"Malgré un exceptionnel développement de ses énergies renouvelables, l'Allemagne est en passe de manquer les objectifs qu'elle s'était fixés dans sa transition énergétique lancée en 2011", estime une note de France Stratégie publiée le 31 août. Si l'institution rattachée au Premier ministre salue l'"indéniable prouesse technique" que constitue le développement des renouvelables outre-Rhin, elle pointe surtout les difficultés associées à la transition énergétique allemande. Ces difficultés pourraient aboutir à une révision à la baisse des ambitions du "tournant énergétique" allemand (Energiewende) après les élections fédérales du 24 septembre prochain, pronostique-t-elle.
La note de France Stratégie présente une "analyse spécieuse et orientée", déplore André Joffre sur son blog. Le président du bureau d'étude Tecsol spécialisé en énergie solaire juge que la note de France Stratégie est "largement à charge" et qu'"elle élude (…) de nombreuses avancées positives".
L'essor spectaculaire des renouvelables
Pour rappel, suite à la catastrophe de Fukushima, l'Allemagne a décidé d'abandonner le nucléaire et les énergies fossiles pour leur substituer des énergies renouvelables, si possible locales. L'objectif de l'Energiewende est d'atteindre une décarbonation quasi totale de l'économie en 2050. Ce "tournant radical", explique France Stratégie, poursuit des "buts vertueux qui paraissaient envisageables à relativement court terme et au prix d'un effort financier raisonnable".
En six ans, les renouvelables ont bénéficié d'un développement important qui leur permet aujourd'hui de couvrir un tiers de la consommation énergétique. Les renouvelables électriques "ont connu un essor spectaculaire et [ils] devraient dépasser 35% du mix électrique en 2020", constate la note. Ce développement s'appuie principalement sur la biomasse, l'éolien et le solaire photovoltaïque. Les renouvelables atteignent "une part dans la consommation d'électricité qui bondit de 6% en 2000 à 32% en 2016". Fin 2016, l'Allemagne dispose de plus de 40 gigawatts (GW) de solaire, pour une production de 38,1 térawatts-heures (TWh), et d'une capacité éolienne de 45,5 GW à terre et de 4,1 GW en mer, pour des productions respectives de 65 TWh et 13 TWh.
Mais au-delà de ce succès, "aucun autre objectif ne semble en mesure d'être atteint", explique France Stratégie qui s'appuie sur une étude du cabinet McKinsey. Selon cette étude, onze des quinze principaux objectifs de l'Energiewende sont en recul en 2016.
Protéger les intérêts de l'industrie allemande
"Les avancées de l'Energiewende se trouvent compromises à la fois par une consommation d'électricité peu compressible et par la place qu'occupent encore la voiture thermique et le charbon dans l'économie allemande", critique France Stratégie.
L'efficacité énergétique progresse trop lentement, estime la note. Actuellement, la consommation d'énergie primaire est inférieure de 6,5% à son niveau de 2008, "mais ce résultat provient entièrement de la baisse enregistrée en 2009 au plus fort de la crise". Pour atteindre l'objectif affiché, elle devrait baisser de d'environ 3% par an d'ici à 2020. Problème, "elle est stable et a même légèrement augmenté de 0,9% en 2015 (…) puis encore de 1,1% en 2016", explique la note, qui doute du succès du grand plan d'efficacité énergétique de 17 milliards d'euros pour 2016-2020 lancé mi-2016. Elle pointe en particulier les transferts d'usage qui devraient soutenir la consommation d'électricité.
Du côté des transports, "le véhicule électrique se heurte aux réalités de l'industrie automobile". Cette industrie, qui pèse quelque 800.000 emplois pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 400 milliards d'euros, freine des quatre fers, résume en substance la note. Le plan d'électrification des véhicules, qui fixe un objectif d'un million de véhicules électriques en 2020, est "un échec", notamment parce qu'il "plonge les constructeurs automobiles allemands dans un certain désarroi, leur savoir-faire reposant essentiellement dans la maîtrise de moteurs et de boîtes de vitesse performantes".
Bien sûr, la part importante de l'électricité produite à partir du charbon est aussi pointée du doigt. Les émissions de gaz à effet de serre allemandes stagnent après avoir enregistrée une baisse de 20% "à bon compte" liée à la mise à niveau de l'outil de production de l'ex-RDA dans les années 1990. Selon une étude allemande reprise par France Stratégie, le pays réduira ses émissions de CO2 de 33,5% à 36,5% en 2020 et n'atteindra pas l'objectif de 40%. Surtout, la note décrit une Allemagne conservatrice en terme de politique climatique : compte tenu de ses réserves en charbon et de sa dépendance au gaz russe, l'Allemagne s'est opposée à la proposition française d'instauration un prix plancher du carbone au niveau européen, regrette France Stratégie. Il s'agit, là aussi, de "protéger les intérêts de l'industrie allemande".