Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll s'est prononcé ce 1er juin devant la presse pour une interdiction sous quinzaine du pesticide Cruiser OSR utilisé en traitement de semence pour le colza, après avoir reçu l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Un avis confirmant, selon lui, "l'effet néfaste" de la substance active de l'insecticide, le thiamétoxam, sur le comportement des abeilles butineuses. Cet avis, publié ce vendredi matin, avait été demandé fin mars par le précédent ministre Bruno Le Maire après la publication d'une étude de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Cette étude prouvait l'impact du thiaméthoxam de la famille des néonicotinoïdes "même à faible dose" dans la survie des abeilles "non pas par toxicité directe mais en perturbant leur orientation et leur capacité à retrouver la ruche''.
Anses : substance préoccupante sur les résidus de nectar
L'Anses a été saisie afin de réévaluer l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Cruiser OSR délivrée en France depuis juin 2011, suite à un premier avis prononcé en octobre 2010 par la même agence alors favorable à la commercialisation du produit. Dans ce premier avis, l'agence stipulait que "l'usage de la préparation Cruiser OSR (...) satisfaisait à l'ensemble des conditions de sécurité requises".
Suite aux conclusions de l'Inra, l'Anses se veut aujourd'hui prudente. Dans ce nouvel avis, l'agence considère que les résultats de l'étude ''mettent en évidence un effet d'une dose sublétale de thiaméthoxam sur le retour à la ruche". Toutefois, tempère l'agence sanitaire, "dans les conditions de pratiques agricoles actuelles", la dose d'exposition des abeilles à la substance via les résidus de nectar de colza est seulement de 0,1 à 0,33 nanogrammes (ng) par abeille. Or, les "données réelles de terrain" montrent que cette dose s'avère ''quatre fois inférieure" à la plus forte dose utilisée dans l'expérience menée par les chercheurs qui était de l'ordre de 1,34 ng/abeille, a souligné devant la presse Marc Mortureux, directeur général de l'Anses. L'agence estime toutefois qu'une exposition à cette dose "ne peut être totalement exclue dans des circonstances particulières". ''Nous considérons que ce sont des éléments nouveaux qu'il va falloir approfondir'' sachant que cette étude ''est basée sur des doses supérieures à la réalité et qu'il va falloir étudier les différents niveaux d'exposition'', a souligné M. Mortureux.
L'étude examinée par l'agence montre, en outre, que "les méthodologies d'évaluation actuelles ne permettent pas d'évaluer complètement" ce type d'effet en particulier lorsque la plante traitée est une plante nectarifère qui permet à l'abeille butineuse de s'alimenter. "Ces éléments nouveaux" démontrent donc "un manque de sensibilité des critères réglementaires actuels. Nous recommandons par conséquent que, sur la base de cette étude et son approche méthodologique originale (s'appuyant sur la technologie RFID ndlr), qu'il y ait un travail qui soit fait pour renforcer le cadre réglementaire et mieux prendre en compte ces phénomènes de type comportemental mais qui ont potentiellement des conséquences sur la mortalité des abeilles'', a déclaré le directeur de l'Anses.
M. Mortureux a cependant insisté sur ''la multifactorialité" des mortalités de colonies "à savoir les expositions à de substances chimiques mais aussi la présence de parasites, de virus et leur interaction potentielle'' affectant les abeilles. L'autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a également été saisie du même sujet et "a abouti à des conclusions comparables" au niveau de l'UE, a précisé l'Anses.
Des études de terrain vont être poursuivies par l'Inra et d'autres organismes de recherche, a indiqué M. Mortureux. "Ce travail permettrait de valider un protocole d'étude permettant de mieux décrire les effets sublétaux d'une exposition aux néonicotinoïdes, et pourrait être pris en compte dans l'évolution de la réglementation européenne", préconise l'avis. L'Anses a également saisi l'Efsa pour ''engager une réévaluation au niveau européen des substances actives néonicotinoïdes (thiamethoxam, clothianidine,…) sur la base des données scientifiques nouvelles issues des études récentes". L'avis de l'Efsa devrait être rendu en décembre.
"Un délai de 15 jours" pour Syngenta
Dans son avis, l'Anses estime que l'exposition d'abeilles butineuses aux résidus contenus dans les gouttelettes de guttation observée à l'extrémité apicale de la feuille de maïs traité avec la préparation Cruiser 350 "est considérée comme peu probable".
Par ailleurs, dans le cadre de l'évaluation de la demande d'AMM pour cette préparation, un essai de plein champ a été examiné par l'agence pour évaluer le risque lié à la formation de gouttelettes de guttation sur de jeunes plants de maïs traité pour des colonies placées en bordure des parcelles. Au cours de cet essai, "il n'a pas été observé de mortalité significative ni de différence sur la force des colonies et sur les surfaces occupées par les réserves et les stades larvaires", conclut l'agence.
Les apiculteurs se disaient inquiets d'une interdiction tardive par rapport au calendrier de commande des graines de colza, semées en août. Le ministre a d'ores et déjà assuré que "l'autorisation de semis qui avait été donnée allait être retirée". Une annonce du nouveau gouvernement qui a aussitôt ''réjoui" l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf). Pour Olivier Belval, président de la fédération,"cette décision va dans le bon sens mais le ministre de l'Agriculture doit aller plus loin pour sauver l'apiculture'' et "abroger toutes les AMM Cruiser".
De son côté, le groupe Syngenta avait déjà contesté les conclusions de l'étude de l'Inra dès sa parution dans la revue "Science". Les abeilles de l'expérimentation ont été exposées à une dose "30 fois plus élevée qu'en conditions réelles", estime la firme d'agrofourniture. Syngenta a assuré jeudi 31 mai dans un communiqué qu' "aucun cas de mortalité de colonies d'abeilles lié à Cruiser OSR n'a été signalé".