Sollicitée par plusieurs ministères et confrontée aux travaux de planification écologique, France Stratégie estime que la rénovation énergétique nécessitera la création de 160 000 à 250 000 emplois. Un besoin qui sera difficile à satisfaire.
La main-d'œuvre que nécessite la mise en œuvre des enjeux de rénovation énergétique ne sera pas facile à trouver, selon France Stratégie. En juin dernier, le Secrétariat général de la planification écologique a posé les premiers jalons de la future loi de programmation Énergie-climat (LPEC). Dans l'un de ces « documents de cadrage », il appelle le secteur du bâtiment à se préparer à réduire ses émissions annuelles directes de gaz à effet de serre d'au moins 61 % d'ici à 2030 (soit 46 millions de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone, MtCO2e). Près de 90 % de cette marge peut être réalisée à l'aide de travaux « d'isolation ambitieuse » et en remplaçant la quasi-totalité des chaudières au fioul et au moins une chaudière à gaz sur cinq. Autrement dit, recourir à toujours plus de rénovations globales et performantes.
Moins de constructions neuves ne suffira pas
Entre 170 000 et 250 000 emplois
en équivalents temps plein seront nécessaires pour satisfaire les objectifs de rénovation d'ici à 2030.
Comment cette ambition se traduit-elle en termes de moyens humains ? C'est la question qu'avaient déjà formulée les ministères du Travail, de l'Enseignement supérieur, de l'Éducation nationale, de la Formation professionnelle et de la Transition écologique, en décembre dernier, aux services de
France Stratégie. S'appuyant sur les hypothèses prospectives de son scénario de mars 2022, « Métiers 2030 », l'instance stratégique de la Première ministre a chiffré, le 4 juillet, le besoin de recrutement, à même de satisfaire les objectifs de rénovation, entre 170 000 et 250 000 emplois en équivalents temps plein (ETP).
« Dans le même temps, la baisse anticipée du nombre de constructions neuves devrait réduire le nombre de postes nécessaires de 50 000 à 60 000 ETP, souligne Dorian Roucher, sous-directeur du Département emploi et marché du travail de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Ce gisement reste néanmoins nettement insuffisant, en admettant que tous ces professionnels puissent participer à la hausse attendue dans la rénovation énergétique. » Et cela, sans compter sur un taux de départs à la retraite d'environ 26 % d'ici à 2030 et le manque d'attractivité historique de ces métiers chez les plus jeunes.
Un secteur entier à repenser ?
La marche est d'autant moins évidente à monter que la moitié des métiers opérationnels indispensables à la rénovation demeure en tension. Et à cela s'ajoutent d'autres enjeux structurels tout aussi problématiques. Tout d'abord, « il existe des disparités par département dans la distribution des passoires thermiques et des chaudières au fioul : le Massif central et le grand quart Nord-Est sont particulièrement concernés », ajoute Dorian Roucher.
Il existe des disparités par département dans la distribution des passoires thermiques et des chaudières au fioul
Ensuite,
« réaliser une rénovation globale nécessite une parfaite coordination de différents corps de métier dans un même bâtiment, commente Vincent Legrand, président de l'organisme de formation Dorémi et gérant de l'association Négawatt
. Ce n'est pas ce que l'on observe à l'heure actuelle, tant le secteur est peuplé d'artisans et d'entreprises individuels qui interviennent seulement sur leur spécialité. » Selon Hélène Garner, directrice du département Travail de France Stratégie, cette recherche de
« vision systémique sur le terrain » se traduit par
« l'émergence de trois nouveaux métiers » : le coordinateur de travaux énergétiques, le chargé d'affaires en rénovation et le chargé d'accompagnement (en gestion des aides). Néanmoins,
« nous recensons encore trop peu de formations ou de certifications les concernant ». Du reste, il n'existe pas assez d'entreprises capables de proposer de tels travaux. Seules 7 % des sociétés du bâtiment sont
labellisées RGE (pour Reconnu garant de l'environnement). En réaction, Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de la Formation professionnelle, a par exemple proposé d'intégrer la maîtrise des conditions RGE aux enseignements de CAP et de bacs professionnels.
Tout espoir n'est cependant pas vain. L'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes dans le BTP (Afpa-BTP) a engagé deux diagnostics de compétences, sélectionnés dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir » du plan France 2030. Le premier est centré sur la place grandissante de l'écoconstruction et du numérique et le second sur les besoins de recrutement en rénovation énergétique. Leurs conclusions paraîtront à l'horizon 2025-2026. D'ici là, Vincent Legrand appelle également à un changement idéologique de fond : « Il persiste un gros enjeu de renouvèlement des gérants des petites entreprises du bâtiment. Nous nous attendons à environ 10 % de départ à la retraite d'ici à la fin de l'année 2023. Cela ouvre la porte à de jeunes entrepreneurs, portés sur la rénovation, de prendre leurs places et d'inverser la tendance. »
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