
Directrice de l’association des gestionnaires de digues, France Digues
Actu-Environnement : La loi Maptam a transféré aux intercommunalités (EPCI-Fp) la gestion des digues, et implique la mise à jour des autorisations Digues vers des autorisations Systèmes d'endiguement. Les échéances pour la mise en place du nouveau cadre arrivent à leur terme. Quelle est la situation sur le terrain ?
Perrine Broust : Nous sommes face à la dernière échéance pour les systèmes d'endiguement de classe C, qui protègent moins de 3 000 personnes : le dépôt de la demande d'autorisation simplifiée doit se faire avant le 30 juin 2023.
Ces systèmes de classe C sont plus petits, moins connus et plus nombreux que les classes A et B. Pour ces plus grands systèmes, la mise en conformité est théoriquement terminée. Pour les systèmes de classe C, les gestionnaires se heurtent à plusieurs couches de difficultés.
Tout d'abord, l'étude de danger, qui est une pièce maîtresse de la demande d'autorisation, est plus complexe car il y a davantage de données à récupérer et à construire que pour les plus grands systèmes, plus connus. Les systèmes de classe C peuvent également entraîner plus de questions, d'abord pour les identifier de manière exhaustive, puis sur l'intérêt de les conserver ou pas et donc de choix politiques à assumer. Ce qui n'est pas simple quand cela renvoie à la protection des personnes ou à la survie d'activités économiques.
Dans ce contexte, la question du dépôt de l'autorisation dans les temps se pose. Et, avec elle, deux enjeux : tout d'abord, pouvoir bénéficier de la procédure simplifiée, dans un contexte de
Le second enjeu fort est qu'au 1er juillet 2024, les ouvrages auparavant autorisés en tant que digues et qui ne seront pas inclus dans un système d'endiguement en classe C perdront leur autorisation et devront être neutralisés.
AE : Quelles sont les options pour neutraliser un ouvrage ?
PB : L'objectif de la neutralisation est de sortir l'ouvrage de son rôle de protection contre les inondations (étape administrative), puis de supprimer ses éventuels impacts sur le milieu. Tout d'abord, de manière administrative, en désaffectant l'ouvrage : il est retiré du champ de la
AE : Quels sont les leviers à la disposition des gestionnaires pour déposer leur demande d'autorisation dans les temps ?
PB : Les gestionnaires se mobilisent pour déposer les dossiers dans les temps, si malgré tout ils sont en difficulté, un ultime recours existe. Lorsque nous étions confrontés aux échéances pour les systèmes de classe A et B, une lettre de la ministre nous a rappelé un pouvoir dérogatoire du préfet, ouvert par le décret du 8 avril 2020. Ce droit lui permet de retarder des échéances de dépôt du dossier de demande d'autorisation et la caducité des autorisations.
La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) nous a toutefois précisé que le délai devra être le plus court possible : au-delà d'un an, il y aura des prescriptions complémentaires pour gérer ces ouvrages non réautorisés dans la nouvelle réglementation.
Nous avons toutefois eu un certain nombre de retours de gestionnaires qui nous ont signalé un refus des préfets : ils considéraient qu'il y n'avait pas forcément motif à utiliser ce droit de dérogation pour les classes C. À notre demande, la DGPR a rappelé, lors de notre dernier webinaire, que cette possibilité était mobilisable.
AE : Entretemps, l'arrêté du 8 août 2022 concernant les visites techniques approfondies des ouvrages hydrauliques est paru. Comment a-t-il été perçu sur le terrain ?
PB : L'arrêté du 8 août 2022 était applicable dès sa parution, le 13 août au Journal officiel, pour toute nouvelle demande d'autorisation. Certains points ne font que mettre sur le papier des consignes orales et de bon sens. Mais il y a également des éléments nouveaux, plus lourds, comme l'obligation d'une capacité de surveillance en toutes circonstances des ouvrages, inscrite dans le document d'organisation. Ce n'est pas neutre : il faut organiser une équipe, éventuellement autour d'un système d'astreintes ou au moins de surveillance continue, par exemple via la mise en place des conventions de mise à disposition de personnel avec les communes, pour qu'elles puissent aller voir sur le terrain en périodes de crue.
Un autre point important de cet arrêté est lié aux visites techniques approfondies (VTA), qui doivent être rapportées dans des rapports de surveillance. La nouveauté est que le système d'endiguement intègre des ouvrages dits « contributifs », c'est-à-dire des ouvrages qui peuvent remplir plusieurs rôles en plus de la protection contre les inondations, comme une voie ferrée et une digue ou une route et une digue, qui deviennent alors un ouvrage du système d'endiguement. Les gestionnaires du système d'endiguement sont également chargés de vérifier que ces ouvrages résistent bien aux crues, et doivent réaliser les mêmes visites de surveillance. Il n'est par contre pas évident de réaliser une VTA sur une autoroute !
Ce qui a été convenu, c'est que le gestionnaire du système d'endiguement définit les compétences à avoir pour réaliser une VTA. Et si le gestionnaire de l'infrastructure, par exemple autoroutier, y répond, il pourra faire lui-même les observations et les transmettre.
AE : Qu'en est-il du transfert à venir des digues domaniales ?
PB : Ces digues pour la protection des biens et des personnes appartiennent et sont gérées par l'État. Lors de la création de la compétence Gemapi, en 2014, il a été dit que l'État continuerait à les gérer pour le compte de l'autorité gemapienne durant dix ans, soit jusqu'au 28 janvier 2024. Certains ont pu anticiper, d'autres pas. Une possibilité était ouverte de passer une convention de gestion avec l'État afin de discuter de ce que les gestionnaires récupéreront et dans quel état… Quitte à ce que des travaux soient réalisés. Peu de conventions ont pu être signées : de nombreux gestionnaires ont eu du mal à identifier les ouvrages qui allaient leur être transférés (étape essentielle pour engager la suite).
Désormais, les gestionnaires doivent travailler sur les conventions de transfert pour la mise à disposition des ouvrages en janvier 2024. Ce document est important. Car, après le 28 janvier 2024, l'État ne pourra plus ni gérer ni engager de dépenses dans le cadre de son ancienne maîtrise d'ouvrage et le gemapien va en récupérer la gestion. Si la convention existe, des fonds Barnier complémentaires permettront aux gestionnaires de bénéficier de financements à 80 % jusqu'en 2027. Les gestionnaires peuvent également décider de ne pas reprendre la gestion de ces ouvrages mais, très souvent, ce sont des dispositifs dont l'utilité n'est pas à remettre en question. Pour qu'il revienne à l'État d'être responsable d'un éventuel sur-aléa lié à l'ouvrage, la collectivité compétente doit réaliser la démarche de neutralisation administrative avant janvier 2024, date de transfert de la gestion. À défaut, le transfert est automatique selon la loi Maptam.