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Autoroute Castres-Toulouse : un chantier qui suscite beaucoup de questions

Le climat se tend toujours plus autour du projet d'autoroute A69. Le Gouvernement a choisi de poursuivre le chantier, malgré une forte opposition des associations environnementales. Le point sur six volets du dossier.

Décryptage  |  Transport  |    |  N. Gorbatko
Autoroute Castres-Toulouse : un chantier qui suscite beaucoup de questions

Lumières et bruits assourdissants pour empêcher les activistes installés dans les arbres de dormir, fumées, blocage du ravitaillement en ­­eau, en aliments et en médicaments… L'ambiance devient chaque jour plus délétère dans le bois de la Crémade, à Saïx, dans le Tarn, où les opposants au chantier de l'autoroute A 69 ont créé une zone à défendre (ZAD). À tel point que le rapporteur spécial de l'ONU sur la protection des défenseurs de l'environnement, Michel Forst, a trouvé utile de se rendre sur place, jeudi 22 février, afin de se rendre compte de la réalité de la situation, puis de rencontrer le préfet du département le vendredi 23. Retour sur quelques grandes questions soulevées par ce dossier.

Quel est l'objet de ce chantier ?

Dans les cartons depuis 1994, initialement sous la forme d'une nationale, le projet qualifié en 2019 de « priorité nationale » par le Gouvernement consiste désormais à relier Toulouse (Haute-Garonne) à Castres (Tarn), à une soixantaine de kilomètres plus à l'est. Dans ce but, une autoroute (A69) de 53 kilomètres serait créée en deux fois deux voies depuis Castres jusqu'à Verfeil. Elle y rejoindrait alors une bretelle de 9 kilomètres, l'A680, passée en 4X2 voies au lieu de 2X2 voies, puis l'A68 (Toulouse-Albi). Concédée à la société privée Atosca, l'infrastructure traverserait 17 communes dans le Tarn et 7 en Haute-Garonne.

Son objectif : désenclaver le sud du Tarn et « dynamiser » le bassin de population et d'emploi de Castres et de Mazamet, moyennant toutefois une vingtaine d'euros de péage… Aujourd'hui, près de la moitié des crédits aurait déjà été engagée et la moitié des ouvrages d'arts réalisée. Les travaux emploieraient près de 400 personnes. La mise en service de l'autoroute est programmée pour la fin de 2025.

Quel sera son impact environnemental ?

Auteur d'une pétition contre le projet mise en ligne sur le site de l'Assemblée nationale en novembre 2023, le collectif La voie est libre lui reproche de nécessiter l'artificialisation de plus de 366 hectares de terres agricoles et d'espaces naturels. Ces actions seraient ainsi responsables de dommages irréversibles, impossibles à compenser, comme la destruction de 11,7 hectares de bois abritant des arbres centenaires et de 22 hectares de zones humides. Dans son avis rendu le 6 octobre 2022, l'Autorité environnementale soulignait elle-même cette « forte consommation de sols naturels et agricoles » et l'impact négatif de ces infrastructures sur la biodiversité, la rupture des continuités écologiques, les paysages, la pollution de l'air, les zones humides ou l'augmentation des consommations énergétiques.

Pour la député Nupes-LFI Anne Stambach-Terrenoir, le projet sera en outre à l'origine de la perturbation du cycle de l'eau, via l'extraction de granulats dans des carrières en Ariège, « qui pollue et assèche une nappe phréatique cruciale pour l'Occitanie », ainsi qu'une multiplication du passage de camions et de voitures, y compris au beau milieu des villages, afin d'éviter le péage, beaucoup trop cher. « Cela signifie donc une multiplication des émissions de gaz à effet de serre et de particules fines, ainsi qu'une artificialisation rampante aux abords de l'autoroute, pour construire des zones d'activité ou des entrepôts », ajoute-t-elle. De façon générale, résume sèchement l'Autorité environnementale, « ce projet routier initié il y a plusieurs décennies apparaît anachronique, au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de la pollution de l'air, d'arrêt de l'érosion de la biodiversité et de l'artificialisation du territoire et d'évolution des pratiques de mobilité et leurs liens avec l'aménagement des territoires. La justification de raisons impératives d'intérêt public majeur du projet au regard de ses incidences sur les milieux naturels apparaît limitée. »

L'autoroute en six dates

• 2009-2010 : le projet a fait l'objet d'un débat public organisé par la Commission nationale du débat public.
• 2013-2014 : poursuite de la concertation engagée localement jusqu'à la décision du préfet de région actant le tracé le 31 juillet 2014.
• 2016-2017 : enquête préalable à la déclaration d'utilité publique. La commission d'enquête émet un avis favorable au sujet de l'utilité publique du projet.
• 2018 : déclaration d'utilité publique
• 2020 : appel public à candidatures pour la mise en concession de la conception, du financement, de la construction, de l'exploitation, de l'entretien et de la maintenance de l'A69
• 2024 : début des travaux.
Une opinion réaffirmée, le 4 octobre dernier, par 1 500 scientifiques, dont la climatologue et membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) Valérie Masson-Delmotte, signataires d'une lettre ouverte appelant à renoncer à ce chantier dans le journal L'Obs. « Ce projet maintient la France sur une trajectoire incompatible avec la transition écologique telle qu'inscrite dans la loi », plaident ces experts. Les défenseurs du projet, de leur côté, mettent en avant la promesse du concessionnaire de replanter cinq fois plus d'arbres que ceux qui ont été arrachés et de recréer des surfaces de zones humides plus vastes que celles qui seront touchées. Mais le bilan carbone a peu de chance de s'équilibrer de cette manière. Sur les 55 hectares annoncés dans le protocole sur les zones humides, 11 seulement pourraient servir à une restauration, estime Anne Stambach-Terrenoir. « Et, du fait de l'erreur d'analyse de départ, cela ne fonctionnera même pas. »

Une demi-douzaine d'aires de covoiturage seraient cependant construites, ainsi que des bornes de recharge pour les véhicules électriques, qui paieraient moins cher le péage, une véloroute et une voie verte de soixante kilomètres. Des bus à hydrogène pourraient en outre desservir les petites communes rurales avant de rejoindre l'autoroute pour faire le trajet entre Castres et Toulouse.

Quelle est l'utilité de ce projet ?

Si les incidences environnementales de cette autoroute peuvent difficilement se discuter, son utilité en revanche, prête largement à débats. Censée réduire d'une vingtaine de minutes les trajets entre Toulouse et Castres, cette infrastructure a vocation à apporter du dynamisme économique au bassin de vie castrais. Dans les territoires ruraux et excentrés, la voiture « qui sera demain électrique, reste et restera une solution de mobilité incontournable », juge le député LR Nicolas Ray. S'opposer à l'A69 reviendrait pour lui « à condamner nos territoires à une déprise économique et à accroître encore la concentration de population dans les grandes métropoles – là où vivent les gens qui contestent le projet –, au prix d'une urbanisation incompatible avec nos objectifs écologiques ».

La chambre de commerce et d'industrie du Tarn lui apporte, à ce titre, son soutien « constant et très ferme ». Un argument « irrecevable » pour les opposants, « si l'on considère que la vitesse limite de 130 km/h sera inévitablement amenée à être abaissée dans le futur pour répondre au plan de sobriété énergétique destiné à réduire la consommation d'énergie globale du pays. » Mais surtout, remarque Édouard Bénard, député Nupes-GDR, « aucune démonstration concrète d'un impact économique favorable n'a été faite et aucune évaluation chiffrée n'a même été présentée en la matière ». Pour sa collègue écologiste Christine Arrighi, les villes traversées par une autoroute, comme Foix, Tarbes et Carcassonne, présentent même des taux de pauvreté bien plus élevés que d'autres, telles que Rodez et Auch. « Et c'est vrai aussi bien à l'échelle des communes directement concernées qu'à l'échelle des bassins de vie, précise-t-elle. Une autoroute ne garantit certainement pas une baisse de la pauvreté. »

Un autre projet est-il possible ?

L'élargissement de la chaussée, envisagée au départ, ne serait plus possible aujourd'hui, en raison de l'accentuation de l'urbanisation au fil des années. L'alternative ferroviaire proposée par les adversaires du projet semble tout aussi irréaliste aux yeux des défenseurs de l'A69. « La ligne (…) qui relie Castres à Toulouse ne dispose que d'une seule voie de circulation, ce qui limite fortement la fréquence des trains entre les deux villes, souligne le député socialiste Gérard Leseul (SOC). De plus, cette ligne n'est pas électrifiée, ce qui impose d'y faire circuler des locomotives diesel. » Quant au prix d'un doublement à 1,1 milliard d'euros, il risque peu d'être accepté par l'État.« L'analyse des variantes ne considère que le mode routier sans exploration suffisante de solutions de substitution raisonnables moins carbonées et moins consommatrices d'espace », note pour sa part l'Autorité environnementale.

Un projet alternatif porté par La voie est libre et soutenu par des scientifiques a pourtant été présenté à l'Assemblée nationale. Il comprend une véloroute et la modification de la voie ferrée. « Il y a déjà dix ans, des élus locaux ont financé une étude sur le réaménagement de la nationale (…). Cette étude a été balayée d'un revers de la main. L'an dernier, un incroyable travail citoyen a permis de proposer une alternative innovante et écologique. Il a lui aussi été méprisé », regrette la députée Anne Stambach-Terrenoir.

Où en est-on des procédures ?

“ « Le dossier a franchi les différentes étapes de sa procédure » ” Huguette Tiegna, députée Renaissance
Outre l'Autorité environnementale, le Commissariat général à l'investissement et le Conseil national de la protection de la nature ont été consultés sur le projet. Ils ont tous deux rendu un avis critique ou négatif. Mais en parallèle, entre la fin de l'année 2016 et le mois de mars 2023, « le dossier a franchi les différentes étapes de sa procédure », constate la députée Renaissance Huguette Tiegna, rapporteure des travaux de la commission chargé d'examiner la pétition pour l'abandon du projet : enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, procédure d'attribution de la concession autoroutière, avis favorable de l'Autorité de régulation des transports (ART) au contrat de concession, décret approuvant le contrat de concession, enquête publique au titre de l'autorisation environnementale et délivrance de celle-ci. À ce jour, tous les recours suspensifs, conduits à l'initiative d'une grosse dizaine d'associations, dont France Nature Environnement, Attac et la Confédération paysanne, ont été épuisés. Deux dernières procédures non suspensives sont malgré tout encore en cours devant la justice administrative pour faire annuler l'autorisation environnementale accordée à la société Atosca.

Quant à l'adhésion ou pas des citoyens et de leurs élus au projet, il est bien difficile de se faire une opinion. Les adversaires de l'infrastructure mettent en avant des enquêtes très défavorables. Ils relaient aussi un sondage de l'Ifop du 19 octobre 2023 selon lequel 61 % des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne souhaiteraient l'abandon de l'A69. Mais une autre étude menée en mars de la même année par Odoxa pour la société autoroutière montrerait une adhésion pour 75 % des Tarnais. Les opposants estiment que seul un quart des élus du Tarn y sont favorables. La présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, le soutient clairement, mais Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne appelle de son côté l'État à « réinterroger le projet ».

Les pétitionnaires réclament une nouvelle expertise indépendante, qui serait confiée à l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD). En attendant, à la demande des députés écologistes, une commission d'enquête parlementaire a été créée sur le montage juridique et financier du projet. Celle-ci devrait démarrer ses travaux et ses auditions mardi 27 février. La désignation de son président laisse toutefois songeur puisqu'il ne sera autre que le député Renaissance du Tarn Jean Terlier, fervent défenseur de l'infrastructure.

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