Alors que le cadre mondial de la biodiversité pour l'après-2020 doit être adopté lors de la COP 15 à Kunming (Chine) en mai 2021, l'ONU publie le 5e rapport sur les Perspectives mondiales de la diversité biologique (GBO-5). Ce document établit un état mondial de la nature qui doit servir de base scientifique à ce nouveau cadre.
« L'humanité se trouve à la croisée des chemins en ce qui concerne l'héritage que nous souhaitons laisser aux générations futures », avertit Élizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive de la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB). Une façon diplomatique de dire que le bilan final des vingt objectifs mondiaux de 2010 en matière de biodiversité, plus connus sous le nom d' « objectifs d'Aichi », est catastrophique. Et qu'un changement de cap doit être engagé de toute urgence pour « sauver la planète ».
Un soutien de 500 Md$/an aux activités nuisibles à la biodiversité
Selon les rapports nationaux remis au secrétariat de la CDB et les dernières découvertes scientifiques, seulement sept des 60 critères de réussite des objectifs ont été atteints. Soit moins de 12 %. Globalement, seuls six objectifs sur vingt ont été partiellement atteints.
Quelques points positifs sont mis en avant, mais ils sont très minces. C'est le cas d'actions exemplaires qui ont permis de ralentir l'extinction de certaines espèces. Les quelques « réussites » concernent l'identification des espèces exotiques envahissantes, le pourcentage d'espaces protégés, l'élaboration de stratégies nationales pour la biodiversité, l'amélioration de la connaissance sur la biodiversité, ou encore l'aide publique au développement. Mais ces réussites ne sont que partielles car, dans le même temps, les objectifs associés, liés à la qualité des zones protégées, au partage des connaissances ou à une augmentation homogène des ressources financières, ne sont pas atteints. On est donc très loin d'une reconquête.
Pire, pour quinze critères, aucune amélioration n'a été constatée. Ainsi, les subventions nuisibles à la biodiversité l'emportent de loin sur les incitations positives dans des domaines tels que la pêche ou le contrôle de la déforestation. Le soutien aux activités nuisibles à la biodiversité s'élève à 500 milliards de dollars (Md$) par an alors que les ressources dédiées chaque année à sa protection sont comprises entre 78 et 91 Md$. L'incidence de l'utilisation des ressources naturelles demeure bien au-delà des limites écologiques sûres. Le déclin des zones de nature sauvage et des zones humides se poursuit à travers le monde, la fragmentation des rivières étant qualifiée de « menace grave pour la biodiversité de l'eau douce ». Quant à la pollution par les engrais, les pesticides et les plastiques, elle « continue d'être un facteur important de perte de biodiversité ». Les pressions anthropiques sur les récifs coralliens et d'autres écosystèmes vulnérables continuent de s'exercer via les changements climatiques et l'acidification des océans.
Les espèces se rapprochent de l'extinction
Un tiers des stocks de poissons marins fait l'objet d'une surpêche. Une proportion plus élevée qu'il y a dix ans. Et de nombreuses pêcheries ont des impacts marqués sur des espèces non ciblées et endommagent les habitats marins. « En moyenne, les espèces continuent de se rapprocher de l'extinction », rapporte froidement le résumé du rapport à l'intention des décideurs, corroborant les conclusions du rapport Planète Vivante du WWF publiées le 10 septembre. Les auteurs chiffrent à 23,7 % les espèces menacées d'extinction si les facteurs de perte de biodiversité ne sont pas réduits de manière drastique. Ce qui correspond au million d'espèces menacées identifiées par l'IPBES dans son évaluation de l'état mondial de la biodiversité publié en mai 2019.
« Fixer des objectifs simples »
Face à ce constat pour le moins inquiétant, les Nations unies appellent à un changement de cap de tout urgence. Le rapport décrit les transitions qui s'imposent dans huit domaines : terres et forêts, agriculture durable, systèmes alimentaires durables, pratiques de pêche et océans, villes et infrastructures, eau douce, approche « un monde, une santé ».
« Beaucoup de choses positives se produisent à travers le monde, il faut les souligner et les encourager. Néanmoins, le rythme de la perte de biodiversité est sans précédent dans l'histoire de l'humanité et les pressions sur le monde naturel s'intensifient. Les systèmes vivants de la Terre dans leur ensemble sont en danger », alerte Élisabeth Maruma Mrema. « À mesure que le monde naturel se dégrade , poursuit la secrétaire exécutive de la CDB, de nouveaux risques de propagation de maladies dévastatrices entre les humains et les animaux, comme le coronavirus de cette année, se présentent ».
Reste à découvrir ce qui permettra de réussir aujourd'hui ce qui ne l'a pas été hier. « Il faut fixer des objectifs simples pour réussir la mobilisation », expliquait Yann Wehrling en 2019 à l'orée des grands rendez-vous internationaux sur la biodiversité. « Les objectifs d'Aichi, certes très justes, n'étaient pas très lisibles pour les parties prenantes et encore moins pour l'opinion publique. Il faudra fixer moins d'objectifs mais les rendre plus clairs, plus "appropriables", comme par exemple le nombre d'hectares d'habitats naturels ou d'espèces à préserver, ou le "zéro perte nette de biodiversité" », détaillait l'ambassadeur français délégué à l'environnement.
Cette approche nécessite aussi de mobiliser les acteurs non étatiques et de mettre au point des référentiels partagés de mesure de leur empreinte sur la biodiversité. Du côté des États, et avant même le grand rendez-vous de la COP 15, le sommet des Nations unies sur la nature du 30 septembre prochain permettra de savoir quel accueil ils vont réserver à ces conclusions.