L'agriculture française doit engager un « tournant » vers l'agroécologie si elle veut assurer sa résilience face aux crises successives et garantir la souveraineté alimentaire du pays. C'est le constat sans appel du Réseau Action Climat (RAC), dans un rapport publié ce mardi 4 juillet. Le collectif préconise que le modèle agroécologique soit « massivement soutenu par les pouvoirs publics et le monde agricole ».
Un secteur menacé de toutes parts
Le secteur agricole est particulièrement fragile face aux crises climatiques et économiques qui se multiplient. Les risques majeurs auxquels il est confronté sur le territoire français, selon le Giec, sont les sécheresses et vagues de chaleur, les inondations et les diminutions de rendements, menaçant la sécurité alimentaire. La crise déclenchée par la guerre en Ukraine l'a bien montré : le secteur dépend d'équilibres fragiles. Outre l'emballement du cours du blé, celle-ci a entraîné une hausse des prix de l'énergie qui s'est répercutée sur le coût des intrants : + 113 % pour celui des engrais et amendements entre 2020 et 2022. Des produits dont la France dépend grandement de l'importation, notamment pour les céréales. Elle dépend également de celle du gaz, utilisé pour la fabrication d'engrais de synthèse. Les produits français sont aussi massivement exportés, une situation qui accentue la vulnérabilité des agriculteurs à cause de la fluctuation des prix de vente. Mais les importations sont en hausse : la filière porcine importe désormais autant qu'elle exporte.
À ces enjeux s'ajoute celui du changement climatique, dont l'impact sur les rendements s'observe déjà. « Selon les estimations, il y a eu une perte de 9 à 10 % de la production totale des céréales entre 1981 et 2010 » pour les principales cultures (maïs, soja, riz, blé), selon le RAC. « Mais le pire est à venir », alerte le collectif. D'après la Commission européenne, les surcoûts associés aux effets du changement climatique sur le secteur se chiffrent à hauteur de 3 milliards d'euros en France, rien que pour l'année 2022.
Or, « l'agriculture de filières intégrées et spécialisées, qui reste le modèle promu aujourd'hui, ne permet pas la souplesse et l'adaptation que nécessitent ces changements. En misant essentiellement sur l'accroissement de la productivité et les économies d'échelle, ce modèle agricole dominant n'arrive plus à encaisser les chocs et est extrêmement vulnérable face aux crises économiques à répétition et au changement climatique ». Pour le RAC, il n'y a donc pas d'autres solutions alternatives que l'agroécologie, « le modèle le plus résilient sur le long terme », le moins dépendant aux prix de l'énergie et des engrais, et le moins néfaste pour la biodiversité – tout en assurant une atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Haut Conseil pour le climat rappelait encore récemment dans son rapport annuel que l'agriculture doit se transformer pour assurer le rôle de puits de carbone des sols agricoles.
Un modèle qui se pense en systèmes
Les caractéristiques de l'agroécologie (agroforesterie, absence de traitement phytosanitaire, allongement des rotations et couverture permanente des sols, enherbement des vergers…) doivent être articulées en différents systèmes, dont le RAC fait un état des lieux.
Dans les systèmes autonomes et économes, les objectifs de production d'une exploitation sont calibrés sur ses propres capacités de production. Associant sobriété des usages et changements organisationnels et structurels, elle est ainsi plus adaptée aux changements climatiques, grâce à « un plus fort taux de biodiversité et d'infrastructures agroécologiques ». La résilience est également économique, avec la réduction de l'utilisation, voire l'absence d'intrants onéreux ; moins de frais liés aux bâtiments et aux équipements ; et des exploitations généralement « moins endettées et ayant accumulé moins de capital, ce qui les rend plus facilement transmissibles ».
Les systèmes diversifiés sont basés sur « des ateliers de production plus variés, des rotations plus longues avec des cultures plus diversifiées, dont des prairies temporaires et des légumineuses, et des parcelles plus nombreuses et plus petites ». Ils peuvent aussi associer élevage et culture. La résilience est double : d'une part, économique, avec de multiples sources de revenus, qui sont donc consolidés. D'autre part, agronomique, la diversification des cultures favorisant une meilleure infiltration de l'eau et donc sa plus grande disponibilité – et diminuant ainsi la pression due aux sécheresses. La fertilité des sols est en outre meilleure, tandis que la biodiversité contribue au biocontrôle.
Le système dit de « travail avec la nature » mise sur une approche écosystémique ou de maintien et restauration d'écosystèmes fonctionnels : préservation des espaces naturels au sein et autour des exploitations (haies, arbres isolés, zones humides, prairies…) et semences paysannes sont ainsi privilégiées. La résilience des exploitations est donc assurée à plusieurs niveaux, avec la régulation des inondations, mais aussi l'amélioration de la ressource en eau. Les haies exercent par exemple un « effet microclimatique positif […] sur les rendements » en réduisant l'évapotranspiration des cultures. Un tel modèle garantit également une meilleure résistance aux vagues de chaleur, avec des îlots de fraîcheur qui bénéficient aux animaux. Quant aux semences anciennes ou paysannes, si leur rendement est moindre, elles sont en revanche plus résistantes aux sécheresses.
Enfin, le travail d'échanges de connaissances et de compétences ainsi que les partenariats entre acteurs à l'échelle du territoire constituent une approche collective de l'agroécologie, aux bénéfices socioéconomiques nombreux : mutualisation de matériel, de la réparation ou encore circuits courts.