Depuis un an, les annonces d'ouverture prochaine de gigafactories de batteries se succèdent à un rythme de plus en plus rapide, en France. Mais ce mardi 30 mai, à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, c'est à une inauguration en bonne et due forme qu'ont procédé les dirigeants de Stellantis, de TotalEnergies-Saft et de Mercedes-Benz, en compagnie de trois ministres français – de l'Économie, de l'Industrie et de la Transition énergétique –, du ministre allemand des Transports, Volker Wissing, et du ministre italien des Entreprises, Adolfo Urso.
Créée en 2020 par une coentreprise entre le constructeur automobile Stellantis et l'énergéticien TotalEnergies, rejoints par Mercedes en 2022, l'entreprise Automotive Cells Company (ACC) fabriquera à grande échelle des cellules et des modules de batteries au lithium-ion avancées. Elle devrait commencer à fournir ses produits à Stellantis et à Mercedes à partir du début de l'année 2024, puis atteindre une capacité annuelle de 40 GWh, d'ici à 2030. De quoi équiper 500 000 véhicules électriques. Installée sur une ancienne friche industrielle et sortie de terre en moins de deux ans, cette méga-usine est la première de ce type en Europe. Dans le cadre du Projet important d'Intérêt européen commun (Piiec) sur les batteries, avec l'aval de la Commission européenne, elle a bénéficié d'une aide de 846 millions d'euros (M€) de l'État et des collectivités, sur un total de 2,5 milliards d'euros (Md€).
Des emplois et une offre diversifiée
En 2030, l'usine devrait employer quelque 2 000 personnes. Afin de répondre à ses besoins en matière de compétences, le Pôle métropolitain de l'Artois, qui associe trois communautés d'agglomération et le conseil départemental, s'est mobilisé, avec d'autres acteurs locaux, pour organiser plus de 50 formations, via un réseau de 36 lycées, deux instituts universitaires de technologie (IUT) et l'université d'Artois. En septembre prochain, cette dernière ouvrira notamment une école d'ingénieurs en génie électrique, à Béthune. Avec l'Union des industries métallurgiques minières (UIMM), ACC a également conçu le « Battery Training Center de Douvrin », consacré à la formation et à la reconversion des salariés volontaires.
Un écosystème en devenir
Ces entreprises pourront progressivement bénéficier d'un écosystème favorable. En effet, le canadien Li-Cycle, spécialisé dans le recyclage des batteries, prévoit également de s'implanter à Harnes, à 11 kilomètres du site de Douvrin. S'y ajouteront, à Béthune, une plateforme de transfert de technologies sur l'écoefficacité énergétique, baptisée Tech3E, portée par l'université d'Artois, ainsi que le centre d'essais des moteurs automobiles CrittM2A de Bruay-La Buissière, repositionné vers l'électrique. À la Rochelle (Charente-Maritime), en septembre dernier, le chimiste Solvay a inauguré une unité d'innovation pour les batteries « tout-solide », qui bénéficient d'une meilleure efficacité énergétique que les batteries actuelles. Son concurrent Arkema avait fait de même, en 2021, au sud de Lyon (Rhône).
Car au-delà des gigafactories, l'objectif est de maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur des batteries : la fabrication des matériaux cathodiques, l'extraction et le raffinage des métaux critiques, le recyclage des batteries... Dans ce but, à travers deux plans batteries successifs, en 2018 et en 2021, le Gouvernement a lancé plusieurs dispositifs : un programme de recherche (PEPR) « Batteries », des appels à projets « métaux critiques », « Première Usine » , « Solutions et technologies innovantes pour les batteries » ou « Pré-Maturation-Maturation », un Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), un fonds d'investissement spécialisé dans les minerais et métaux critiques… Via le plan France 2030, une quarantaine de projets liés aux batteries ont ainsi été soutenus. Hors Piiec, ils représentent 233 M€ d'aides, générant 1,1 Md€ d'investissements. En termes de recherche, les experts se concentrent sur trois axes : le développement de nouvelles générations de matériaux et de procédés, susceptibles notamment de réduire la dépendance aux métaux critiques, le progrès sur les nouvelles technologies « tout-solide » « et « post-Li-ion », la promotion de procédés de fabrication moins énergivores, à plus faible empreinte environnementale.
Alerte sur la sécurité
Seule note discordante, dans ce flot de congratulations : l'association Robin des bois attire l'attention sur les risques accidentogènes des batteries au lithium, de leur production au recyclage, en passant par les transports et les recharges. « Le lithium est sujet aux emballements thermiques », explique l'association dans un communiqué. Dans un avis de juillet 2021 sur le projet d'usine de batteries automobiles d'ACC, l'Autorité environnementale (AE) recommandait de cartographier les effets et les risques technologiques du site de Douvrin, puis de recouper ces données avec les risques technologiques des sites voisins, dont trois usines Seveso : deux classées seuil bas à 150 mètres et un kilomètre, une classée seuil haut à trois kilomètres. Des documents que l'association n'a pas pu consulter. « ACC a répondu que les cartes des effets technologiques ont été réalisées, mais relèvent de la confidentialité », relate-t-elle.
Dans un deuxième avis émis en mars 2023, l'AE notait aussi que l'étude de dangers réalisée en 2022 était antérieure à l'incendie du 16 janvier 2023 dans un entrepôt Bolloré Logistics contenant des batteries au lithium à Grand-Couronne, près de Rouen (Seine-Maritime), et regrettait que le retour d'expérience de cet incendie généralisé n'ait pas été pris en compte.