse est plus marquée dans les pays ayant des charges sociales élevées, à l'image de la France, de la Suède et de l'Autriche.
Par ailleurs, la baisse du taux marginal n'étant pas linéaire, l'effet obtenu est réellement bénéfique pour les entreprises si le transfert est "suffisamment ambitieux". L'étude n'indique pas ce qu'est une réforme "ambitieuse", mais elle précise qu'un transfert intégral de la fiscalité du travail vers l'énergie entraînerait, pour la France, la Suède et l'Autriche, une baisse de l'ordre de 10 points du taux marginal d'imposition global des entreprises. En revanche, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, compte tenu du faible niveau des charges sociales patronales, les entreprises ne verraient leur taux marginal d'imposition global baisser que de moins de 2 points en cas de transfert complet.
Une réforme trop radicale pour être appliquée ?
Reste que dans les faits, une telle stratégie fiscale est délicate à mener, estime l'étude. En effet, le plus souvent, une réduction fiscale portant sur un facteur donné est compensée par des hausses réparties sur de multiples facteurs. La substitution "pure" de la fiscalité portant sur le travail vers l'énergie apparaît donc bien hypothétique, concèdent les auteurs. Le scénario étudié est d'autant plus hypothétique que les chercheurs notent que les gouvernements ont actuellement tendance à vouloir améliorer la compétitivité à l'export en compensant les baisses de charges sociales accordées aux entreprises par une hausse des taxes sur la consommation, plutôt que sur l'énergie.
Les chiffres avancés par l'étude viennent par ailleurs souligner l'ampleur du virage fiscal à réaliser, si un Etat souhaitait abandonner les charges patronales sur le travail en puisant dans le secteur énergétique les recettes manquantes. Pour la plupart des pays étudiés, il faudrait fixer des taxes sur l'énergie à des taux marginaux compris entre 100 et 400%. Ainsi, pour la France, alors que le taux marginal global sur le travail est de 53% et celui sur l'énergie de 9%, l'abandon des charges patronales sur le travail induirait un taux marginal de 11% sur le travail et de 474% sur l'énergie. A noter que dans une telle situation, la France se distinguerait des seize autres pays étudiés en ayant le taux marginal sur l'énergie le plus élevé. La moyenne s'établissant à 228% et le plus faible niveau étant celui du Japon (79%).
Une réduction de moitié des sommes collectées via les charges patronales sur le travail conduirait, pour la France, à un taux d'imposition marginal global sur le travail de 32% et de 242% pour l'énergie. Là encore, la France aurait le taux d'imposition marginal applicable à l'énergie le plus élevé, la moyenne étant de 119% et le plus faible étant de 43% pour les Etats-Unis.
Dernier détail, les réductions les plus importantes du taux marginal d'imposition global des entreprises bénéficieraient, sans grande surprise, aux secteurs employant beaucoup de personnels, tels que le textile et le cuir ou les transports. A l'opposé, les secteurs très intensifs en énergie, notamment les métaux non-ferreux, l'acier ou le papier, bénéficieraient moins du basculement proposé dans l'étude. Mais, "il est intéressant de noter que dans pratiquement tous les cas, un tel virage conduit effectivement à une baisse du taux marginal d'imposition global des entreprises".