Entre 2019 et 2022, le nombre d'offres d'emploi concernant la production de dihydrogène (H2) s'est accentué de 77 %, un phénomène principalement dopé par les investissements de l'État dans le développement d'une filière décarbonée. En 2022, la filière comptabilisait 5 800 emplois directs, près d'un doublement en un an, mais encore loin des 100 000 attendus d'ici à 2030, et recherchait 6 800 professionnels supplémentaires. Cette croissance n'est pas sans encombre : 85 % des métiers sollicités par cette dynamique d'embauche restent en « forte » ou « très forte tension ».
Ce constat émane d'un diagnostic mené par le syndicat France Hydrogène et ses partenaires (Pôle Emploi, l'agence privée Adecco, mais aussi le Centre d'animation pour les ressources d'information sur la formation, Carif-Oref) et financé à hauteur de 200 000 euros par l'État dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir » (AMI CMA) du plan France 2030. France Hydrogène en a présenté les conclusions à ses adhérents, le 14 septembre, dans l'enceinte symbolique de l'Hôtel de l'industrie, à Paris.
Recrutement : une anticipation néfaste ?
Le travail mené par le syndicat s'est focalisé sur trois objectifs : étudier les tensions de recrutement, recenser l'offre de formation et construire un référentiel commun regroupant tous les métiers de la filière. S'agissant du premier, l'analyse des données de recrutement provenant de la banque d'Adecco Analytics montre une majorité d'offres (17 %) en direction des ingénieurs en qualité de chef de projet. Du reste, les entreprises de la filière recherchent également des commerciaux (9,1 %) ou des techniciens d'exploitation et de maintenance (9,1 %). Pour les deux premiers, la tension est surtout relative à la rareté des candidats. Le résultat d'une « véritable concurrence entre les filières industrielles, dominantes comme naissantes », observée par exemple par Eduardo de Santos, chargé de mission énergie en région Auvergne-Rhône-Alpes (premier bassin d'emplois industriels de l'Hexagone et deuxième région la plus émettrice d'offres en hydrogène).
Quant à la pression d'embauche exercée sur les métiers opérationnels, elle s'explique, notamment, par un manque de formations ou de qualifications requises. Le fruit, selon Karine Longchampt, directrice des programmes du cabinet de conseil en ressources humaines (LHH) d'Adecco, d'une trop forte anticipation de la part des recruteurs. Ces derniers « recherchent déjà des techniciens alors que leurs projets sont souvent au stade de la conception et non de l'industrialisation, de peur de la tension qui s'exerce actuellement sur ces métiers. Ils finissent eux-mêmes par creuser cette tension. » Pour compenser le manque de professionnels, d'une part, et de formations, d'autre part, l'experte suggère de se tourner vers d'autres gisements de professionnels, potentiellement en reconversion : le secteur de la pétrochimie touché par la transition énergétique ou encore celui de la sidérurgie, qui souffre de la crise sur les matières premières.
Une offre de formation encore naissante
Pour donner un coup d'accélérateur, la Région Occitanie a, elle aussi, sollicité une aide de l'État à travers l'AMI CMA du plan France 2030. Au début de l'année, elle a bénéficié d'une aide de 16,5 millions d'euros pour accroître et structurer son offre de formation en la matière. Avec son projet Genhyo, elle s'est ainsi donnée pour objectif de former 1 500 enseignants et formateurs et d'équiper ces 170 lycées de bancs hydrogène (reproduisant un système à plus petite échelle) à visée pédagogique pour sensibiliser les élèves à la filière. Attention néanmoins à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, d'après Ludovic Bertrand, directeur du Carif-Oref : « La formation accompagne le développement, et non l'inverse. Tant que la filière ne s'est pas stabilisée, investir dans la formation risque d'être un investissement perdu, aussi bien pour les organismes formateurs que pour les professionnels formés. »
Dans cette optique, France Hydrogène préconise de « pérenniser » sa dynamique de diagnostic en instituant en son sein un « observatoire des métiers et compétences » à même de suivre annuellement l'évolution de la filière. L'association entend continuer, par ailleurs, à étendre le maillage des « incubateurs » et autres centres de formation spécialisés dans l'l'hydrogène sur le territoire.