Lors de l'examen, en séance publique, du projet de loi énergie, le Sénat a voté contre toute attente, plusieurs amendements qui excluent, à compter de 2023, les "passoires thermiques" étiquetées F et G des logements décents. Les amendements identiques défendus par les sénateurs Jean-François Longeot (Centriste), Franck Menonville (Indépendants) et Fabien Gay (CRCE à majorité communiste) ont été adoptés par 174 voix pour et 168 voix contre, dans la nuit du mercredi 17 juillet au jeudi 18 juillet. Soit à seulement 6 voix près… Ces amendements ont été approuvés contre l'avis du gouvernement et de la commission des affaires économiques du Sénat.
En commission, le 10 juillet dernier, les sénateurs ont privilégié l'incitation et l'accompagnement des propriétaires pour rénover les logements très énergivores. Ils ont introduit certaines dérogations aux obligations, votées le 28 juin dernier par l'Assemblée. En séance publique, les amendements adoptés au Sénat précisent dans la loi le seuil de consommation énergétique au-delà duquel un logement serait considéré comme indécent. Sont visés les logements étiquetés F et G (par le diagnostic de performance énergétique (DPE)) qui consomment plus de 330 kilowattheures (kWh) d'énergie primaire par m2 et par an. Ce qui ne sera pas sans conséquences pour les propriétaires.
"De nombreux logements du bâti haussmannien" étiquetés F et G
Le projet de loi énergie prévoit un nouveau décret qui intégrera un critère de performance énergétique dans la
De son côté, le sénateur Jean-François Longeot a rappelé que "plus de 30 %" des logements du parc privé français relèvent des catégories F et G dans leur DPE. Et "le gouvernement s'est engagé à (les) éradiquer d'ici 2028". La nouvelle ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, a répondu que ce vote "vient brouiller les lignes des critères de décence"."En effet, répondent à ces critères de performance énergétique de nombreux logements du bâti haussmannien non rénovés, qui sont énergivores, ce qui est regrettable, mais qui ne sont pas indécents pour autant", a souligné la ministre.
Le gouvernement et les députés avaient retenu pour le nouveau décret "décence" un critère d'énergie finale et non primaire à respecter sans préciser son seuil. Dans son amendement, voté à l'Assemblée, le gouvernement avait évoqué un seuil de 600 à 700 kWh par m2 et par an en énergie finale, visant à exclure de la location les passoires les plus énergivores. "Cette mesure n'a pas vocation à conduire à considérer l'intégralité des passoires thermiques (étiquette F ou G) comme des logements indécents", assurait le gouvernement dans l'exposé des motifs.
Mise en conformité du logement indécent : des dérogations pour les copropriétaires
Les conséquences ne s'arrêtent pas là. Le locataire peut engager une action en justice, devant le tribunal d'instance, pour exiger de son propriétaire la mise en conformité de son logement. "Le juge pourra alors fixer les travaux à réaliser et un délai d'exécution. Il pourra également prononcer une diminution du loyer voire attribuer des dommages et intérêts", rappelait Daniel Gremillet, dans son rapport de la commission du Sénat.
Les sénateurs ont aussi adopté, hier, un amendement présenté par le gouvernement, qui prévoit des dérogations pour les copropriétaires, à l'obligation de travaux qui serait ordonnée par le juge, "dès lors que, le copropriétaire démontre qu'il n'a pas pu faire les travaux nécessaires dans les parties communes, du fait des règles de décision au sein des copropriétés".
Cet amendement,"qui prend en compte la performance énergétique du logement au titre de l'indécence, l'adapte aux règles particulières qui régissent les copropriétés, pour le cas où le bailleur en dépit de toutes les diligences qu'il aura accomplies ne sera pas parvenu à faire adopter par le syndicat des copropriétaires, les travaux de rénovation énergétique à réaliser dans les parties communes", a expliqué Elisabeth Borne. Il "ne remet pas en cause les autres droits attachés à la caractérisation de l'indécence des logements et assure ainsi un équilibre entre les différents impératifs en jeu", a-t-elle ajouté.
Daniel Gremillet a émis un avis favorable à cette disposition."Un bailleur ne peut être sanctionné s'il est empêché d'atteindre l'objectif de performance énergétique du fait des décisions de la copropriété où se trouve le bien en location".
Les contrats de location en cours, à la date d'entrée en vigueur du nouveau décret "décence", resteront "soumis aux dispositions qui leur étaient applicables", indique le projet de loi.
L'interdiction d'augmenter le loyer est reportée à 2024
Le compromis du gouvernement, adopté par les députés, prévoyait aussi d'interdire, à partir de 2021, au propriétaire d'une passoire thermique (F et G) d'"augmenter librement le loyer entre deux locataires sans l'avoir rénovée". La révision du loyer est conditionnée à l'atteinte de la classe E au minimum du DPE. Ce jeudi 18 juillet, les sénateurs ont voté le report au 1er janvier 2024 de cette interdiction.
La date du 1er janvier 2021 "n'est pas cohérente avec le calendrier d'application défini par le gouvernement", a justifié M. Gremillet. Ce report "prend en compte l'entrée en vigueur des autres dispositions votées". A savoir : l'instauration de l'audit énergétique et de l'information sur les aides à la rénovation (prévue en 2022), le nouveau décret "décence" (en 2023) et l'application de l'obligation de performance énergétique (fixée à 330 kWh/m2/an (classe E)) pour les habitations prévue entre 2028 et 2033, a listé le sénateur.
Le Sénat conditionne cette révision des loyers, à compter du 1er janvier 2024, en zone tendue aux bailleurs privés. Il étend cette disposition aux bailleurs sociaux tout en introduisant des dérogations à cette mesure dans le texte. "Seuls 5 % des logements HLM sont concernés", a indiqué le rapporteur. L'obligation de rénover les passoires, à partir de 2028, votée par les députés, prévoit plusieurs exceptions liées aux contraintes techniques, architecturales ou au "coût disproportionné" des travaux par rapport à la valeur du bien. Les sénateurs ont ajouté dans le texte, les "mêmes exceptions" pour réviser également les loyers. Ils ont rejeté l'amendement du gouvernement qui demandait de revenir à l'échéance de 2021 et de supprimer les dérogations.