Les augmentations de taxes sur les carburants son "annulées pour l'année 2019", a annoncé François de Rugy mercredi 5 décembre. Avec cette annonce, le gouvernement avait déjà franchi une étape de plus sous la pression du mouvement des "gilets jaunes". En effet, le Premier ministre n'avait annoncé la veille qu'un moratoire sur la hausse des taxes.
Mais Edouard Philippe est allé encore beaucoup plus loin jeudi 6 décembre à l'occasion d'une déclaration sur la fiscalité écologique devant le Sénat. Il s'agit désormais de supprimer la trajectoire de la fiscalité carbone votée l'année dernière pour l'ensemble du quinquennat. Une remise en cause d'ampleur.
"Influencer le choix des acteurs économiques"
La contribution climat-énergie, plus communément appelée "taxe carbone", a été créée par la loi de finances pour 2014. La progressivité de la taxe a été actée par la loi de transition énergétique de 2015 portée par Ségolène Royal, qui se joint pourtant, aujourd'hui, aux critiques pour dénoncer une fiscalité écologique punitive.
Retouchée par la loi de finances rectificative pour 2015, la trajectoire de la composante carbone a été renforcée par Nicolas Hulot, via la loi de finances pour 2018, sans remettre en cause l'objectif final d'un prix de 100 euros la tonne de CO2 en 2030, acté en 2015. Cette augmentation, lisible sur les cinq années à venir, doit permettre "d'influencer les choix des acteurs économiques et de favoriser l'innovation verte, notamment en améliorant l'efficacité énergétique et en développant l'utilisation de produits énergétiques moins carbonés", avait alors expliqué le ministre de la Transition écologique et solidaire.
Cette année, le gouvernement n'avait pas prévu de modifier cette trajectoire. Couplée à la mise en œuvre de la convergence entre le diesel et l'essence, elle devait se traduire par une hausse de la fiscalité de 6,5 centimes d'euros par litre pour le diesel (ct€/l) et de 2,6 ct€/l pour l'essence au 1er janvier 2019. Cette augmentation sera donc annulée, tout comme la fin de la niche fiscale sur le gazole non routier qui était inscrite dans le projet de loi de finances pour 2019 (PLF 2019) et devait générer 1 milliard d'euros (Md€) de recettes supplémentaires.
Le Premier ministre a indiqué ce jeudi 6 décembre que le gouvernement ne reviendrait pas sur l'amendement voté par les sénateurs le 26 novembre. La Chambre haute avait voté, contre l'avis de l'exécutif, un amendement qui gèle les tarifs de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) à leur niveau de 2018. Autrement dit, il a purement et simplement supprimé la trajectoire de la fiscalité prévue jusqu'en 2022. Les membres de la commission des finances avaient dénoncé un "véritable "coup de massue" pour la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des Français, en particulier les plus modestes et ceux qui vivent dans les zones rurales". Pour les sénateurs, le recours à la fiscalité écologique a surtout une finalité de rendement au profit du budget de l'Etat, chiffrant à 46 Md€ la hausse cumulée de la TICPE sur le quinquennat.
Se passer à terme des énergies fossiles
Le manque d'accompagnement social et de mesures redistributives explique le blocage constaté. "La fiscalité carbone sans recyclage ciblé des recettes est, par nature, anti-redistributive : elle pèse en proportion plus sur les ménages pauvres que sur les riches, et, pour les carburants, de plus en plus lourdement à mesure qu'on s'éloigne des centres villes. Si elle ne s'accompagne pas de mesures correctement ciblées, elle aggrave la précarité énergétique", explique Christian de Perthuis, ancien président du Comité pour la fiscalité écologique. "Il ne faut pas mentir au citoyen : l'accélération de la transition bas carbone exigera dans les années qui viennent un renchérissement des énergies fossiles. Si l'on veut réaliser cette transition sans laisser une fraction croissante de la population au bord de la route, il est urgent de mettre en place un filet de sécurité", ajoutait le professeur d'économie le 7 novembre dans les colonnes d'Actu-Environnement.
Le souci vient du fait que ces mesures d'accompagnement ne sont pas venues ou sont restées insuffisantes. Et le gouvernement jette aujourd'hui le bébé avec l'eau du bain en annulant les mesures fiscales déjà inscrites dans la loi. "La fiscalité écologique ne représente aujourd'hui que 7 % du prix de l'essence et 13 % du prix du gazole et reste un outil nécessaire dans tous les secteurs pour, à terme, se passer des énergies fossiles et réduire les émissions qui causent les dérèglements climatiques et la pollution de l'air", rappelle le Réseau Action Climat (RAC).
Ce réseau, qui fédère les associations en lutte contre les causes des changements climatiques, demande par conséquent au gouvernement de concilier fiscalité écologique et justice sociale. Parmi les mesures d'accompagnement, les ONG citent le chèque énergie et un chèque mobilité pour les personnes les plus vulnérables, des mesures vis-à-vis de l'industrie automobile pour développer des véhicules plus autonomes, ainsi qu'une équité fiscale pour mettre à contribution les secteurs les plus polluants.
Pour Maxime Combes d'Attac France, le principe de la fiscalité carbone peut être sauvé si le gouvernement instaure "unilatéralement et immédiatement" une taxe carbone sur les sites industriels français soumis au marché carbone. "Les exemptions existantes sur le kérosène et le fioul lourd ne sont en effet que la partie émergée de l'iceberg. L'essentiel des sites industriels et des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre en France sont en effet exonérés de la taxe carbone payée par les ménages, les artisans et les petites entreprises", dénonce l'économiste sur Médiapart. Le manque à gagner généré par l'annulation des taxes sur le carburant, qui s'élève à près de 4 Md€ sur 2019, pourrait être compensé par cette nouvelle fiscalité, assure le militant pour la justice climatique.