Très attendue par les acteurs du secteur, la stratégie de décarbonation du transport maritime mondiale a été adoptée sous l'égide de l'ONU. Elle fixe des objectifs clairs, mais les ONG critiquent son mode opératoire, jugé trop lent.
Une orientation « claire », une vision « commune » et des objectifs « ambitieux » : pour le secrétaire général de l'Organisation maritime internationale (OMI), Kitack Lim, la nouvelle stratégie approuvée par son institution ouvre bel et bien « un nouveau chapitre vers la décarbonation du secteur ». Mais celui-ci sera-t-il assez pertinent et suffisamment rapide pour respecter l'Accord de Paris ? La question reste en suspens. Adopté à l'unanimité par les 175 États membres de cette structure onusienne, chargée notamment de prévenir la pollution de la mer et de l'atmosphère par les navires, vendredi 7 juillet, lors de la réunion du Comité de la protection du milieu marin (MEPC), le texte prévoit de réduire à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre à l'horizon 2050.
L'atténuation de ces émissions devrait atteindre 20 % au moins en 2030, par rapport à 2008, année de référence, 30 % si possible, puis 70 % en 2040, 80 % dans l'idéal. Jusqu'à présent, l'objectif était fixé à moins 50 % en 2050, sans rendez-vous intermédiaire. Pour franchir ces caps, « le plus rapidement possible », l'OMI mise sur trois leviers : la mise en place d'une taxe carbone, l'amélioration du rendement énergétique des bateaux et le recours à des techniques, des combustibles ou des sources d'énergie de moins en moins carbonées. En 2030, la part de ces carburants ou vecteurs énergétiques devrait ainsi s'élever à 5 % du total, voire à 10 %. Une attention particulière devrait être portée aux pays en développement, « afin que personne ne soit laissé pour compte », souligne Kitack Lim.
Une méthode critiquée
Les questions climatiques et environnementales sont abordées, mais pas traitées de façon adéquate
Pourtant emportés de haute lutte par les États insulaires du Pacifique, soutenus par les États-Unis, le Royaume-Unis et le Canada, ces objectifs ne seront pas assez ambitieux pour placer le transport maritime sur une trajectoire compatible avec le 1,5 °C de réchauffement, selon de nombreuses ONG et experts du climat. Pour Clean Shipping, par exemple, il aurait fallu réduire de moitié les émissions de GES en 2030 et atteindre le zéro émission dès 2040. «
Les questions climatiques et environnementales sont abordées, mais pas traitées de façon adéquate », estime la coalition, qui regrette par ailleurs «
des négociations menées à huis clos », sans la participation des parties prenantes.
Ce programme pourrait toutefois permettre au transport maritime de rester en deçà des 2 °C, à condition d'être pleinement respecté. Mais pourra-t-il l'être par le biais de la méthode choisie ? En effet, la stratégie de l'OMI repousse à plus tard l'élaboration des mesures à envisager, tout comme la définition des critères à prendre en compte, dont l'incidence « exhaustive » de ces décisions sur les pays les plus vulnérables.
Un premier rapport sur les mesures à prendre et sur leurs incidences est attendu pour le printemps 2024, suivi d'un second à l'automne. L'examen de ces mesures doit s'effectuer en 2025 pour une approbation en 2026 et une entrée en vigueur en 2027. Soit trois ans avant la première échéance de 2030. Un délais très court. Or, « en fin de compte, ce sont les mesures que l'organisation prendra pour mettre en œuvre la stratégie, telles que les normes d'intensité de GES pour les navires et les carburants, ainsi que des mesures économiques, qui détermineront dans quelle mesure le transport maritime international contribuera au réchauffement futur », analyse Bryan Comer, responsable du programme marin de l'ONG International Council on Clean Transportation.
Un appel aux volontaires
Pour Kitack Lim, il s'agit là d'un « point de départ de travaux qui devront s'intensifier encore davantage au cours des années et des décennies à venir ». Mais pour les ONG, le temps presse. « Chaque fraction de degré est d'une importance capitale », insiste Ana Laranjeira, responsable des expéditions au sein de l'association Opportunity Green. Afin d'accélérer le mouvement, Clean Shipping, rejointe par d'autres ONG comme Pacific Environment ou Carbon Market Watch, plaide donc pour la formation d'une coalition de volontaires : États, régions et industriels. Celle-ci pourrait encourager le déploiement de nouvelles technologies et solutions, instituer des réglementations plus sévères en matière d'émissions et des taxes carbone plus importantes, destinées notamment à soutenir la transition des pays pauvres.
Des outils en appui
L'Organisation maritime internationale (OMI) dispose de plusieurs outils pour encourager la décarbonation des navires en répondant aux besoins spéciaux des pays vulnérables : un programme intégré de coopération technique (Pict), plusieurs fonds dont un alimenté par des contributions volontaires, un programme de formation (GHG-Smart), un autre de transfert de technologies… Un projet de réseau mondial de centres de coopération en matière de technologie (GMN) est, par ailleurs, à l'étude.
« L'industrie du transport maritime a clairement indiqué qu'une transition alignée sur 1,5 °C est réalisable et elle doit redoubler d'efforts pour atteindre cet objectif en l'absence du leadership de l'OMI, explique Clean Shipping. Les compagnies maritimes, les producteurs de technologies vertes et les investisseurs doivent augmenter leurs investissements dans la propulsion éolienne, l'hydrogène vert et d'autres solutions énergétiques alternatives. » Quant aux pays, il leur revient d'« assumer la responsabilité de leurs émissions de transport maritime à la COP 28 dans le cadre de leurs contributions déterminées au niveau national (NDC) ». Les navires transportent près de 90 % des marchandises échangées sur les marchés mondiaux, dont 40 % sont des combustibles fossiles. Ce trafic est à l'origine de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
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