L'abandon récent, par Engie, du projet de ferme pilote hydrolienne dans le raz Blanchard (Manche) a jeté un froid. Lâchée par son partenaire technologique General Electric, l'entreprise n'a eu d'autre choix que de renoncer à cette expérimentation. Est-ce pour autant le signe avant coureur d'une filière compromise ? Pas forcément, à en croire le nombre de technologies et d'acteurs se positionnant sur ce segment. Ils se comptent par dizaines, mais combien aboutiront vraiment ? Seul l'avenir le dira. Qu'il soit océanique, fluvial ou estuarien, l'hydrolien est encore en phase de démonstration. De nombreux verrous doivent encore être levés avant l'entrée en phase commerciale.
160 technologies différentes recensées
Si de grands groupes comme DCNS ou General Electric se sont lancés dans la bataille, de nombreuses start up et PME tentent également de sortir leur épingle du jeu. "Les technologies sont diverses et elles le resteront au vu des milieux différents qui sont ciblés. Le succès ne sera pas lié à une technologie ou un site. Il y aura de multiples solutions commerciales liées à des marchés de niche", analyse Jean-Philippe Pagot, directeur Environnement Maritime d'EDF Energies nouvelles.
Océan : surmonter la rudesse du milieu
L'électricien français va développer une ferme pilote au raz Blanchard à l'horizon 2018-2019. "L'enquête publique est terminée. Nous sommes dans l'attente des autorisations dans les prochaines semaines", indique son responsable. Le projet Normandie Hydro permettra de tester sept hydroliennes de 2 MW chacune, développées par DCNS. Cette technologie est déjà en test à Paimpol-Bréhat (Côtes d'Armor) depuis 2011 : "Mais nous savons d'ores et déjà que les sites de Paimpol-Bréhat et du raz Blanchard n'offrent pas les mêmes conditions".
Les ZNI : le premier marché à s'ouvrir ?
Certains regardent du côté des îles, à l'instar de Guinard energies qui compte installer un démonstrateur d'ici la fin de l'année entre Lorient et Quiberon, en ciblant les zones non interconnectées (ZNI). Dans ces zones, le prix de production de l'électricité est bien plus élevé qu'en zone continentale.
C'est peut-être là que les hydroliennes joueront leur premier rôle. Sabella, qui teste ses hydroliennes au large de Ouessant, vient de remporter un contrat aux Philippines pour l'installation de trois à cinq hydroliennes. De son côté, l'Ademe mène actuellement une étude sur les gisements hydroliens en Polynésie française, qui dépend des importations d'énergie fossile pour sa production d'électricité. De petites machines (autour de 40 kW) pourraient être installées dans les passes entre les atolls pour alimenter des micro-réseaux. Un hôtel de luxe serait déjà intéressé par cette solution. Si les conclusions de l'étude de l'Ademe sont positives, un appel d'offres sera lancé.
"Le départ de GE, avec qui on a développé la phase amont des fermes pilotes, est regrettable", réagit Jean-Philippe Pagot, tout en admettant que "le milieu marin est agressif". En effet, les hydroliennes doivent être installées dans des zones à fort courant, projetant des cailloux, et ces conditions sont extrêmement difficiles pour les machines. Le fait que ces technologies sont immergées complique encore la donne et renchérit le coût des opérations de maintenance. Pour l'expert d'EDF, "on pourra confirmer d'ici deux à trois ans l'aspect commercial des machines. L'arbitre sera pour tout ou partie le prix de l'électricité produite". Car outre le fait de créer des machines suffisamment robustes pour résister aux milieux difficiles, il faudra également abaisser les coûts de production de l'électricité pour que cette source d'énergie devienne compétitive.
Fleuves, estuaires, canaux : des atouts certains
Jean-François Simon, PDG d'Hydroquest, semble plus confiant : "Nous portons le projet d'une ferme pilote à Paimpol-Bréhat. On a tous les ingrédients pour réussir. J'imagine une phase commerciale d'ici quatre ans. Au raz Blanchard, le potentiel est de 3 GW, soit l'équivalent de trois tranches nucléaires !".
Cependant, Hydroquest ne met pas tous ses œufs dans le même panier. L'entreprise vise aussi le marché fluvial, notamment en Afrique (Gabon, Angola…). "Notre technologie a été testée à Orléans [Loiret]. Nous sommes déjà en phase commerciale, dans un marché estimé entre 3 et 10 GW", souligne Jean-François Simon.
L'un des principaux atouts des milieux fluviaux et estuariens est la proximité et la faible profondeur d'installation des machines, qui facilitent les opérations de maintenance. Selon Marc Lafosse, de Seeneoh, le potentiel de l'hydrolien fluvial et estuarien est estimé à 148,7 MW en Bretagne (golfe du Morbihan, Etel, Trieux, Argenton…) et 106 MW en Aquitaine. A titre d'illustration, pour exploiter totalement le gisement de l'estuaire de la Gironde, 2.000 machines devraient être installées sur les 150 kilomètres soumis aux flux et reflux des marées !
Dans le Rhône, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) va construire, avec le soutien de l'Ademe, une ferme pilote de 39 machines de 2 MW, à l'aval du barrage de Génissiat. C'est l'une des solutions envisagées aussi par la société Bertin technologies qui, après avoir testé pendant un an l'hydrolienne flottante Urabaila dans l'Adour, reste prudente : "Nous avons une réelle interrogation sur le marché de l'hydrolien fluvial. Nous regardons aussi vers les canaux, qui sont des milieux plus stables", explique Germain Gouranton,vice-président de l'entreprise. Les Pays-Bas testent par exemple des hydroliennes à l'aval d'une écluse ouverte quatre heures par jour.