La France possède le plus grand parc d'incinérateurs européen avec 130 usines en fonctionnement et 16 projets en cours tandis que la Suisse dispose de 28 usines et l'Allemagne de 72. Du côté des alternatives, alors que l'Allemagne possède 53 usines de méthanisation sur son territoire et la Suisse 12, la France n'en possède que deux. L'Etat français doit cesser de soutenir le lobby de l'incinération au détriment de la santé de ses citoyens, déclare Florence Couraud, Directrice du CNIID, dans un communiqué. Selon les associations environnementales qui ont participé à l'opération, les usines d'incinération sont imposées aux citoyens sans aucune concertation et sans la moindre considération pour les propositions alternatives faites par les associations locales. Fos sur Mer en n'est un exemple concret : avec un non ferme à 94,8%, le projet d'incinérateur à Fos-sur-Mer se poursuit. L'incinérateur de Fos est en effet devenu bien malgré nous emblématique de ce que peut être l'orchestration infernale de pouvoirs et de lobbies convergents, au mépris de la loi, de la démocratie, et du devoir de précaution, déplore Bernard Granié, président communauté de commune Ouest-Provence.
Il est vrai que d'autres gouvernements sont plus à l'écoute des citoyens et des alternatives qu'ils proposent. L'incinération a été interdite aux Philippines par la Loi sur la pureté de l'air de 1999. Plusieurs états américains ont mis en place des stratégies Zéro déchet, comme le Massachusetts, la Californie ou encore Seattle. Récemment, l'Argentine a également adopté des objectifs ambitieux de réduction et de recyclage. Ainsi, une loi votée en novembre 2005 a fixé un objectif zéro déchet en 2020 pour la ville de Buenos Aires. Des objectifs à mi-parcours ont été fixés : réduction de l'enfouissement de 50 % d'ici 2012, de 75 % en 2017 et interdiction de l'incinération, avec ou sans récupération d'énergie. D'autres pays, comme la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou certaines collectivités anglaises et canadiennes se sont également fixés d'ambitieux objectifs de recyclage et de prévention. Ainsi, en 6 ans, Canberra (Australie) a réduit ses 440 000 tonnes de déchets annuels de 40 %, le recyclage a augmenté de 80 %, 51 % des déchets ont été détournés des décharges ou des incinérateurs et plus de 200 emplois directs ont été créés. La Suisse atteint aujourd'hui un taux de recyclage de 48 % de ses déchets ménagers, tandis que la France stagne toujours à 12 %. Il serait donc temps que nos politiques prennent des mesures pour favoriser le recyclage et le compostage au lieu de l'incinération, souligne le CNIDD.
Corinne Lepage et Dominique Voynet ont également apporté leur soutien à cette action considérant que les risques générés par les incinérateurs d'ordures ménagères sont importants pour la santé des populations riveraines. Pour Eric Delhaye, porte-parole de CAP 21, la réduction des substances chimiques persistantes comme les dioxines et les PCB de type dioxine dans la chaîne alimentaire est un élément primordial pour garantir la santé et la sécurité des consommateurs français.Les dioxines et les PCB, produits toxiques formés lors de combustions incomplètes ont en effet des propriétés toxiques qui peuvent entraîner des problèmes de santé comme certaines formes de cancers, des troubles immunitaires et du système nerveux, des lésions du foie et la stérilité. Si l'incinération qui consiste à brûler les déchets à haute température (entre 850 et 1 000°C), réduit le volume des déchets, elle ne détruit en effet pas totalement leurs polluants. Au contraire, elle les concentre dans les gaz de combustion (fumées) et, dans une moindre mesure, dans les résidus incombustibles de fond de four appelés mâchefers.
Rappelons que le traitement des fumées avant leur sortie dans l'atmosphère permet tout de même de récupérer en grande partie des poussières, des métaux lourds, des composés organiques et des gaz acides qu'elles contiennent. Ces éléments vont former ce qu'il est convenu d'appeler les résidus de fumées d'incinération des ordures ménagères (REFIOM), hautement toxiques et stockés en CSDU de classe I. Ainsi, même si le traitement des déchets par incinération confine en décharge une majeure partie des polluants, la partie restante est disséminée dans l'environnement avec des émissions dans l'atmosphère et les mâchefers lorsqu'ils sont valorisés.
Au chapitre des conséquences, une étude datant de 2003 concluait à l'existence d'un risque augmenté de développer un lymphome malin non hodgkinien pour les personnes résidant à proximité de l'incinérateur d'ordures ménagères de Besançon. L'équipe du Professeur Jean-François Viel affirme avoir mis en évidence un risque 2,3 fois plus élevé de développer la maladie chez les individus résidant dans la zone la plus exposée aux retombées. Selon une étude** réalisée par l'Observatoire régional de santé (ORS) et le Département environnement urbain et rural (DEUR) de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Île-de-France, dans le cadre de leur programme d'études en santé environnement, l'incinération des ordures ménagères reste la première source d'émissions de dioxines en Ile-de-France, émission heureusement en nette régression depuis le milieu des années 1990. En 2000, le total des dioxines qui entre dans la catégorie des Polluants organiques persistants (POPs) émises par les UIOM franciliennes s'élevait à 25 grammes, soit 24,6 % des émissions totales, toutes sources confondues. Toutefois, une diminution de l'ordre de 90% de la quantité de dioxines issus des 19 incinérateurs franciliens était attendue en 2006, suite à l'entrée en vigueur en décembre dernier de l'arrêté ministériel de septembre 2002 fixant un seuil d'émissions (0,1 ng/m3) à ne pas dépasser. L'application de ce seuil réduira, en Ile-de-France, le flux annuel de dioxines issu de l'incinération à 2 à 3 grammes, estime l'étude réalisée par l'ORS.
Nelly OLIN, Ministre de l'Écologie et du Développement durable, n'a pas tardé à réagir. C'est sous son impulsion que tous les incinérateurs sont aux normes depuis le 28 décembre 2005, rappelle-t-elle. En mai 2002, 36 incinérateurs ne respectaient pas encore ces normes malgré les problèmes rencontrés à Halluin en 1997 et à Gilly-sur-Isère en 2001. C'est uniquement autour d'installations non conformes que des impacts sur l'environnement ont pu être constatés. Soulignant que la mise aux normes a permis de réduire par 20 le taux de dioxine dans l'air par rapport à 2002, elle rappelle que de très nombreux travaux ont par ailleurs été engagés pour évaluer l'impact des usines d'incinération sur la santé : l'AFSSA et l'INVS finalisent une étude approfondie sur le sujet. Nelly OLIN souligne enfin que la politique des déchets présentée le 21 septembre dernier fixe des objectifs en terme de réduction des déchets destinés à être mis en décharge ou incinérés : passer de 290 kg en 2005 à 250 kg en 2010, puis 200 kg en 2015. La ministre a également tenu a rappelé qu'un plan de promotion du compostage domestique devrait être présenté le 16 octobre prochain dans ce cadre.
Pour ou contre l'incinération, l'accroissement de la production des déchets reste problématique en France. Aux côtés de l'incinération et de la mise en décharge, une nouvelle stratégie de traitement des déchets semble bel et bien devoir se développer en France : recyclage, compostage, méthanisation ou traitement biomécanique. La filière du traitement biomécanique a pur objectif d'augmenter les taux de valorisation des ordures ménagères et de diminuer les volumes à éliminer par incinération ou enfouissement et les impacts environnementaux qui en découlent. L'Espagne, l'Italie, l'Autriche et l'Allemagne font partie des pays les plus avancés dans ce domaine.
*Leurs travaux sont d'ailleurs publiés dans le numéro de juillet 2003 de la revue américaine “Epidemiology : Floret N, Mauny F, Challier B, Arveux P, Cahn JY, Viel JF. Dioxin emissions from a solid waste incinerator and risk of non-Hodgkin lymphoma. Epidemiology 2003; 14 (4): 392-8.)
**Incinération et santé en Île-de-France : Etat des connaissances