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Actu-Environnement

Loi transition énergétique : ce qui change (ou pas) pour les professionnels du bâtiment

Les entreprises artisanales du bâtiment craignent des insécurités juridiques issues du texte liées à une garantie des niveaux de performance énergétique et aux contrats de co-traitance, alors que la loi reviendra en seconde lecture à l'Assemblée.

Décryptage  |  Energie  |    |  R. Boughriet
Environnement & Technique N°346
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°346
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Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 14 octobre dernier puis au Sénat le 3 mars, le projet de loi sur la transition énergétique prévoit plusieurs dispositions visant à "accompagner" les professionnels du bâtiment dans l'atteinte des 500.000 logements rénovés par an.

75.000 emplois "seront créés grâce aux travaux engagés avec les aides de l'Etat", avait souligné le 18 juin 2014 la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, en présentant le texte en conseil des ministres. Les acteurs du secteur - le Plan bâtiment durable, la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) - avaient alors salué le renforcement des allègements d'impôt et des dispositifs incitant les particuliers à engager des travaux de rénovation et d'isolation. La TVA à taux réduit (5,5%) mais aussi le crédit d'impôt transition énergétique et l'éco-prêt à taux zéro dont leur octroi est désormais conditionné au recours à des professionnels Reconnu garant de l'environnement (RGE). Plus de 35.000 entreprises sont à ce jour labellisées RGE, "soit 4.000 de plus par mois", selon Bruno Lechevin, président de l'Ademe.

Le projet de loi prévoit d'imposer des obligations de performance énergétique pour certains travaux lourds d'isolation thermique "sous conditions de faisabilité technique et économique", à la satisfaction de la FFB pour qui une obligation "stricte aurait été un mauvais signal pour l'investissement et aurait bloqué le marché". Les sénateurs sont toutefois revenus sur la dérogation automatique à certaines règles de l'urbanisme qui visaient à faciliter les travaux d'isolation par l'extérieur, en réponse aux inquiétudes des professionnels et des associations de défense du patrimoine, a expliqué le sénateur UMP Ladislas Poniatowski, rapporteur du texte. Le Sénat a choisi de redonner aux maires la possibilité d'accorder de telles dérogations et de ne pas imposer une "technique particulière" d'isolation lors d'un ravalement important de la façade. Les sénateurs ont en revanche renforcé l'obligation de rénovation des logements du parc locatif privé dès 2020 au lieu de 2030 visant une performance de 150 kilowattheures par mètre carré et par an, jugée "difficile à atteindre" par Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable.

Responsabilité applicable en matière de performance énergétique

Les parlementaires ont également débattu sur l'encadrement de la garantie décennale susceptible d'engager la responsabilité du constructeur, envers le maître d'ouvrage ou l'acquéreur de l'ouvrage, en matière de performance énergétique. Selon l'article 1792 du Code civil, la garantie décennale prévoit que le constructeur est responsable de plein droit de la réparation de dommages pouvant affecter une construction pendant une durée de 10 ans à compter de la réception des travaux. Sa responsabilité est engagée en présence de dommages affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination en l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou d'équipements (défaut d'étanchéité, fissures…). Les députés ont modifié l'article 1792 du Code civil afin d'appliquer la garantie décennale en cas de non-respect de la réglementation thermique (RT). Ainsi, "l'obligation de travaux de rénovation énergétique doit avoir pour corollaire l'instauration d'un système d'indemnisation/ réparation en cas de non-respect des objectifs fixés, via le mécanisme d'assurance professionnelle liée à la garantie décennale", selon l'amendement du groupe socialiste adopté par les députés.

Mais les sénateurs ont estimé que le non-respect de la RT engageait déjà la responsabilité décennale "lorsqu'elle rend l'ouvrage impropre à la destination". Le vote des députés serait susceptible de faire naître "une jurisprudence imputant à la garantie décennale tout manquement à la règlementation de la construction. Cette jurisprudence risquerait d'entraîner une forte hausse des primes d'assurance pour la garantie décennale et par ricochet une hausse du coût de la construction", ont dénoncé le rapporteur, les sénateurs UMP Daniel Laurent et PS Roland Courteau. Le Sénat a par conséquent supprimé cette mesure avec le soutien de la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal. "Il ne faut pas toucher à cet équilibre entre la garantie décennale, déclenchée lorsqu'il y a un dommage sur l'ouvrage, et le défaut de performance énergétique, lié à l'ouvrage lui-même", a-t-elle déclaré lors des débats.

Le projet de loi propose en effet d'élargir la notion d'impropriété à la destination au défaut de performance énergétique. La garantie décennale ne pourra donc être invoquée qu'aux dommages les plus importants "dès lors qu'une surconsommation significative d'énergie s'explique par des défauts avérés liés aux produits, à la conception ou à la mise en œuvre de l'ouvrage ou de l'un de ses éléments constitutifs ou éléments d'équipement, toute condition d'usage et d'entretien prise en compte et jugée appropriée". Cette surconsommation énergétique ne permet" l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant", ont ajouté les sénateurs.

La Capeb s'est félicitée que "les objectifs de performance énergétique ne rentrent pas dans la garantie décennale qui doit continuer à couvrir seulement les cas d'impropriété à destination et donc les situations de dommages caractérisées".

Des engagements contractuels ou non ?

Autre pomme de discorde : l'engagement des professionnels sur une performance énergétique. Selon le vote des députés, les prestataires ont l'obligation de mentionner explicitement dans leur contrat l'engagement ou le non engagement sur un résultat d'amélioration de la performance énergétique ou environnementale d'un bâtiment. "S'il ne s'engage sur aucun résultat de façon explicite, le consommateur est alors loyalement informé", explique le Plan bâtiment durable. La commission des affaires économiques au Sénat avait adopté un amendement du rapporteur supprimant cette notion de résultat pour la remplacer par la notion de performance énergétique ou environnementale. "Celle-ci nous semble tout de même plus facile à définir qu'un résultat, dans la mesure où, en général, le niveau de performance énergétique des matériaux installés est connu", avait indiqué M. Poniatowski. Cet amendement ajoutait un régime de sanctions (amende de 15.000 € pour une personne morale maximum) en cas de manquements des professionnels aux obligations d'informations contractuelles.

Mais les sénateurs ont à nouveau pointé en plénière le risque juridique de cette obligation et l'ont par conséquent supprimée. "Les professionnels du secteur sont hostiles à cette disposition, ils soulignent l'inapplicabilité pratique d'une telle disposition, en effet il n'existe pas, à ce jour, de définition précise de la performance environnementale. Cette disposition ne peut que contribuer à alourdir et complexifier la vie quotidienne des entreprises du bâtiment et multiplier les contentieux car les assurances ne couvrent pas les engagements contractuels extra-légaux", a alerté le sénateur Jacques Mézard du groupe du Rassemblement démocratique et social européen(RDSE). La Capeb s'est réjouie du vote du Sénat."Aujourd'hui, il n'y a pas de vraie possibilité de s'engager car il n'existe pas d'outils de mesure de la performance énergétique in situ des bâtiments dont la méthode est vérifiée et partagée" par les acteurs, a souligné Sabine Basili, vice-présidente de la Capeb à Actu-Environnement. La filière "n'est pas prête", a-t-elle ajouté.

Co-traitance

En revanche, la fédération d'artisans dénonce les dispositions, prévues dans la loi, concernant les groupements momentanés d'entreprises (GME) en cas de travaux réalisés en co-traitance. Un GME est un accord privé entre entreprises qui leur permet de s'organiser pour réaliser un marché auquel elles n'auraient pu soumissionner si elles avaient été seules. Le GME n'existe que pour la durée d'un chantier, il n'y a pas de personnalité morale. Le projet de loi vise à instaurer un régime juridique protecteur des artisans en cas de co-traitance dans les marchés privés de travaux et de prestations de services d'un montant inférieur à 100.000 € HT.

L'amendement de la ministre de l'Ecologie, adopté par les sénateurs, prévoit de "maintenir l'incitation (des co-traitants) à se regrouper sans solidarité, tout en laissant aux artisans qui le souhaiteraient la possibilité d'être solidaires". Selon le texte, l'existence ou non de la solidarité juridique appliquée envers le maître d'ouvrage doit être mentionnée dans le contrat ainsi que l'identité du client, la nature et le prix détaillé des travaux et la mission du mandataire commun. Les sénateurs ont ajouté la sanction de nullité du contrat en cas d'omission des mentions.

Mais Mme Basili regrette que "les GME n'aient pas pu être sécurisés pour les petits chantiers, par la suppression du principe de solidarité juridique". Elle déplore "un retour en arrière" : "On avait déjà le choix entre la solidarité ou pas" pour ces marchés.

Concurrence des plateformes territoriales ?

Le projet de loi prévoit également de créer un réseau de plateformes territoriales de la rénovation énergétique pour offrir aux ménages, en complément des missions de conseils, un accompagnement technique (audit, diagnostic énergétique…) et financier sur leurs projets de travaux. Mais la Capeb s'inquiète de la nouvelle possibilité, votée par le Sénat, d'intervenir directement auprès des occupants à leur domicile. "La loi prévoit des sociétés d'économie mixte (SEM) qui seront à la fois financeurs des travaux et prestataires. Ces SEM iront directement chez les particuliers et derrière les entreprises seront simplement sous-traitantes ou poseuses, ce qui n'est pas acceptable", a prévenu Mme Basili.

Le gouvernement ayant engagé une procédure accélérée du texte, la commission mixte paritaire (composée de 7 sénateurs et de 7 députés) n'est pas parvenue à un accord le 10 mars. Le texte reviendra en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale, puis devant le Sénat, avant son vote définitif par les députés qui auront le dernier mot.

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