"Ce ne sont pas des freins à la rénovation thermique que nous avons détectés ce sont des barrières infranchissables ", estiment dans leur rapport, "les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment (1) ", le député Jean-Yves Le Déaut (socialiste, républicain et citoyens) et le sénateur Marcel Denaux (Union des démocrates et indépendants).
Présenté à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) mardi 8 juillet, et adopté à l'unanimité, le document dresse un panorama sans concession du secteur du bâtiment en France. "Il y a un précipice entre les intentions des gouvernements de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls sur la nouvelle France industrielle, ses 34 plans de reconquête par l'innovation, et la réalité que nous avons vécue sur le terrain", assurent-ils.
Pour eux, trois plans s'avèrent néanmoins prioritaires : celui qui concerne les énergies renouvelables, la rénovation thermique des bâtiments, les réseaux électriques intelligents.
Selon les parlementaires, deux affaires s'avèrent emblématiques des difficultés rencontrées par les industriels : les évolutions de la réglementation sur la ouate de cellulose et les questions autour de la mesure de la performance des isolants multicouches réfléchissants. Ce dernier point illustre le débat, selon eux, sur la pertinence des mesures de la performance intrinsèque des isolants en laboratoire (reposant sur la théorie) et des mesures de leur performance effective en situation réelle (soumises aux aléas).
Trois leviers réglementaires
Pour aboutir à une nouvelle ligne directrice pour la politique du bâtiment, les deux parlementaires ont détaillé dans leur rapport vingt recommandations et identifié trois principaux leviers réglementaires : une simplification du système des aides, une amélioration de la transparence du système RT 2012 et une évolution des procédures évaluant la sécurité et la qualité des produits. "Les recommandations de ce rapport doivent être prises en compte dans la future loi sur la transition énergétique, car le secteur du bâtiment constitue l'un des principaux gisements pour permettre à la France de respecter ses engagements pour relancer l'économie après la crise, pour créer 300.000 emplois, pour nous donner des avantages compétitifs en développant la recherche, l'innovation", préconisent-ils.
Un des premiers dispositifs à faire évoluer selon les auteurs est le système d'aide. Les deux parlementaires considèrent notamment que le système des certificats d'économies d'énergie mobilise des ressources leur paraissant mal utiliséesdans le bâtiment,"puisqu'elles servent principalement, à hauteur de 96% des certificats délivrés, à encourager des opérations standardisées".
Privilégier les aides aux projets
Le rapport préconise ainsi de progressivement réorienter les financements des aides aux produits vers les aides aux projets. Il conseille également que ce basculement se fasse sur des critères prenant en compte le niveau de ressources du maître d'ouvrage en regard du montant de l'investissement à réaliser (en construction ou en rénovation). "Cela suppose une information objective sur l'investissement à réaliser, ce qui requiert l'intervention d'une expertise tiers", précisent les auteurs.
Pour eux, cette dernière, capable d'un dialogue technique direct avec les artisans, et de confiance, serait un facteur déterminant de la réussite de la rénovation.
S'ils considèrent que le dispositif RGE (2) va dans le bon sens, ils préconisent d'approfondir le dispositif. "Il nous semble qu'une prochaine étape de l'éco-conditionnalité serait de l'attacher, pour chaque bâtiment ancien, à l'intervention d'une assistance à la maîtrise d'ouvrage qui définirait globalement le projet de rénovation, quitte à ce que le propriétaire choisisse ensuite les modalités de sa mise en œuvre", détaillent-ils. Selon eux, tous les travaux d'amélioration thermique devront ensuite s'inscrire dans ce projet de rénovation.
Et la condition pour accéder aux aides serait le recours à une assistance certifiée à la maîtrise d'ouvrage pour réaliser le projet de rénovation.
Ils préconisent dans cette optique de développer un réseau de professionnels certifiés à travers la France soumis à des contrôles qualitatifs, et astreints à suivre des formations régulièrement (leur formation initiale et cette formation continue obligatoire seraient assurées par l'université).
Ils suggèrent également la création d'un mécanisme de financement hypothécaire s'inspirant du viager : dans ce dernier, le propriétaire verserait les charges d'intérêt dues pour l'avance de fond qui a permis la rénovation jusqu'au moment de la vente ou succession. Le tiers investisseur (SPL ou filiale de la Caisse des dépôts) récupèrerait alors son capital en faisant racheter son hypothèque par l'acquéreur ou le successeur lors de cette mutation.
Une remise en cause du moteur de calcul de la RT2012
Concernant la RT2012, les deux auteurs remettent en cause l'outil "moteur de calcul" qui constitue un obstacle à la mise en œuvre de cette dernière.
La réglementation thermique fixe en effet des exigences dont le respect d'un plafond de consommation d'énergie primaire calculé grâce à ce "moteur de calcul (3) ".
Les parlementaires ont relevé trois erreurs qui biaiseraient l'outil : l'absence de prise en compte des émissions de gaz à effet de serre, le comptage imparfait du recours aux énergies renouvelables, la négation de l'apport de la gestion active de l'énergie (4) .
"Nous proposons (…) par exemple, de rendre public le code de calcul informatique, pour que chaque requérant puisse vérifier si la transcription logicielle du fonctionnement de son équipement est correct", recommandent-ils.
Ils souhaitent également introduire l'obligation de gérer les intermittences d'occupation pour coller à l'usage réel des différents espaces du bâtiment. Enfin, ils souhaiteraient rendre obligatoire des systèmes d'instrumentation, de comptage, de gestion active, pour migrer à terme vers des systèmes de gestion énergétique intelligents.
Enfin les parlementaires souhaitent faire évoluer l'évaluation technique. Ils préconisent notamment consolider l'agence de la qualité de la construction.
Ils préconisent pour cela d'ouvrir davantage les commissions de l'AQC (Commission prévention produits, C2P et Commission prévention construction, CPC) aux spécialistes du monde universitaire ou du monde de la recherche mais également d'introduire une procédure plus contradictoire permettant notamment aux industriels et aux maîtres d'ouvrage de faire valoir leurs arguments.