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Actu-Environnement

« L'Autorité environnementale a fait la démonstration de son indépendance »

Philippe Ledenvic s'apprête à quitter la présidence de l'Autorité environnementale, après plus de huit ans passés à sa tête. À la suite de cette expérience, il explique le rôle de cette instance, ses forces et ses fragilités pour affronter l'avenir.

Interview  |  Aménagement  |    |  L. Radisson
Droit de l'Environnement N°317
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°317
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« L'Autorité environnementale a fait la démonstration de son indépendance »
Philippe Ledenvic
Président de l’Autorité environnementale
   

Actu-Environnement : En quoi le rôle de l'Autorité environnementale (Ae) est-il important ?

Philippe Ledenvic : Elle a deux fonctions majeures. La première est de fournir un avis qui puisse servir aux maîtres d'ouvrage pour améliorer leurs projets. La difficulté qu'a pu connaître l'Ae à son origine, c'est que les maîtres d'ouvrage pouvaient ne pas prêter attention à ce qu'elle disait, car elle n'était pas connue. Avec dix ans de recul, je sais que ce n'est plus le cas. L'avis de l'Ae leur permet de repérer les insuffisances de leur dossier et d'améliorer leurs projets. Certains maîtres d'ouvrage manquent de compétences ou, au contraire, de recul par rapport à leur bureau d'études. L'avis peut être particulièrement utile pour appréhender les fragilités de leur dossier et les risques, notamment juridiques, mais aussi sur le fond. Les visites sur place des rapporteurs sont particulièrement prisées, car ces échanges leur permettent de comprendre ou de découvrir des choses qui leur avaient échappé dans l'établissement de leur dossier.

AE : Quelle est sa deuxième fonction ?

PhL : C'est celle de l'information du public. Les témoignages positifs viennent de toutes parts, et, en premier lieu, des commissaires enquêteurs. Quand ils prennent connaissance d'un dossier, ils lisent le résumé non technique, l'avis de l'Ae et le mémoire en réponse. Avec ces trois pièces courtes, ils peuvent se mettre très vite au courant de dossiers très compliqués, qui peuvent aller de plusieurs centaines à plusieurs milliers de pages. Les témoignages du public et d'associations de protection de l'environnement allant dans le même sens sont aussi légion. Il y a une vertu pédagogique, reconnue de façon quasi-unanime, de ces avis pour le public et donc pour l'exercice de la démocratie environnementale.

AE : Malgré tout, l'Ae n'est-elle pas perçue par certains comme un « empêcheur de tourner en rond » ?

PhL : Je ne crois pas que ce soit le terme approprié. Il y a, d'une part, des autorités décisionnelles et des autorités politiques qui considèrent que l'avis de l'Ae n'est qu'un acte de procédure supplémentaire rallongeant l'autorisation des projets. Elles souhaiteraient que les projets puissent être autorisés plus rapidement, même quand ils ne sont pas bons. D'autre part, ponctuellement, il peut y avoir certains projets pour lesquels l'avis de l'Ae est un caillou dans la chaussure, plus ou moins important, pour les maîtres d'ouvrage. Un caillou souvent attendu d'ailleurs. La question qui se pose alors au maître d'ouvrage ainsi qu'à l'autorité chargée d'autoriser le projet, c'est celle de savoir comment arriver à gérer tous les risques qui sont ainsi mis publiquement sur la table et, pour l'autorité qui autorise le projet, d'assumer la décision.

AE : Les avis de l'Ae ont-ils conduit à remettre en cause des projets ?

PhL : Oui, même si, la plupart du temps, je n'en ai pas la preuve. L'Ae n'a pas les moyens et a, de toute façon, décidé, pour l'instant du moins, de ne pas assurer le suivi de ses avis. Mais on sait bien qu'un certain nombre de projets ont été soit ralentis, soit revus, soit remis en cause à la suite de son avis. En réalité, plusieurs autres motifs conduisent à remettre en cause des projets et l'avis de l'Ae n'est qu'un élément révélateur d'un blocage. Il y a toutefois un cas pour lequel on peut répondre avec certitude : c'est celui de la liaison Est-Ouest au sud d'Avignon. Vingt ans après l'autorisation de son deuxième tronçon, qui n'avait pas été mise en œuvre, l'étude d'impact était, à peu de chose près, la même, alors qu'il y avait de multiples enjeux environnementaux qui n'avaient pas pu être pris en compte au début du siècle (Natura 2000, inondations de la Durance). On avait donc fait un avis particulièrement sévère soulignant plusieurs problèmes de fond. Contre toute attente, l'État a engagé la consultation du public quasiment sans modification et avec un mémoire en réponse qui ne répondait pas aux recommandations. C'est le seul cas où l'Ae a pris la décision de faire une contribution à la consultation du public pour alerter sur l'absence de réponses à ces questions, pourtant importantes. Du coup, le projet présenté en 2020 a été arrêté et il est actuellement réétudié.

AE : Les avis de l'Ae contribuent-ils globalement à une amélioration des projets ?

PhL : Je le crois. On peut en attester avec les dossiers que l'on examine deux ou trois fois de suite : d'abord au stade de la déclaration d'utilité publique, puis à des stades ultérieurs, comme celui des autorisations environnementales. On voit que les maîtres d'ouvrage ont cherché d'une façon ou d'une autre à réduire certains impacts et à améliorer les choses. Certains projets routiers, par exemple, reviennent avec une moindre consommation d'espace, moins de destruction de zones humides, une meilleure identification des impacts sur le milieu naturel et des mesures de compensation plus sérieuses au stade de l'autorisation environnementale.

AE : Dans votre dernier rapport annuel, vous pointez des écarts préoccupants entre les objectifs fixés par les plans et programmes et les actes censés les traduire. Qu'en est-il ?

PhL : Les vraies améliorations portent, en effet, sur les dossiers de projets tandis que beaucoup de plans et programmes restent des déclarations politiques qui sont rarement traduites en mesures cohérentes avec les objectifs fixés. Les écarts entre des ambitions toujours plus fortes et le manque de moyens pour les atteindre sont d'ailleurs de plus en plus préoccupants. Cela traduit une certaine culture de la décision administrative et politique en France. Pour être très honnête, nos avis ne semblent ici pas pris en compte. Mais, comme partout, il y a des exceptions avec des plans et programmes qui ne sont pas mauvais et dont l'évaluation environnementale est plutôt bien faite. On a alors l'impression que nos recommandations vont permettre d'identifier des pistes d'amélioration en termes de méthode ou de fond.

AE : Les dispositifs actuels sur l'évaluation environnementale apparaissent très complexes. Pourquoi une telle complexité ?

PhL : Tous ces dispositifs sont d'essence européenne et ne s'articulaient pas spontanément avec le droit et l'approche français, très attachés à des nomenclatures à seuils, par autorisation, au lieu d'une approche globale par projet. Avant 2017, les textes français n'étaient donc toujours pas cohérents avec le droit européen. Après un certain nombre de contentieux, il y a eu une grande remise à plat, notamment avec une ordonnance d'août 2016 relative à l'évaluation environnementale. Le droit français s'est alors aligné encore davantage sur le droit européen et tout devait théoriquement rentrer dans l'ordre. Mais les problèmes de fond qui découlaient de cette différence d'approche n'étaient pas pour autant résolus. Petit à petit sont donc apparues des difficultés pratiques, et le droit français a été adapté pour ouvrir la porte à un nombre important d'exceptions. Toutes les dispositions adoptées depuis 2017, au prétexte de simplifier, n'ont finalement conduit qu'à complexifier le droit : c'est le cas de la dissociation de l'autorité environnementale et de l'autorité chargée du cas par cas pour laquelle la France fait l'objet d'un avis motivé de la Commission européenne. Outre la complexité, cela introduit des risques juridiques nouveaux, tant pour les autorités décisionnelles que pour les maîtres d'ouvrage.

AE : Quels sont les problèmes de conformité avec le droit européen qui risquent à l'avenir de subsister ?

PhL : Sur les projets, la France a du mal à chausser pleinement l'esprit de la directive qui prévoit qu'un projet peut évoluer à chaque nouvelle autorisation d'une de ses composantes. À l'issue du processus décisionnel, l'ensemble des impacts doit avoir fait l'objet de mesures d'évitement, de réduction ou de compensation. Sur les plans et programmes, la liste de ceux qui sont soumis à évaluation environnementale n'a aucun sens : des plans-programmes figurent dans la liste alors qu'ils ne présentent pas un grand intérêt en termes d'évaluation, tandis que l'on constate des manques flagrants, comme les concessions autoroutières et les concessions hydrauliques.

AE : Des pistes de transformation de l'Ae avaient été suggérées, telles qu'une fusion avec la Commission nationale du débat public (CNDP). Qu'en est-il ?

PhL : Je n'ai pas connaissance de nouvelles réflexions pour faire évoluer le dispositif dans son ensemble. Autant il y a eu un certain bouillonnement et des propositions d'évolutions possibles au moment de la mission de la députée Muschotti, autant maintenant l'ouverture d'un nouveau chantier ne semble plus à l'ordre du jour. Cette mission a mis en lumière qu'il était important d'avoir des structures comme les autorités environnementales qui puissent mobiliser une expertise technique indépendante sans équivalent. La CNDP doit garantir sa neutralité et son objectivité vis-à-vis du public sans prendre position, alors que l'Ae doit exprimer un regard analytique et critique sur les éléments présentés au public. La mission Muschotti n'a d'ailleurs pas retenu l'idée de la fusion de l'Ae et de la CNDP, faute d'une valeur ajoutée patente.

AE : L'indépendance de l'Ae est-elle menacée ?

PhL : L'Ae a fait la démonstration de son indépendance et, pendant dix ans, j'ai le sentiment d'en avoir été le garant rigoureux, en conformité avec les cadres européens et français. Elle a toujours pu communiquer ce qu'elle voulait, quand elle le voulait et parce qu'elle le voulait, à travers ses avis et ses rapports annuels. Je pense que cette indépendance est structurelle, car liée à sa collégialité : si ses 17 membres se serrent les coudes et sont solidaires pour dire ce qu'il y a à dire, le président n'a de toute façon pas beaucoup de marge de manœuvre. Il y a eu une petite exception dans le passé. L'Ae a été un peu fragilisée, fin 2021, par la conjonction de trois facteurs : une vraie surcharge d'activité liée à l'arrivée concomitante d'un tas de plans et programmes (Sdage, PGRI, contrats de plan, etc.) ; le départ en retraite de membres de l'Ae qu'il a été difficile de remplacer ; la réduction de trois à deux mois du délai pour rendre les avis sur les projets. C'est là que nous avons ressenti que les difficultés sur les moyens pouvaient soulever la question de la préservation de notre indépendance. Mais la situation des moyens est redevenue normale début 2022.

AE : Reste-t-il des sujets d'inquiétude ?

PhL : Le sujet de moyen terme qui reste à consolider est celui du bon fonctionnement et de l'indépendance du collectif constitué par l'Ae et les missions régionales d'autorité environnementale (MRAe). Ces dernières sont potentiellement plus fragiles quant aux moyens disponibles et à leur degré de collégialité. Leur fonctionnement n'est pas homogène. Dans beaucoup de MRAe, les avis ne sont préparés que par la présidente, ou le président et un autre membre. Cela les expose davantage aux pressions - c'est un risque théorique, mais mineur -, mais surtout à un défaut de maîtrise de toutes les questions environnementales importantes sur certains dossiers : dans une relecture collégiale, chacun apporte un morceau de compétence. La robustesse et l'indépendance des avis sont à ce prix.

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