Après avoir mis l'accent sur la collecte sélective des déchets ménagers, l'Europe se penche sur les déchets abandonnés. Cet intérêt pour les déchets sauvages donne un second souffle à Gestes propres, l'association créée, il y a cinquante ans, par Antoine Riboud. Au début des années 1970, le fondateur de Danone avait pressenti que le développement massif des emballages plastique risquait d'engendrer une importante pollution. Un demi-siècle plus tard, c'est effectivement le cas.
Aujourd'hui, la sensibilisation des citoyens, mission au cœur des activités de l'association, est jugée plus que jamais capitale par les collectivités territoriales, les gestionnaires d'espaces naturels et les éco-organismes, sur lesquels repose dorénavant une part du financement du nettoiement. Dans ce contexte « porteur », Gestes propres entend élargir la palette de ses actions en améliorant l'évaluation du gisement et en ajoutant une expérimentation tous azimuts à ses traditionnelles campagnes d'affichage et de distribution de sacs-poubelle.
Mégots et emballages aux avant-postes
Les déchets sauvages sont devenus un sujet d'inquiétude qui s'est glissé dans le peloton de tête des priorités « déchets ». La directive SUP (SUP pour single-use plastics), en imposant à certains éco-organismes de financer le ramassage des déchets issus des produits pour lesquels ils sont agréés, traduit cette évolution. Surtout, elle modifie sensiblement les enjeux auxquels sont confrontés les producteurs et les éco-organismes qui les représentent.
Alcome, l'éco-organisme agréé pour la filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) de cigarettes, inaugure « ce nouveau concept de REP nettoiement », constate Marie-Noël Duval, sa directrice générale. Preuve des enjeux, lors de la mise en place de la filière, le financement du nettoiement (évalué entre 5 et 100 millions d'euros par an, selon les sources) et la fourniture de cendriers de rue ont donné lieu à de vives tensions.
Entre 760 000 et 1,4 million de tonnes par an
Ils rejoignent la vingtaine de partenaires mobilisés jusqu'à présent, tels que le ministère de la Transition écologique, l'Association des maires de France (AMF), l'éco-organisme Citeo, agréé pour les filières REP papiers et emballages ménagers, PlasticsEurope, les fédérations professionnelles Elipso et Inter Emballages, ou encore de nombreuses entreprises comme Coca-Cola, Danone et Nestlé.
Premier axe de travail : le diagnostic. Gestes propres a réalisé une nouvelle évaluation du gisement selon laquelle environ 1 million de tonnes de déchets seraient abandonnés chaque année. La précédente évaluation, réalisée en 2018, était de 520 000 t.
Comment est calculé ce volume ? Gestes propres s'est basé sur deux approches. La première s'appuie sur une étude nord-américaine, qui estime le taux de fuite dans l'environnement à 2 % des déchets produits. Cette première approche évalue les déchets sauvages à 760 000 tonnes. La seconde approche s'appuie sur une estimation de l'Agence de la transition écologique (Ademe) selon laquelle les fuites seraient de 21,4 kg par habitant et par an, soit quelque 1,4 million de tonnes. L'Ademe, justement, travaille actuellement à une évaluation plus précise qui devrait donner le la.
Gestes propres a aussi pris en compte des données plus précises, issues d'évaluations concernant des espaces spécifiques. Environ 77 000 t de déchets seraient jetés au bord des routes, sur la base de différents décomptes départementaux, régionaux ou réalisés par des concessionnaires autoroutiers. Les cours d'eau charrieraient quelque 10 000 t de déchets par an (extrapolées à partir des barrages flottants franciliens). Quant aux plages, elles seraient le réceptacle de 650 t de déchets (sur la base de 61 opérations de nettoyage). Enfin, 450 t de détritus seraient abandonnées sur les pistes de ski, en extrapolant les chiffres de l'association Mountain Riders.
Des élus envisagent de sanctionner
À partir de ce constat, l'association entend développer de nouveaux projets qui vont au-delà des campagnes de sensibilisation traditionnelles. Le principal est un « programme de prévention expérimental à 360° », qui sera mené dans cinq communes, dont Sceaux (Hauts-de-Seine). Porté par l'Association des maires de France (AMF) et financé par le ministère de la Transition écologique, Alcome et Citeo, le dispositif vise à mobiliser l'ensemble des acteurs du territoire.
Cinq axes ont été retenus : la mobilisation des citoyens, des écoles, des associations, des commerçants, etc. ; l'optimisation des dispositifs de collecte ; la communication et la sensibilisation des administrés ; la mise en place de sanctions adressées aux jeteurs ; et la mesure, via des indicateurs sociétaux, de la propreté et des moyens.
Concernant le volet sanction, « les élus sont prêts à y aller s'il y a un consensus social », assure la déléguée générale de Gestes propres. En l'occurrence, 90 % des Français considèrent que les déchets abandonnés sont de la responsabilité des consommateurs finaux, selon l'étude de l'association. Et ils sont 54 % à proposer de sanctionner les jeteurs (38 % plaident pour des amendes).