« Intégrer les enjeux de biodiversité dans leur stratégie, en s'engageant au plus haut niveau et en analysant l'impact de leurs activités sur les principaux facteurs d'érosion de la biodiversité. » Telle est la principale préconisation formulée par la plateforme RSE dans un avis remis le 6 mars dernier à la secrétaire d'État à la Transition écologique, Emmanuelle Wargon.
Le travail effectué par cette plateforme, créée en 2013 au sein de France Stratégie, prend toute sa dimension à l'heure de l'épidémie de Covid-19. De nombreuses études montrent que cette pandémie, comme d'autres qui l'ont précédée, sont favorisées par les pressions humaines sur la biodiversité. Or, outre son coût en vies humaines, cette catastrophe sanitaire est partie pour occasionner la plus grave crise économique qu'ait connu le monde depuis la deuxième guerre mondiale.
L'enjeu énorme des échanges commerciaux
L'avis rendu par la plateforme RSE s'appuie sur le rapport de l'IPBES publié en mai 2019. Cette somme de connaissances inédite a envoyé un signal très fort au monde en documentant le déclin sans précédent de la biodiversité au plan international. « Les maladies infectieuses émergentes chez les espèces sauvages, les animaux domestiques, les plantes ou les populations humaines peuvent être amplifiées par des activités humaines telles que le défrichement et la fragmentation des habitats », indique le résumé à l'attention des décideurs. La migration des populations d'espèces liées aux perturbations climatiques, l'une des cinq principales causes d'érosion de la biodiversité, favorise « la colonisation de nouveaux territoires par des espèces tropicales, potentiellement vectrices de maladies », rapporte aussi le document publié par la plateforme RSE.
Or, l'entreprise n'est pas étrangère à ces atteintes portées à l'environnement, par les pressions directes, mais aussi indirectes, qu'elle exerce sur la biodiversité. D'où la nécessité de prendre en compte l'ensemble de ses impacts « tout au long de sa chaîne de valeur : impacts sur les sites ou impacts liés aux produits, aux intrants utilisés dans les processus de production, à la phase d'usage et de fin de vie des produits ». Les échanges commerciaux représentent un enjeu énorme mais difficilement appréhendable car les effets sont cachés. « L'augmentation des échanges commerciaux et l'allongement des chaînes d'approvisionnement favorisent (…) l'introduction d'espèces invasives, les pollutions diverses, la surexploitation des ressources naturelles », rappellent les auteurs de l'avis. Selon une étude de Nature Ecology and Evolution de mars 2019, 90 % des impacts sur la biodiversité des pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord seraient dus à leurs importations.
Pas d'indicateur unique
Une difficulté vient de la complexité à mesurer l'impact réel de l'entreprise sur la biodiversité. Contrairement à la tonne de CO2 émise, permettant de connaître l'impact climatique, il n'existe pas d'indicateur synthétique et universel pour la biodiversité, même si l'expérimentation de certains outils, comme le Global Biodiversity Score de CDC Biodiversité ou le Natural Capital Impact (NCIG) de l'Université de Cambridge, sont en cours. « L'urgence est à l'action », rappellent toutefois les auteurs de l'avis, demandant aux entreprises de ne pas attendre la création d'un tel indicateur pour mettre en œuvre les actions permettant de réduire leur pression sur la biodiversité.
L'OCDE, dans un rapport préparé pour la réunion des ministres de l'Environnement du G7 de mai 2019, a identifié les différents risques liés aux atteintes à la biodiversité pour les entreprises. Elle en pointait toute une série : écologiques, de responsabilité, réglementaires, de réputation, de marché ou financiers, mais sans mentionner le risque sanitaire qui allait précipiter l'économie mondiale moins d'un an après.
Reporting extra-financier
Certaines grandes entreprises ont d'ores et déjà l'obligation de publier une déclaration de performance extra-financière (DPEF), qui doit comporter des obligations relatives à la biodiversité lorsque ce risque est considéré comme « pertinent ». L'analyse par la plateforme RSE des déclarations des entreprises figurant au CAC 40 n'est pas flatteuse.
Quant aux quatre filières prioritaires (agroalimentaire, bâtiment et matériaux, chimie, énergie) hors CAC 40, identifiées dans le Plan biodiversité pour leur impact potentiellement important, « aucune n'évoque les liens de dépendance avec la biodiversité et ne fait mention de gouvernance spécifique en matière de biodiversité », relèvent les auteurs.
D'où la recommandation de la plateforme de mieux intégrer la biodiversité dans le reporting extra-financier et de mettre en œuvre des politiques ambitieuses de lutte contre la déforestation importée.
Engagement au plus haut niveau de la hiérarchie
Afin d'améliorer cette situation assez préoccupante, la plateforme RSE recommande un engagement des entreprises au plus haut niveau de leur hiérarchie. Pour cela, elle préconise de s'engager dans des initiatives telles que Act4Nature.
Ce dispositif, qui avait été lancée par Entreprises pour l'environnement (EPE) en juillet 2018 en présence de Nicolas Hulot, s'adresse à toutes les entreprises « quels que soient leur taille et leur secteur d'activité, qu'elles soient initiées ou débutantes ». « Act4Nature est une initiative qui a bien fonctionné car elle a su trouver les arguments et respecter le langage des P-DG en s'appuyant sur des métriques et indicateurs propres à chaque entreprise et chaque situation », ont expliqué Claire Tutenuit et Sylvie Gillet d'EPE aux rapporteurs.
La plateforme recommande aussi que l'enjeu de biodiversité soit traité de manière transversale dans l'entreprise. « Pour le groupe Hermès, des comités locaux pour le développement durable permettent, en relation avec leurs parties prenantes, d'animer des actions de proximité en faveur de la biodiversité, comme par exemple la promotion de fermes en agriculture biologique, l'utilisation d'ovins pour entretenir les champs », illustrent les rapporteurs.
En tout état de cause, l'ampleur de la crise actuelle va révéler la véritable prise en compte des risques par les entreprises. Celles qui les avaient intégrés survivront. Celles qui n'avaient jusque-là fait que du "greenwashing" resteront sur le carreau. Sauf à s'adapter très vite, et si la crise leur en laisse le temps.