Manque d'ingénierie locale, interrogations persistantes sur la garantie rurale ou encore sur l'accompagnement budgétaire des communes… Après des remontées de terrain d'élus locaux, les sénateurs ont souligné, à l'occasion d'un débat organisé le 18 janvier 2024, les points à approfondir pour parvenir à une mise en œuvre de la loi ZAN du 20 juillet 2023. Ils se sont exprimés devant Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, également présent.
Pour atteindre l'objectif du ZAN à l'horizon 2050, il va falloir diviser par deux la consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers (Enaf) entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente. Cependant, « face à la complexité du dispositif, les élus continuent d'exprimer leur perplexité, alors même qu'ils devront très rapidement le décliner dans leurs documents de planification », a souligné Cécile Cukierman, sénatrice de la Loire (groupe Communiste républicain citoyen et écologiste) et organisatrice du débat. « Si les trois décrets parus, relatifs respectivement à la territorialisation des objectifs de la loi ZAN, à la classification des zones artificialisées et à la commission de conciliation sur l'artificialisation des sols, ont pu éclairer plusieurs points, les élus locaux attendent encore un certain nombre de réponses », a-t-elle ajouté.
L'ingénierie territoriale au cœur des besoins des petites villes
Le manque d'ingénierie, en particulier dans les petites communes, est une forte préoccupation. « Les élus ont le sentiment d'une France à deux vitesses : une France urbaine qui dispose d'une ingénierie suffisante et une France rurale qui ne l'a pas. Cette inquiétude, l'exécutif doit l'entendre », a alerté Mme Cukierman.
Le sénateur de l'Hérault Christian Bilhac (groupe Rassemblement démocratique et social européen) continue aussi de s'interroger sur la déclinaison concrète territoriale du dispositif. « Comment appliquer le ZAN sur des territoires aussi divers que des stations de montagne, le littoral ou des communes rurales ? Une fois de plus, la ruralité a été oubliée lors de l'élaboration de la loi. Nous faisons face, en particulier, à une très forte complexité administrative bloquant l'adaptation aux situations spécifiques des territoires », constate-t-il.
Des territoires inégaux, des biens immobiliers plus chers
Face au défi du ZAN, « ce sont le logement et le développement économique des territoires ruraux et périurbains qui se jouent », a ainsi prévenu la sénatrice Cécile Cukierman. Une autre étude, dévoilée le 5 février 2024 par le cabinet Arthur Loyd, (2) spécialisé en immobilier d'entreprise, a également identifié vingt villes françaises qui seraient les plus pénalisées par le manque de surfaces à artificialiser d'ici à 2030. « Avec la mise en place de l'objectif de zéro artificialisation nette, 113 000 hectares vont manquer en France métropolitaine, d'ici à 2030, pour loger les Français et développer les territoires. Vingt villes sont particulièrement touchées, avec, en tête de liste, les très attractives Toulouse, Bordeaux et Nantes », estime Arthur Loyd. Le cabinet pointe aussi dans ces villes, une augmentation du coût de l'immobilier, qu'il soit résidentiel ou professionnel. « Une hausse qui ne concerne pas seulement les métropoles les plus importantes de l'Hexagone, mais également des territoires plus "périphériques" (tels que Pau, Perpignan, Auch ou Le Mans). Une hausse qui devrait se poursuivre – au-delà du ralentissement économique actuel ou des effets conjoncturels de la remontée des taux d'emprunt – à moyen terme, du fait de la mise en application de l'objectif ZAN », précise son baromètre.
À l'inverse, six territoires, localisés pour la majorité d'entre eux dans le Grand Est (à l'instar de Verdun et Bar-le-Duc), mais également en Hauts-de-France et en Corse, disposeront d'un « solde d'artificialisation positif » par rapport à leurs besoins théoriques. « Ces territoires [n'ont] connu qu'un faible niveau d'artificialisation entre 2011 et 2020, et [bénéficient] de la mise en place de la garantie rurale », souligne Arthur Loyd.
Garantie communale, volets financier et fiscal
En garantissant un droit à l'hectare, la loi ZAN permet en effet aux élus, tout particulièrement dans les communes rurales, de conserver une possibilité de développement pour leur territoire. Néanmoins, selon Guislain Cambier, sénateur du Nord (groupe Union centriste), « la possibilité de mutualiser ce "droit à l'hectare" à l'échelle de l'EPCI (établissement public de coopération intercommunale, ndlr) doit être précisée ».
La question des bâtiments agricoles a aussi été posée par plusieurs sénateurs au ministre Christophe Béchu : doivent-ils ou non être intégrés dans les surfaces artificialisées ? « Quelles solutions envisagez-vous pour que la mise en œuvre de la politique du ZAN ne nuise pas à la construction des bâtiments d'exploitation agricole ? Ensuite, quand publierez-vous le décret portant sur la garantie rurale ? », a demandé le sénateur de l'Hérault Christian Bilhac (groupe du Rassemblement démocratique et social européen).
Enfin, des sénateurs ont abordé les questions financières et fiscales. « Les politiques ZAN auront un coût : qui mettra la main au portefeuille ? » questionne Bernard Pillefer, sénateur du Loir-et-Cher (groupe Union centriste). « Il faudra aussi une incitation fiscale, car la taxe sur le foncier bâti ou la cotisation foncière des entreprises (CFE) n'incitent pas à la sobriété foncière. De même, il faudrait réviser la fiscalité du foncier non bâti, dont la rentabilité est très faible et qui, de ce fait, favorise l'artificialisation », plaide également Christian Redon-Sarrazy, sénateur de la Haute-Vienne (groupe Socialiste, écologiste et républicain).
De son côté, Christophe Béchu a rappelé que le ministère a déjà mis à la disposition des acteurs locaux des outils pour s'approprier la réforme du ZAN (un guide synthétique, (3) quatre fascicules (4) et l'application en ligne « Mon diagnostic artificialisation »). Le ministre a aussi promis un soutien financier aux collectivités, via le Fonds vert, doté de 2,5 milliards d'euros, pour la remobilisation des friches ou la renaturation des villes et villages. Et s'agissant de l'ingénierie, « nous réfléchissons actuellement à la meilleure manière de nous y prendre pour que les 250 millions d'euros du PCAET [plan climat-air-énergie territorial, ndlr] puissent éventuellement être mobilisés. La signature d'un pacte entre toutes les agences – Ademe, ANCT, Cerema – remédiera à cette question », a-t-il ajouté.
Sur la garantie rurale, le ministre a reconnu des difficultés liées au « manque de recul ». « Nous avons deux difficultés : les territoires avec peu de communes, et d'autres, comme la Normandie, qui en ont tellement que la somme des garanties pose problème », a-t-il constaté. Et d'affirmer que « c'est un texte pour le monde agricole, première victime de l'étalement urbain ».
La liste des grands projets nationaux
Une nouvelle circulaire (5) datée du 31 janvier 2024 donne également les dernières instructions aux préfets pour notamment installer la commission régionale de conciliation. En effet, dans le cadre de cette commission, les Régions identifieront avec l'État les grands projets d'envergure nationale ou européenne (projets industriels, lignes à grande vitesse, autoroutes, prisons, zones aéroportuaires, etc.). La loi ZAN fixe à 12 500 hectares l'enveloppe décennale (2021-2031) qui sera réservée à ces projets, dans le cadre d'un forfait national. Leur localisation seront accessibles, via une cartographie qui sera mise en ligne par le Cerema sur le site de l'Observatoire de l'artificialisation des sols d'ici à fin février 2024, indique la circulaire.
L'arrêté listant les premiers projets d'envergure doit être publié courant mars. « Cette liste des projets d'envergure nationale ou européenne comporte deux catégories : dans la première liste, figurent les projets dont le financement est bouclé, dont les dates de réalisation sont certaines et pour lesquels l'artificialisation sera achevée en 2031 ; dans la seconde, tous les autres », a également annoncé Christophe Béchu aux sénateurs. « Pour certains projets, l'échéance est plus lointaine : aucun des EPR dont la mise en chantier est aujourd'hui prévue ne sera terminé en 2031. Lesdits EPR comptent donc littéralement pour zéro, à la minute où nous parlons, dans le calcul de l'artificialisation : ils seront imputés à la période suivante. De la même manière, certains projets d'infrastructures aboutiront après 2031 : cela n'aurait pas de sens de les rattacher au forfait. »