"Nous sommes très inquiets au sujet de la soutenabilité financière de la programmation des infrastructures de transport prévue par le texte pour les cinq ans à venir. D'ores et déjà, le niveau réel des investissements de l'État prévu pour 2019 sera 200 millions d'euros en‑dessous de ce que le projet de loi prévoit !, indique le sénateur LR Didier Mandelli, rapporteur du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Selon les projections du gouvernement, il manquerait, en outre, 500 millions d'euros (M€) par an à compter de 2020.
C'est la raison pour laquelle la commission de l'aménagement du territoire de la Chambre haute, qui a examiné le texte mercredi 6 mars avant son examen en séance publique le 16 mars, a voté plusieurs amendements visant à remédier au "manque de sincérité et de crédibilité" de la programmation présentée par le gouvernement.
Sanctuariser les ressources de l'Aftif
Les sénateurs ont inscrit dans le rapport annexé à la partie programmatique du projet de loi le principe d'une sanctuarisation des ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), afin qu'elles ne dépendent plus de "recettes instables et fluctuantes comme les amendes radars". "Financer la mobilité sur des recettes financées sur l'incivisme des Français me gêne", justifie Hervé Maurey (Union centriste), président de la commission de l'aménagement du territoire.
Ses membres ont également voté le principe d'une affectation intégrale à l'Aftif du produit de l'augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) votée en 2014 suite à l'abandon de l'écotaxe. Soit 1,2 milliard d'euros, qui ont résulté de l'augmentation de 2 centimes d'euros par litre de la TICPE sur le gazole pour les véhicules légers et de 4 centimes pour les poids lourds, alors que ce montant devrait décroître progressivement jusqu'à 526 M€ en 2022 selon la réponse du ministère des Transports obtenue par les sénateurs. "C'est un hold-up de Bercy qui déteste les recettes affectées", dénonce Hervé Maurey.
Lors d'une audition devant cette commission le 14 février dernier, Elisabeth Borne avait indiqué "attendre la fin du Grand débat, dans lequel la question de la fiscalité écologique est posée", avant de traduire les dispositions nécessaires dans la loi de finances. "Aucune des lois de programmation n'est une loi de finances et n'a donc vocation à intégrer des mesures fiscales et budgétaires", avait ajouté la ministre des Transports.
Levée de bouclier des transporteurs
Mais, même en admettant que les amendements sénatoriaux passent le cap de l'Assemblée nationale, une ressource complémentaire sera nécessaire pour respecter la programmation proposée par le gouvernement. Les sénateurs l'évaluent à 624 M€ en 2020, 329 M€ en 2021 et 222 M€ en 2022. "Cette nouvelle ressource (…) n'est à ce jour ni identifiée, ni certaine, ni même prévue dans un calendrier clair", déplore la commission de l'aménagement du territoire.
Le gouvernement avait annoncé, en juillet 2017, qu'il travaillait à la mise en place d'une contribution visant à faire contribuer les poids lourds au financement des infrastructures, se défendant toutefois de ressusciter l'écotaxe enterrée par Ségolène Royal, en octobre 2014, sous la pression des bonnets rouges. Un abandon dont le coût direct a été chiffré à près d'1 milliard d'euros (Md€) par la Cour des comptes avec un manque à gagner de 7,56 Md€ de recettes pour l'Aftif sur la période 2014-2024. Et pour conséquence… une hausse de la fiscalité pesant sur les automobilistes.
C'est pourtant sous la pression des gilets jaunes que le gouvernement a fait volte-face en novembre dernier sur son projet de vignette poids-lourds. Un recul que dénonce le Réseau action climat (RAC), qui fédère 22 associations nationales, déplorant que "le transport routier ne s'acquitte toujours pas de ses coûts au moyen d'une redevance kilométrique et écologique".
Si le Sénat regrette l'absence de cette ressource complémentaire, il n'a rien fait pour autant pour la mettre en place. La commission a en effet rejeté un amendement de la sénatrice Jocelyne Guidez (Union centriste) qui visait à créer une vignette applicable aux véhicules de plus de 3,5 tonnes immatriculés dans un État étranger. "Cela pose des problèmes techniques, comment n'assujettir que les poids-lourds étrangers ?", justifie Hervé Maurey.
Il faut dire que quelques jours avant l'examen du texte, les organisations de transporteurs avaient publié un communiqué commun dénonçant une "idée séduisante sur le papier mais qui risque de devenir une vignette pour l'ensemble des poids-lourds, y compris français". Une possibilité que les professionnels "refusent en bloc" dénonçant toutes "nouvelles taxes qui viendraient peser une fois de plus sur les entreprises, l'activité, l'emploi et in fine le pouvoir d'achat".