Sur quels leviers les collectivités et les acteurs de l'immobilier peuvent-ils déjà s'appuyer pour tendre vers un usage sobre des espaces ? C'est ce à quoi ont tenté de répondre les différents intervenants durant la conférence, organisée par l'Observatoire de l'immobilier durable (OID) et le Plan Bâtiment durable, le 5 mars dernier à Paris. Pour rappel, l'objectif de « zéro artificialisation nette » (Zan) des sols est inscrit dans le plan biodiversité de juillet 2018, sans toutefois définir une échéance. Dans une instruction, datant du 29 juillet 2019, le Gouvernement a réaffirmé la mise en place du principe de zéro artificialisation nette « du territoire, à court terme » en mobilisant les préfets et les acteurs locaux. L'État doit déterminer, dans une prochaine feuille de route, à quelle date cet objectif pourra être atteint et la trajectoire pour y parvenir. En juillet dernier, le Gouvernement a créé un groupe de travail multi-acteurs chargé d'évaluer les solutions.
En moyenne, 20 000 hectares d'espaces naturels par an en France sont actuellement artificialisés, selon France Stratégie, l'organisme de prospective rattaché à Matignon.
« Construire différemment », « végétaliser »
Dans un rapport paru en juillet 2019, France Stratégie a étudié trois scénarios, avec l'objectif de freiner l'artificialisation à l'horizon 2030. Aujourd'hui, le secteur de l'habitat représente 42 % des terres artificialisées, suivi par les infrastructures de transports à hauteur de 27,8 %, qui sont les deux principaux facteurs, a rappelé Julien Fosse, auteur de ce rapport, durant la conférence. « Le bâti agricole est aussi une source importante de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf), avec environ 8 % de cette consommation », a-t-il ajouté. Pour atteindre le Zan dès 2030, France Stratégie recommande deux principaux leviers : « inciter fortement » les communes à densifier les nouvelles constructions, en instaurant des planchers de densité minimaux, ainsi que des taux de renouvellement urbain minimaux dans les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Le promoteur immobilier Nexity s'appuie sur ces leviers (la densification et le renouvellement urbain), ainsi que sur la réintégration de la végétalisation, dans ses projets de construction. Pour Marie Verrot de Nexity : « La question n'est pas tant que l'on va s'arrêter de construire, mais plutôt de comment est-ce-que l'on va construire différemment et avancer vers cet objectif de Zan ? ». Elle a indiqué qu'il y aura une demande de logements croissante en France d'ici 2040, avec sept millions de Français en plus. Et pour y répondre, « il faudra construire environ 400 000 logements par an ». Selon Mme Verrot, le premier levier à activer pour viser le Zan, est la densification qui est « à privilégier à l'étalement urbain ». Le deuxième est le renouvellement urbain, c'est-à-dire de « construire sur des fonciers qui sont déjà artificialisés ».
Marie Verrot souligne également la place de la nature qui « a un rôle à jouer » dans la densification. « Réintroduire de la biodiversité et de la nature en ville fera que l'on rendra cette densité certainement plus acceptable. Il y a aussi la question de l'acceptabilité de la hauteur qui est fondamentale », a-t-elle expliqué. Elle a cité en exemple le projet de Nexity de tour baptisée « Emblematik » à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), livrée en 2019, et où l'architecte a incorporé quatre jardins suspendus dans la construction. « Cela vient ajouter de la nature à l'intérieur du bâti. Il faut aussi que cela permette de libérer des emprises au sol pour des espaces de pleine terre. Car végétaliser des jardins ou des balcons n'est pas suffisant et n'a pas les mêmes propriétés que des espaces de pleine terre, et que tout ce qui peut être mis en œuvre pour désimperméabiliser, notamment nos villes », a détaillé Mme Verrot. Un autre levier de renouvellement urbain est la réhabilitation du bâti existant. Et de citer la reconversion en bureaux des Magasins généraux de Pantin en 2016, où Nexity y a aussi végétalisé 1 000 m2 de toitures. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, plaide également pour « adapter dès maintenant le bâti existant aux besoins des ménages ».
S'attaquer aux logements vacants
La renaturation n'est pas la panacée
Parmi les solutions souvent citées pour lutter contre l'artificialisation, Julien Fosse a émis des réserves concernant la renaturation. Ce processus consiste à restituer un terrain dans son état naturel initial. Or, « la renaturation n'est pas une réparation de l'artificialisation des sols ni une compensation (car) à partir du moment où l'on a détruit une terre, retrouver un état proche de son état naturel initial est quasiment impossible ». Et, aujourd'hui, la renaturation « ne constitue pas un dispositif économiquement viable pour réparer l'artificialisation ». La renaturation a un coût élevé dès lors qu'il faut prévoir une déconstruction, une dépollution, ou une désimperméabilisation des sols. La facture du processus total est de 100 à 400 euros le mètre carré, hors coût de déconstruction, selon M. Fosse. Le procédé coûte cher par rapport au prix moyen des terrains constructibles, qui est de 130 euros par m2.
Le rôle de l'État et des collectivités dans la planification
Julien Fosse a souligné le rôle « fondamental » de l'État et des collectivités locales. L'État est à la fois en charge de la définition du cadre réglementaire de la planification et de la mise en œuvre d'aides à la pierre. France Stratégie préconise notamment d'« exclure de l'éligibilité au dispositif Pinel et au prêt à taux zéro, les constructions sur des terres non artificialisées ». De même, les conseils régionaux, par le biais du schéma de planification « Sraddet », « vont avoir un rôle accru d'orientation de prescriptions de la consommation globale des espaces à l'échelle de la région », souligne M. Fosse. Tandis que « les leviers seront les plus importants » à l'échelle des communes, ajoute-t-il, par le biais du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) et du schéma de cohérence territoriale (SCOT).