Le gouvernement a annoncé une concertation sur les dispositifs de soutien public aux énergies renouvelables. Très critiqués, les tarifs d'achat pourraient tout bonnement disparaître au profit de nouveaux mécanismes. Lesquels ? C'est la question que se posent tous les professionnels du secteur.
Si on regarde du côté de nos voisins européens, en Allemagne et en Italie notamment, lorsque le photovoltaïque a gagné en compétitivité, les tarifs d'achat ont été abandonnés au profit de primes à l'autoconsommation. Aujourd'hui, dans ces pays, l'autoconsommation n'est plus incitée financièrement mais continue de gagner du terrain. En Allemagne, 70% des installations seraient désormais en autoconsommation, estime Jean-Yves Quinette, ingénieur pour le cabinet d'études Tecsol.
Ce modèle serait-il transposable en France ? Alors qu'une réflexion a été lancée par l'Etat sur l'autoconsommation, les professionnels demandent un cadre juridique clair et un dispositif de soutien pour amorcer cette pratique, en attendant la parité réseau. C'était le sujet d'une rencontre organisée par Tecsol le 4 novembre dernier.
Sans incitation, un marché de niche
"Aujourd'hui, l'autoconsommation n'est pas encore performante économiquement", reconnaît Germain Gouranton, vice-président d'Enerplan. "Face au montant de l'investissement, le taux d'autoconsommation doit être optimisé. Et aujourd'hui, on se retrouve dans un marché de niche".
"En France, un projet a déjà vu le jour et plusieurs industriels précurseurs en sont déjà à une phase d'avant projet. Si la rentabilité n'est attendue qu'à partir de 2015, les échelles de temps pour mettre en place de tels projets (entre 2 et 4 ans) devraient conduire les parties prenantes à évaluer risques et opportunités dès à présent", souligne E-cube sur son blog.
A moyen ou long terme, l'autoconsommation pourra être avantageuse. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a estimé que le prix de l'électricité allait augmenter de 30% d'ici 2017. Mais sans visibilité de l'évolution des tarifs de l'électricité, difficile d'entrevoir à quelle échéance autoconsommer son électricité photovoltaïque deviendra vraiment rentable.
De plus, il faut trouver la bonne concordance entre la production solaire, qui est diurne, et les consommations. Dans le tertiaire ou les commerces, la production photovoltaïque coïncide davantage avec les horaires d'activité. Ainsi, en Italie, Elexia a développé l'autoconsommation sur cinq grandes surfaces. "Nos systèmes couvrent 20 à 35% de leur consommation d'électricité et le taux d'autoconsommation est très élevé". Un projet du même type, porté par des entreprises, est en cours de développement du côté de Perpignan.
"Avec la disparition des tarifs jaunes et verts fin 2015, l'autoconsommation deviendra plus naturelle dans le tertiaire. Les systèmes développés en grande toiture permettent de réaliser des économies d'échelle. Le coût de l'électricité produite sera alors inférieur au coût d'achat de l'électricité", estime David Marchal, du service Réseaux et énergies renouvelables de l'Ademe.
Mais dans le résidentiel, le taux d'autoconsommation est faible, proche de 20 à 30% et rend difficile l'amortissement de l'investissement. La raison ? La plupart des consommations sont réalisées hors période de production solaire. "Le pilotage des consommations peut modifier le profil de charge. Ainsi, 45% des besoins d'un ménage pourraient être pilotés et reportés au moment de la production solaire (lavage, froid, eau chaude sanitaire). On peut jouer avec la gestion (lissage, pilotage), l'utilisation thermique (eau chaude sanitaire, pompe à chaleur) et la mobilité (véhicules électriques)", estime Jean-Yves Quinette. Le stockage est également l'une des solutions avancées, mais pour l'heure, celle-ci renchérit le coût de l'installation.
L'Aquitaine se jette à l'eau
Face aux incertitudes, de nombreux acteurs restent frileux. Ce n'est pas le cas de la région Aquitaine, qui a lancé un appel à projets pour l'autoconsommation. L'objectif : développer des installations d'une puissance supérieure à 10 kWc, qui autoconsomment les deux tiers de la production.
"Quand on analyse le coût des projets, on passe quasiment du simple au triple", explique Pascal Latorre, chargé de mission au Conseil régional. "Le type d'installation, intégré ou non, joue beaucoup dans le coût de revient du projet".
A titre d'exemple, un projet de centrale au sol de 107 kWc pour une station d'épuration, avec 66% d'autoconsommation, coûte 7,7 c€/kWh. En revanche, un projet de photovoltaïque intégré en toiture dans un bâtiment tertiaire, de 75 kWc avec 97% d'autoconsommation, coûte 19,27 c€/kWh.
Mais pas de quoi refroidir la région ! Celle-ci a décidé de soutenir les projets sélectionnés jusqu'à ce qu'ils parviennent à la parité réseau. "Sur vingt cinq ans de durée de vie de l'installation, si la parité est atteinte au bout de dix ans [ce que prévoient les spécialistes], il reste quinze ans où l'énergie produite est rentabilisée", explique Pascal Latorre. La région a fait ses calculs : le taux d'intervention publique s'élèvera entre 20 et 30% du coût des projets. L'expérimentation, jugée "brillante" par de nombreux acteurs du secteur, connaît un véritable succès. En 2014, un industriel aquitain de la catégorie des électro-intensifs devrait même se porter candidat.
Eviter les effets pervers d'une prime à l'autoconsommation
De son côté, l'Ademe est encore en cours de réflexion sur le sujet. "La cible prioritaire d'une expérimentation serait les zones non interconnectées, les DOM COM, où la part des énergies atteint le seuil de 30% sur le réseau et où le coût de l'électricité est élevé", explique David Marchal. L'idée serait de cibler l'autoconsommation sans stockage, qui n'engendre pas de surcoût, et de partir sur un système de prime à l'autoconsommation conjuguée à un tarif d'achat à l'injection. "Par exemple, la prime pourrait être fixée à 14 c€/kWh et le tarif d'achat serait plus faible, à 9 c€/kWh. Dans notre logique, il faut une forte baisse du tarif d'achat pour inciter à l'autoconsommation. Mais attention à ne pas engendrer d'effets pervers !". Une incitation forte à l'autoconsommation pourrait être néfaste à l'objectif d'économies d'énergie puisque plus on consomme son électricité plus on perçoit d'argent… "Il faut trouver un système qui évite ces effets non vertueux", admet David Marchal.
Une autre solution, déjà pratiquée aux Pays-Bas et au Danemark, pourrait être envisagée : le "net metering". Un crédit est donné au producteur pour chaque kWh produit en sus de sa consommation et injecté sur le réseau. Si la consommation est supérieure à la production injectée, le consommateur paie les kWh supplémentaires consommés. Dans le cas contraire, les crédits dus pour les kWh injectés sont reportés à la période suivante. Mais l'intérêt du système pour le producteur dépend de la période de calcul mise en place qui peut porter sur une heure, une journée, un mois…