"Malgré un positionnement honorable au début des années 2000, et un réel investissement de la recherche publique et privée, la France a pris du retard sur ses principaux partenaires dans le déploiement industriel des nanotechnologies", pointe un rapport sur le déploiement industriel des nanoparticules et la biologie de synthèse, mandaté par différents ministères.
L'objectif affiché de la mission est notamment d'identifier les obstacles à leur développement. Projet Nano2017, Plan nanoélectronique, NanoInnov, projet NanoMet, ou dispositif du crédit impôt recherche, l'enjeu financier conséquent que ces nouvelles technologies laissent présager incite le gouvernement à multiplier les initiatives pour tenter de désamorcer les points de blocage.
Les marchés mondiaux pour ces deux secteurs, directs et indirects, seraient en effet estimés respectivement à 3.000 milliards et 10.000 milliards de dollars à l'horizon 2025.
En point de repère, entre 2002 et 2011, la production mondiale de nanomatériaux a été multipliée par dix passant à plus de 270.000 tonnes en 2011. Elle pourrait atteindre en 2016 environ 400.000 tonnes.
Un géant invisible
L'électronique, l'énergie, les biens de consommation, l'aéronautique, l'alimentation, l'environnement, la santé, etc. : les nanotechnologies concernent de nombreux domaines mais l'absence de visibilité dans leur application a conduit l'Union européenne à les qualifier de "géant invisible". Malgré l'obligation, instaurée en 2013, de déclaration annuelle des quantités et usages de nanoparticules pour les fabricants, importateurs et distributeurs, la France ne déroge pour l'instant pas à cette règle. "Force est de constater qu'il n'existe pas aujourd'hui de cartographie précise permettant de situer les sites de production français, globalement mal connus à part quelques filières, déplore le rapport. Il est par ailleurs difficile d'évaluer où sont valorisées les importations, tant que la déclaration annuelle obligatoire des substances à l'état nanoparticulaire mise en œuvre en France n'a pas été exploitée".
Si le rapport relève que l'utilisation des nanoparticules de synthèse en France repose à 90% sur trois produits principaux : les nanoparticules de dioxyde de titane, de silice et de dioxyde de cérium, l'inconnu demeure sur la part importée et celle fabriquée en France.
Un rôle dans les scénarios de transition énergétique et environnementale ?
Pour ce qui concerne l'environnement, le rapport souligne l'intérêt des nano pour le secteur de l'énergie à travers la production de cellules photovoltaïques multi-jonctions, la conception des super-capacités ou des applications pour le stockage d'hydrogène sous forme solide par adsorption (hydrures métalliques).
Régulation des échanges thermiques par l'utilisation de vitrages adaptatifs, diminution des consommations énergétiques et des consommations de matières premières par l'utilisation de matériaux nanostructurés, dans le bâtiment, les travaux publics et l'aéronautique : les nanos pourront également jouer un rôle, selon le rapport pour la sobriété énergétique.
Autres applications : des techniques de nanofiltration pour le traitement de l'eau, l'utilisation de nanocapteurs pour la détection des polluants et la remédiation à des pollutions diffuses.
"Toutefois, bien que les nanotechnologies et les nanomatériaux soient déjà très largement mis en œuvre dans l'élaboration de nombre de produits commercialisés, le rôle clé qu'ils sont amenés à jouer dans les scénarios de transition énergétique et environnementale se trouve masqué au regard de la majorité des autorités publiques, par le caractère transverse de leur utilisation", estime le rapport.
Risques perçus, avérés et …bénéfices
Parmi les freins au développement de ces technologies, la mission identifie l'opinion publique et le contexte français particulier. "Il existe un risque de confusion au sein de l'opinion publique française sur la base d'interprétations asymétriques entre les risques perçus, les risques avérés et les bénéfices", note-t-il.
Ce climat, selon le rapport, contribuerait à limiter les investissements dans le secteur. En effet, si la mission reconnaît que le niveau de financement public en France s'avère bon, en revanche, les investisseurs privés, ne semblent pas au rendez-vous.
"Il n'est pas douteux qu'il traduit une inquiétude des investisseurs spécifique à la France dans le domaine des nanotechnologies, souligne le rapport, ce sentiment a été confirmé par presque toutes les entreprises consultées : la mission a noté une incompréhension envers la déclaration Nano, (…) et envers la conduite et les résultats du débat public de 2009, qui semblent avoir priorisé les risques sur les avantages".
La mission a ainsi identifié trois facteurs limitant l'investissement privé et le développement industriel des nano : tout d'abord, une incertitude sur les réglementations à venir (application de Reach aux nanoparticules de synthèse par exemple). Selon le rapport, également "la question de confiance posée par la société civile aux nouvelles technologies doit être résolue, à l'instar des meilleures pratiques des pays industriels, mais adaptée au contexte national".
Ensuite, le rapport estime que le manque de capacité de production industrielle rend difficile la transition du laboratoire vers le marché et soulève la question d'une dissociation entre la propriété du capital intellectuel et celle du capital ayant permis le développement.
Enfin, la mission a constaté une grande dispersion des acteurs et peu de liens entre eux mais également une absence de "vision cohérente des perspectives d'avenir pour ces filières industrielles en France dans la sphère Etat, dont l'action n'est pas organisée en synergie".
Concernant les risques et la protection, la mission reconnaît toutefois l'insuffisance de la connaissance et préconise d'accroître la part des moyens de recherche publique et privée dédiée à l'évaluation des risques liés aux nanotechnologies et aux nanomatériaux.
Autre manque à combler : les limites concernant les dispositifs de traçabilité des matériaux de synthèse, à la fois pour la définition des nanomatériaux et l'élaboration de méthodes techniques de caractérisation.
"La place des réglementations et normes internationales pour accompagner le déploiement des technologies assurant le maximum de sécurité apparaît donc déterminante dans la course aux nanotechnologies, estime le rapport, l'application du principe de précaution et son harmonisation dans les différentes législations seront cruciales pour la compétitivité de l'industrie française".