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« Les acquéreurs de biens immobiliers littoraux occultent complètement leur exposition aux risques côtiers »

Malgré les risques d'érosion côtière, les acquéreurs d'habitations en bord de mer affluent toujours, selon la chercheuse Eugénie Cazaux. La loi Climat donne la possibilité aux communes d'acquérir des biens en péril, mais des failles subsistent.

Interview  |  Aménagement  |    |  R. Boughriet
Actu-Environnement le Mensuel N°439
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°439
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« Les acquéreurs de biens immobiliers littoraux occultent complètement leur exposition aux risques côtiers »
Eugénie Cazaux
Docteure en géographie spécialisée dans la gestion des risques côtiers, à l'université de Brest.
   

Actu-Environnement : Pourquoi avez-vous mené ce travail de thèse sur la prise en compte des risques côtiers par les marchés immobiliers littoraux ?

Eugénie Cazaux : J'ai réalisé cette thèse (1) en géographie à l'université de Bretagne occidentale de décembre 2017 à octobre 2022, date de la soutenance de mes travaux. J'ai candidaté à une offre de thèse proposée sur ce sujet par ma directrice Catherine Meur-Férec car elle répondait aux enjeux du moment sur le littoral. Durant deux ans, avant de commencer ce travail de recherche, je travaillais à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) au ministère de l'Environnement. C'est la période où le cas de l'immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer, a émergé. Et j'avais appris que jusqu'en 2012, donc moins de deux ans avant l'évacuation de ce bâtiment, des personnes achetaient encore des logements dans cette résidence et à des prix très élevés. Et ce, malgré l'exposition très forte de ce bien à l'érosion côtière. Les gens continuaient à acheter envers et contre tout. Ce qui m'avait questionnée.

AE : Les conclusions de vos travaux confortent-elles cette tendance ?

E.C. : J'ai exploité la base de données des valeurs immobilières et foncières DV3F représentant 3 000 communes des intercommunalités littorales métropolitaines, et près de deux millions de transactions conclues entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2016. Grâce à un logiciel de système d'information géographique, j'ai croisé cette base de données géolocalisée à la parcelle avec des cartographies de zonages d'exposition aux risques côtiers. À l'échelle de trois terrains d'étude de la façade atlantique exposés aux submersions marines et à l'érosion côtière, j'ai aussi mené vingt-cinq entretiens semi-directifs avec des professionnels de l'immobilier et des acteurs publics.

Les résultats de mes travaux confirment en effet ce paradoxe. Bien qu'il y ait une médiatisation accrue des effets du changement climatique, bien qu'on entende pas mal parler d'élévation du niveau marin, bien qu'il y ait eu des tempêtes significatives ces dernières années qui sont venues rappeler l'exposition du littoral français aux risques côtiers, aujourd'hui, au regard des prix pratiqués sur le littoral, les marchés immobiliers ne semblent pas prendre en compte cette dimension. L'attractivité du littoral, le désir de rivage font que les acquéreurs de ces biens ne voient que les aménités liées à la proximité de la mer, et occultent complètement leur exposition aux risques côtiers. Ils se disent que c'est loin et que de d'ici-là, ils ont le temps de voir venir.

AE : La loi Climat de 2021 prévoit d'améliorer la gestion des nouvelles constructions dans les zones menacées par l'érosion côtière. Ses mesures sont-elles à la hauteur des enjeux ?

E.C. : La loi Climat et résilience a le bon goût de commencer à essayer d'engager une régulation publique des marchés immobiliers exposés à l'érosion côtière. Cette loi propose notamment une cartographie locale d'évolution du trait de côte à trente ans et à cent ans, un nouveau droit de préemption pour les collectivités qui leur permettent de faire l'acquisition publique des biens appelés à disparaître et la possibilité d'appliquer une décote à leur valeur. Il y a des choses intéressantes dans ce texte. Toutefois, il prévoit un transfert des compétences de l'État vers les collectivités sans pour l'instant attribuer les moyens nécessaires à la mise en œuvre des projets d'adaptation à l'érosion côtière. À ce jour, l'État ne garantit aux communes impliquées qu'une subvention à hauteur de 80 % pour établir des cartographies.

De même, ce sont aujourd'hui 242 communes menacées par l'érosion qui ont accepté de figurer sur la liste du décret du 31 juillet 2023 et peuvent utiliser ces nouveaux outils.

Un autre souci de cette loi, c'est qu'elle ne s'intéresse qu'aux aspects de l'érosion côtière et pas du tout aux submersions marines, qui vont devenir beaucoup plus fréquentes, et par endroits, permanentes avec l'élévation du niveau marin et le changement climatique. Il aurait fallu aussi pouvoir décliner des outils pour cette catégorie de risque. Or, environ 20 % des côtes françaises reculent sous l'effet de l'érosion et 64 % sont exposées à un risque de submersion marine.

AE : Quelle pourrait être la prise en charge de l'État pour ce droit de préemption et les personnes susceptibles d'être expropriées ?

E.C. : Le nouveau droit de préemption devrait appliquer une décote à la valeur du bien en péril concerné. L'idée avancée était de calculer cette décote selon la durée de vie résiduelle du bien. C'est-à-dire s'il lui reste cinq, dix ou quinze ans à exister. Plus cette durée de vie serait courte, plus la décote serait forte. C'est très bien en théorie, mais dans les faits, comment cela va-t-il se traduire et comment cela va-t-il être accepté par les propriétaires concernés ? On pourrait imaginer que 30 % soit le taux de décote acceptable maximal, à l'instar de ce qu'ont pu bénéficier les propriétaires de l'immeuble Le Signal, à Soulac, qui a été détruit en février 2023. Face à l'érosion rapide de la dune, les propriétaires de cet immeuble ont été évacués de leur logement en janvier 2014, après un arrêté de mise en péril. Ils n'avaient bénéficié d'aucune indemnisation du Fonds Barnier de prévention des risques naturels majeurs, le recul du trait de côte n'étant ni assurable ni éligible à ce fonds. La loi de finances pour 2019 a finalement permis de sortir de cette situation et a accordé à ces copropriétaires une enveloppe dérogatoire de 7 millions d'euros. Ils ont été indemnisés à hauteur de 70 % de la valeur estimée de leur bien avant le risque d'effondrement.

Sur ces aspects de décote, c'est donc encore flou et il n'y a pas d'obligation pour les collectivités de l'appliquer. Cette décote pourrait aussi générer des contentieux de la part des propriétaires littoraux mécontents. La jurisprudence améliorera très certainement la transcription concrète de cette mesure.

AE : Les acteurs publics ont-ils les moyens d'une relocalisation des habitations et des commerces les plus exposés vers l'intérieur des terres ?

E. C. : Pour lutter contre l'érosion des côtes françaises, il n'existe pas de solution unique, en fonction du type de territoire, sur le court et le long terme. Il y aura des endroits où il sera pertinent d'installer des ouvrages de protection ou de relocaliser. Mais quand vous êtes face, par exemple, à un front de mer extrêmement dense et urbanisé, imaginer relocaliser toute une station balnéaire est plus compliqué que quand vous avez une dizaine de maisons à traiter.

1. Consulter la thèse réalisée par Eugénie Cazaux
https://www.theses.fr/2022BRES0062

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