
Chantal Jouanno : En France, les énergies renouvelables relèvent de la mission de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, de même que la gestion des déchets et les questions de dépollution des sols, de qualité de l'air et le bruit. Avec un budget de plus de 53 millions d'euros par an en recherche pure, l'établissement public se doit d'apporter expertise et éléments chiffrés pour que l'Etat puisse arbitrer les choix politiques concernant le développement de ces secteurs tant au niveau national qu'international. Mon ambition est bien de la positionner dans ce rôle, et non pas comme arbitre au service des politiques.
AE : Durant le Grenelle de l'environnement, une expertise sur le bilan écologique et énergétique des agrocarburants de première génération a été commandée à l'Ademe par le Comité opérationnel des énergies renouvelables et le ministère en charge de l'écologie. Le groupe Bioéthanol s'estime déjà satisfait des résultats de cette étude en terme de gains énergétiques et de réduction des Gaz à effet de Serre (GES) des agrocarburants. Pouvez-vous préciser ?
CJ : Cette étude, pilotée par l'Ademe, a été confiée à un consultant et réalisée en partenariat avec le Meeddat, le ministère de l'Agriculture, l'Institut français du pétrole (IFP) et l'Office national interprofessionel des grandes cultures (Onigc). Elle sera rendue publique dans une quinzaine de jours. D'ores et déjà, je tiens à préciser qu'elle porte non pas sur des résultats, mais sur la méthodologie à appliquer pour établir le référentiel de rendement énergétique, d'émissions de GES et de polluants atmosphériques locaux des biocarburants. En 2002, une première étude de l'Ademe avait conclu au bilan positif des biocarburants en terme d'émissions de CO2 et de gain énergétique (60% pour le bioéthanol produit à partir de blé et de betterave et 70 à 75 % pour le diester produit à partir de colza et de tournesol). Mais alors, des divergences sont apparues entre les méthodes d'analyse du cycle de vie et du bilan environnemental des biocarburants déployées par les différents Etats membres de l'Union européenne.
AE : Cette nouvelle étude permettra-t-elle de dépasser la polémique sur le bénéfice environnemental du développement des agrocarburants ?
CJ : Cette étude montre que la production de biocarburants permettrait globalement un gain net d'émissions de GES. Mais il reste à compléter les données par une étude filière par filière, culture par culture, ce que nous allons proposer de faire. Le grand mérite de cette étude est de mettre en exergue l'enjeu majeur du changement d'affectation des sols, conformément au projet de directive européenne sur les biocarburants qui pose le principe d'interdiction du changement direct d'affectation des sols. Les jachères peuvent être cultivées. Mais si on transforme les puits de carbone que sont les prairies et les forêts en terres de culture pour des biocarburants, le bilan d'émissions de GES est très négatif. La généralisation de cette pratique à l'échelle de la planète soulève de grandes incertitudes quant à l'impact sur le changement climatique. Si on supprime une forêt au profit de diester à base de colza, il faut 200 ans pour revenir à un bilan CO2 positif. En France, nous n'avons pas eu besoin de mettre en culture des terres supplémentaires pour le développement des biocarburants. Nous n'avons pas non plus détruit des forêts ou des prairies pour trouver de nouvelles terres de cultures vivrières en remplacement d'autres dont la vocation aurait changé au profit des biocarburants. Par contre, nous ne savons pas ce qu'il en est au niveau européen de ces changements indirects d'affectation des sols, de ces effets dominos aux bilans CO2 très négatifs.
AE : Quelles sont les autres nouveautés de cette étude ?
CJ : Les impacts environnementaux et d'émissions de GES des biocarburants ne sont plus basés sur une allocation massique mais sur une allocation énergétique, comme dans le projet de directive européenne ou les méthodologies élaborées par l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. En d'autres termes, pour répartir les émissions de GES entre les biocarburants et les co-produits de fabrication (les tourteaux par exemple), on se base maintenant sur la consommation d'énergie nécessaire à leur production. Et puis, le GES qu'est le protoxyde d'azote lié à l'utilisation d'engrais est désormais pris en considération, avec comme base de référence le niveau établi par le Panel intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC), soit 296 équivalent CO2. L'incertitude sur le calcul de ces émissions reste grande, de l'ordre de 5 à 10%.
AE : Vous employez le terme de biocarburant qui suggère un carburant produit en agriculture biologique. Pour éviter cette confusion, pourquoi ne pas employer le terme d'agrocarburant ?
CJ : Biocarburant est le terme employé dans les textes de loi et les réglementations, je me dois de m'y conformer. Cette question sémantique est profondément politique. Elle n'était pas dans le champ de l'étude, de même que les enjeux agricoles alimentaires et les impacts sur la ressource en eau du développement des biocarburants.
AE : Où en est la normalisation des agrocarburants de première génération ?
CJ : Au niveau international, les Etats-Unis et le Brésil ont pris le pilotage du groupe ISO. Au niveau européen, les Etats membres viennent d'adopter la proposition des Pays-Bas de constituer un groupe de réflexion sur la normalisation des biocarburants de première génération au sein du Comité européen de normalisation (CEN). Six critères de durabilité des biocarburants ont été retenus : les impacts environnementaux (incluant l'eau), le bilan gaz à effet de serre (objet de notre étude), la compatibilité avec les autres usages agricoles (alimentation, matériaux comme la paille pour les chaises), impacts sur la biodiversité, impacts environnementaux (en terme d'érosion des sols, de production de déchets, des besoins en eau et des émissions de polluants), le développement économique et le bien social.
AE : Une seconde génération d'agrocarburants est évoquée. Ils seraient fabriqués non plus seulement à partir des graines et des plantes, mais aussi avec les matières organiques non comestibles des plantes dont la dégradation naturelle sur le sol participe à la constitution de l'humus nécessaire à leur régénération ou encore avec le bois des arbres. Où en est le développement de cette filière ?
CJ : Selon le rapport Jarry, deux filières sont à l'étude : l'éthanol avec le projet pilote Futurol et le diester avec le projet Sofiprotéol en cours d'étude. Ces deux expérimentations permettront d'améliorer le bilan environnemental de ces filières et de constater le gain en terme de rendement énergétique. L'enjeu prioritaire de ces recherches est celui de la productivité. En effet, si l'on voulait substituer l'ensemble des combustibles fossiles consommés en France par des biocarburants de première génération, il faudrait développer à cette fin des cultures sur une surface équivalente à quatre fois celle de la France.
AE : Où en sommes nous de la production des autres carburants de substitution que sont les huiles végétales pures et le biogaz ?
CJ : Les huiles végétales pures présentent un problème d'émissions de polluants atmosphériques, mais le vrai sujet est plutôt mécanique. L'usage de l'huile végétale pure présente de vrais dangers pour les moteurs. Si un tracteur tombe en panne en plein champ, c'est simplement gênant ; c'est en revanche très grave s'il s'agit d'un bateau. La valorisation de la biomasse en biogaz et la méthanisation sont pour nous des priorités. L'Allemagne compte plus de 3.500 sites de méthanisation, la France six seulement. 128 projets à l'étude sont actuellement suivis par l'Ademe. Le Grenelle a posé l'objectif d'en financer 60 dans les trois ans à venir. Vous savez aussi que nous avons un rôle très actif dans le développement de la filière bois-énergie, dont nous avons augmenté les exigences en terme de polluants atmosphériques afin de préserver la qualité de l'air. Dès lors que l'on progresse vers l'objectif de production de masse, 23% d'énergie renouvelable en 2020, les exigences environnementales s'accroissent. C'est normal.