
Président de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf)
Actu-Environnement.com : L'Unaf a présenté mi-novembre le bilan 2011 des récoltes de miel. Comment doit-on l'interpréter ?
Olivier Belval : La production française de miel a stagné en 2011 aux environs des 20.000 tonnes. Elle se situe au deux tiers au niveau de production que nous avions constaté en France avant la mise sur le marché de pesticides neurotoxiques tels que d'abord le Gaucho, le Régent ou maintenant le Cruiser. Loin du niveau de production de 32.000 à 33.000 tonnes qui étaient fréquentes jusqu'en 1995 ! La raison : le taux de mortalité des abeilles françaises de 30% en moyenne. Les causes de mortalité des abeilles s'expliquent prioritairement par les pesticides utilisés sur des dizaines de milliers d'hectares. Mais la disparition des abeilles est également liée à un type d'agriculture, notamment la monoculture généralisée entraînant un appauvrissement de la diversité alimentaire. Viennent ensuite s'ajouter en cascade la pression de virus, de bactéries qui sont des agents pathogènes ou des parasites opportunistes comme le Varroa qui s'attaquent à des abeilles déjà affaiblies. Les variations climatiques telles que les sécheresses importantes et les pluviométries inhabituelles touchent l'apiculture mais ce n'est pas le problème principal !
L'impact sur les récoltes de miel n'est pas non plus directement lié à la pression du frelon asiatique entré en France en 2004. Le Vespas velutina est pour l'instant implanté dans la moitié du territoire français, dont tous les départements du sud de la Loire ou des Alpes Maritimes mais aussi en Aquitaine. Pour l'heure, les attaques de l'insecte sont ciblées sur des petits ruchers qui ne sont pas transhumants. Mais nous craignons à l'avenir un impact plus grave sur l'ensemble du territoire français.
AE : Pourtant, le ministre de l'Agriculture a réaffirmé qu'il n'existait pas pour l'instant les éléments techniques scientifiques d'un lien entre le pesticide Cruiser et la disparition des abeilles. Où en sont les actions en justice que vous menez pour obtenir son retrait du marché ?
OB : Le problème du Cruiser est ubuesque. Malgré l'annulation par le Conseil d'Etat de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Cruiser 350 utilisé sur le maïs pour les années 2008, 2009 et 2010, le ministère continue de s'entêter à privilégier les intérêts privés de la société Syngenta pour la mise sur le marché de ces produits, en s'appuyant sur des avis incomplets et orientés de l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) et jugés non conformes à la réglementation. Concernant l'AMM 2011 du Cruiser, nous avons déposé un recours devant le tribunal administratif de Versailles désormais saisi de cette affaire, après que le Conseil d'Etat se soit déclaré incompétent. Mais le jugement ne sera pas rendu en 2012. La très mauvaise nouvelle c'est que nous devrons attendre d'ici quatre à six ans, avant d'obtenir une décision définitive du Conseil d'Etat sur le retrait du Cruiser 350. Soit au plus tard 2018. Des décisions qui arriveront malheureusement toujours trop tard du fait de la durée de la procédure judiciaire alors que le mal est fait dans nos campagnes !
Cet été, le Conseil d'Etat s'est également déclaré incompétent en référé sur l'autorisation du Cruiser OSR sur le colza, une plante essentielle pour l'apiculture. C'est encore une fois le tribunal administratif de Versailles qui va devoir se prononcer sur notre demande de retrait du pesticide avant le prochain avis du Conseil d'Etat qui interviendra d'ici seulement trois à six ans ! En France, 40 % des surfaces de colza ont été pulvérisés par ce pesticide depuis la campagne des premiers semis en août 2011. Ce qui fait 600.000 hectares risquant d'être épandus pour sa première autorisation d'ici au printemps 2012.
AE : L'Efsa vient de conclure que le pollen du maïs MON810 ne constituait pas un risque sanitaire supplémentaire s'il venait à remplacer du pollen de maïs non OGM dans des aliments. Ne craignez-vous pas une prochaine autorisation de commercialisation de ce pollen OGM par Bruxelles ?
OB : C'est un sale temps pour les abeilles. Cet avis fait suite à un arrêt de la Cour de justice de l'UE en septembre qui stipulait que du miel contenant du pollen OGM ne pouvait être commercialisé sans autorisation. Mais ce sont toutes les productions apicoles situées dans un rayon de 10km d'un champ d'OGM qui sont menacées. En effet, plusieurs études montrent que s'il n'y a pas d'effet létal, le comportement de butinage des abeilles est affecté par les OGM.
Du maïs MON810 dans les champs en 2012 serait une vraie catastrophe pour l'apiculture déjà mise à mal par la pression des pesticides. Tout le miel contaminé serait invendable, sans compter des coûts d'analyses de détection exorbitants - estimés entre 200 à 300 euros par échantillon - à la charge des producteurs et répercutés sur le prix final du miel ! Ce qui va créer une distorsion de concurrence. Monsanto le pollueur ou un fonds collectif des producteurs d'OGM doivent financer ces surcoûts ! L'UNAF et 16 autres organisations apicoles, agricoles et environnementales ont lancé une pétition demandant au Commissaire européen et à la santé la suspension immédiate de la culture du maïs OGM Monsanto en Europe et la garantie de traçabilité des produits !
AE : Est-il possible que le miel français soit déjà contaminé par le pollen OGM ?
OB : Non ! Le miel produit en France est encore indemne des OGM ! Nous avons réalisé des analyses en grande culture qui le prouvent. Mais la moitié de la production de miel dans l'Hexagone est importée avec le risque d'être contaminée de manière involontaire. En 2010, la France a importé plus de 25.000 tonnes de miel en provenance notamment des plus grands pays producteurs d'OGM dont l'Argentine - premier fournisseur - le Canada et l'Espagne. La filière est déjà bien affaiblie par des mortalités accrues, nous demandons à Madame la Ministre de l'environnement et à Monsieur le Ministre de l'agriculture de confirmer l'annonce du gouvernement de septembre dernier et de reprendre immédiatement une interdiction du maïs MON810. Ce choix s'impose si on ne veut pas tuer l'apiculture française.