"La mise en œuvre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte est susceptible de remettre en cause les investissements envisagés et d'obliger l'entreprise [EDF] à fermer un tiers de ses réacteurs, avec des conséquences importantes en termes d'emplois, sans écarter l'éventualité d'une indemnisation prise en charge par l'Etat", analyse la Cour des comptes, dans son rapport annuel présenté le 10 février. Cette loi prévoit en effet une baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique de 75 à 50% à l'horizon 2025, ce qui pourrait conduire à la fermeture de 17 à 20 réacteurs en dix ans, dans l'hypothèse d'une consommation et d'une exportation d'électricité constantes. La Cour des comptes s'inquiète des conséquences de cette évolution sur le plan de maintenance défini par EDF pour maintenir à niveau le parc nucléaire français.
"Pour autant, et malgré ces enjeux majeurs pour l'entreprise et l'Etat, aucune évaluation économique de ces conséquences potentielles n'a été réalisée avant la publication de la loi. Cette évaluation doit être réalisée à l'occasion de l'élaboration de la PPE". La Cour des comptes préconise que l'étude d'impact de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) identifie précisément les conséquences industrielles et financières sur le programme de maintenance d'EDF. Celle-ci est attendue d'ici la fin du mois. Et justement, la question du nucléaire et de la traduction des objectifs en la matière sont à l'origine du retard pris dans son élaboration...
Quel équilibre économique en cas de fermeture de réacteurs ?
La Cour des comptes rappelle que le programme de maintenance d'EDF pourrait coûter 100 Md€ d'ici à 2030 et nécessiterait la création de 110.000 emplois directs et indirects d'ici 2020. Mais ce chiffrage porte sur les 58 réacteurs actuellement en service. "Les mesures prévues par la loi de transition énergétique devraient amener à redéfinir très largement ce projet", prévient-elle. Le rapport précise en effet que toute réduction de production a un impact sur les coûts de l'électricité, sur le chiffre d'affaires de l'entreprise et donc sur l'équilibre économique et financier du programme de maintenance.
Dans le cas où EDF ne prolonge pas l'exploitation de certains réacteurs, certains investissements de maintenance devraient s'avérer moins coûteux, d'autres ne devraient carrément pas être réalisés.
Mais EDF devra faire face à de nouveaux enjeux : "La perspective de fermeture de plusieurs réacteurs implique la nécessité pour l'entreprise d'élaborer un nouveau programme de maintenance, afin d'assurer que les réacteurs encore en service produisent de l'électricité dans des conditions de sûreté et avec une rentabilité suffisantes, tout en l'adaptant aux réacteurs dont la fermeture est programmée".
Or, les conséquences économiques de ces évolutions n'ont pas encore été évaluées, ni par EDF, ni par l'Etat, s'inquiète la Cour des comptes. Selon ses propres estimations, "les enjeux s'élèvent à plusieurs milliards d'euros par an". A compter de 2025, les charges d'exploitation pourraient être réduites de 3,9 Md€. Dans le même temps, les recettes d'EDF pourraient représenter 5,7 Md€.
Cependant, l'arrêt de certains réacteurs devrait réduire de 1,5 Md€ par an le poids des investissements de maintenance. Mais "le patrimoine d'EDF serait également réduit de la valeur des actifs de production fermés et la perte de valeur pourrait être évaluée entre 1,7 Md€ et 2 Md€ annuels"…
Les réponses de la ministre et d'EDF maintiennent le flou
Dans sa réponse à la Cour des comptes, la ministre de l'Ecologie ne lève aucune incertitude : "La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui fixera les orientations de l'Etat dans le domaine de l'énergie pour les prochaines années, devra intégrer un jeu d'hypothèses qui aboutiront à considérer différents scénarios contrastés, qui seront affinés dans les PPE successives", se contente-t-elle d'indiquer. Selon elle, il appartiendra à EDF d'adapter son plan stratégique dans les six mois suivant l'approbation de la PPE.
Même son de cloche dans la réponse du PDG d'EDF : "Le programme industriel détaillé sera mis en cohérence avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et avec la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) : les investissements relatifs au franchissement du cap des 40 ans seront engagés progressivement, avec l'objectif d'absence de coûts échoués"…