
Directeur de l'association Hespul
Actu-environnement : en publiant une note de position intitulée "autoconsommation : opportunité ou vraie fausse piste ?", vous jetez un pavé dans la mare. Pourquoi une telle polémique parmi les professionnels du photovoltaïque ?
Marc Jedliczka : Notre document part de faits concrets, parfois assez techniques, pour redonner au débat des bases rationnelles. Le terme "autoconsommation" peut vouloir dire des choses très différentes selon les acteurs. Il y a donc un premier travail de clarification technique à réaliser.
Surtout que sur le plan physique, les électrons cherchant toujours le chemin le plus court, un bâtiment qui supporte une installation photovoltaïque réalise toujours, de fait, une forme d'autoconsommation puisqu'il consomme en priorité les électrons produits au plus proche, c'est-à-dire ceux qu'il produit.
Aujourd'hui, la filière photovoltaïque est en très mauvaise situation. On a le sentiment que l'autoconsommation est un os à ronger lancé par les pouvoirs publics et auquel s'accrochent à tout prix certains professionnels. On le comprend, compte tenu de la crise de la filière, mais cela reste une fausse piste. Comme l'intégration au bâti, elle augmentera les coûts et n'aidera pas le photovoltaïque.
AE : Vous n'êtes pourtant pas opposé à l'autoconsommation ?
MJ : On ne peut pas être pour ou contre un principe physique ! Nous estimons en revanche qu'en France et à l'heure actuelle, il est absurde de vouloir la pousser, surtout dans le résidentiel, où les habitants ne sont pas là lorsque l'installation produit le plus.
L'autoconsommation, surtout sans contrat d'achat des excédents, pousse à ajuster consommation et production, ce qui est pernicieux : soit on augmente artificiellement la consommation pour absorber toute la production, soit on réduit la taille de l'installation photovoltaïque pour se limiter à ce qui peut-être consommé immédiatement. Deux mauvais choix.
Quant à l'ajout de batteries sur site, elle double quasiment le coût de l'installation et entraîne des pollutions pour la fabrication et le recyclage. Surtout que le réseau peut dans un premier temps remplacer le stockage physique, il y a toujours une demande, chez le voisin ou chez le voisin du voisin… Et si cela ne suffit pas à l'avenir, ce sera au réseau de s'organiser pour stocker et valoriser les surplus, ce sera bien plus efficace et bien moins coûteux.
AE : Sur quoi faudrait-il miser pour développer le solaire ?
MJ : Nous avons deux biens communs qu'il faut valoriser au mieux : le réseau et les toitures biens exposées. Le réseau est là et on ne peut pas faire sans. Il faut donc le faire évoluer et trouver des solutions notamment en milieu rural, pour éviter d'avoir à le renforcer, ce qui coûte cher. En ville au contraire, où le réseau est très dense et très robuste, c'est la disponibilité des surfaces ensoleillées qui est le facteur limitant : pousser l'autoconsommation conduit à réduire la taille de certaines installations, il faut au contraire maximiser l'usage des surfaces les mieux exposées en toiture ou façade des bâtiments, mais aussi dans l'espace public : couverture des parkings, des marchés forains, des cheminements piétonniers… Si, au-delà des seuls bâtiments, on veut tendre vers des quartiers ou des villes à énergie positive, il faut considérer toutes ces surfaces comme un "gisement" à valoriser. Or, sous-dimensionner une installation tue le gisement.
AE : Quel est le principal frein aujourd'hui ?
MJ : Derrière la question de l'autoconsommation se cache le fait qu'ErDF, la filiale d'EDF qui gère 95% des réseaux de distribution, est culturellement réticente à accueillir le photovoltaïque. Certes le réseau a été construit historiquement de manière "descendante", mais il lui faut maintenant apprendre un nouveau métier : collecter les productions décentralisées. Or les règles actuelles de dimensionnement et de conduite des réseaux pénalisent le solaire, il faut les faire évoluer. Mais l'autoconsommation n'améliorera pas cette situation.
AE : Que devrait-on réformer pour multiplier les installations sans voir les coûts de réseau exploser ?
MJ : Les textes règlementaires imposent de dimensionner le réseau en fonction de la puissance théorique maximale des panneaux exprimée en watts crêtes. Or cette puissance n'est pratiquement jamais atteinte. En analysant des données réelles sur les sites que nous suivons depuis de nombreuses années, nous nous sommes aperçus que si on limite la puissance maximale d'injection à 70% de la "puissance-crête", on perd 0,1% de la production annuelle. Si on descend à 50%, on en perd moins de 10%, mais on peut doubler la puissance raccordée et augmenter ainsi de 80% la production avec le même coût de raccordement et le même dimensionnement du réseau, juste en éliminant les rares pointes de production.
En acceptant de perdre un peu d'électricité, sur quelques dizaines d'heures en été, on se donne la possibilité d'augmenter le nombre et la puissance des installations photovoltaïques raccordées en un point donné, ce qui contribue en outre à faire baisser les coûts. En effet, avec la baisse rapide du prix des panneaux, les travaux d'installation pèsent de plus en plus lourd dans le coût total : quitte à travailler sur une toiture, autant poser le plus possible de panneaux pour réduire les coûts fixes et optimiser l'usage de la surface disponible.
Ceci n'est qu'un exemple : il y a beaucoup d'options comme celles-ci qui permettent de concilier les intérêts de tout le monde, en limitant les investissements sur les réseaux tout en augmentant les puissances photovoltaïques et en valorisant au mieux les surfaces exposées.