Mise en place des ZFE, nouvelles obligations de reporting imposées par la directive européenne CSRD, alourdissement prévu des taxes sur les émissions de CO2 des véhicules de sociétés... Bon gré mal gré, les contraintes réglementaires et fiscales qui s'accentuent sur les entreprises devraient favoriser le verdissement de leur flotte automobile. Pour Erwan Matte, directeur des nouvelles mobilités chez le loueur de longue durée Athlon France, l'accélération se fait de plus en plus palpable, ces dernières années, mais surtout depuis dix à dix-huit mois. « L'électrique et l'hybride rechargeable représentent déjà plus de 40 % de nos commandes, assure-t-il. Les entreprises recherchent l'équilibre financier. Plus la pression fiscale est forte, plus elles changent de type de véhicules de service ou de fonction. » Le syndicat de la profession, Sesam LLD, évalue quant à lui cette proportion à une sur cinq.
Un bilan décevant
Mais les vrais bons élèves restent rares. En 2022, selon une étude de l'ONG Transport&Environment France publiée en mars dernier, deux tiers des entreprises disposant d'au moins 100 voitures ne respectaient toujours pas leur modeste quota légal de 10 % de renouvellement de leur parc par des véhicules faiblement polluants. Les grands groupes se montrent à peine plus exemplaires que les autres : dans le top 100 des plus grandes flottes de France, seules 42 % étaient en ligne avec les objectifs réglementaires.
« Globalement, la mayonnaise ne prend pas comme il faudrait, confirme Timothée Quellard, fondateur et cogérant du bureau d'études et de conseil Ekodev rattaché au groupe EPSA. Il ne s'agit pas forcément de mauvaise volonté de la part des entreprises, mais il existe de nombreux points de blocage. » Le premier d'entre eux réside dans la méconnaissance de leurs contraintes par les dirigeants et les responsables des flottes, renforcée par une absence de sanction. « Dans ce domaine, ils sont plutôt mauvais, constate Timothée Quellard. Mais ils manquent aussi de communication pour mieux comprendre le cadre. »
- L'État a prévu de taxer davantage les véhicules de société, en augmentant les taxes sur leurs émissions de CO2 et sur leur ancienneté.
- La Corporate Sustainability Reporting Directive, qui entrera en vigueur en 2024, imposera à plus de 50 000 entreprises en Europe de publier des rapports extra-financiers précis sur leurs engagements RSE (environnementaux, sociaux et sociétaux).
Trop peu de voitures disponibles
Autres freins, beaucoup plus systémiques : la rareté des voitures électriques et hybrides rechargeables sur le marché, encore très immature et contraint par des difficultés d'approvisionnement en matières premières, les délais d'attente toujours longs, jusqu'à deux ans – notamment pour les véhicules français –, mais aussi le modèle d'affaires traditionnel des spécialistes de la location longue durée. Pour ces véhicules faiblement émissifs et recherchés, il n'est plus possible, en effet, de négocier les mêmes facilités avec les constructeurs que pour les automobiles diesel et à essence : plus question, désormais, de leur acheter de gros volumes à prix réduits, en les débarrassant du même coup de stocks trop importants ou de modèles moins prisés des acheteurs, puis de les revendre un an plus tard sans avoir finalement perdu le moindre euro.
« Certains loueurs sont plus engagés que d'autres. Mais parce qu'ils ont peu accès aux véhicules électriques et hybrides, d'une part, parce que ceux-ci rapportent moins d'argent, d'autre part, la plupart ont donc peu intérêt à défendre l'hybride et l'électrique, hormis pour des questions de marketing et d'image », décrypte Timothée Quellard. Les changements prévus par l'État en matière de bonus écologique, défavorables aux voitures étrangères, ne risquent d'ailleurs pas d'améliorer la situation. Or, en France, une entreprise sur deux fait appel à ce type de service pour financer son parc.
Un investissement compétitif
Quant aux DRH et aux responsables de flottes, ils n'ont pas forcément envie de se compliquer la vie, ni d'imposer un choix réduit de modèle et de couleurs à leurs salariés. « Surtout pour les clients monomarque », souligne Chloé Monthieu, consultante achat et flottes automobiles au sein du cabinet Epsa. Un véritable cercle vicieux… Souvent mise en avant, la question du surcoût des véhicules peu émissifs, environ 30 %, est vite écartée par les spécialistes qui raisonnent en coût total de possession, incluant celui de l'énergie et de l'entretien notamment, mais aussi les bonus écologiques. À condition, bien sûr, de négocier un leasing de longue durée, de rouler suffisamment et de pouvoir recharger lentement la voiture à un prix raisonnable, plutôt que rapidement sur l'autoroute, au prix fort, pour le budget de l'entreprise comme pour l'environnement et l'état de la batterie.
« Un véhicule électrique ne revient pas plus cher si on prend en compte tous ces éléments », certifie Erwan Matte. Mais c'est souvent là que le bât blesse, car le meilleur moyen pour y parvenir reste le branchement au domicile, la nuit, au moment où la demande est la moins forte, en complétant la recharge au travail si nécessaire. Or, même si certaines entreprises proposent de subventionner l'installation de bornes chez leurs salariés, tous ne sont pas forcément en mesure de le faire, faute de parking adapté ou de parking tout court. « Et l'on sait d'expérience que sans possibilité de recharge à domicile, les salariés rouleront avec leur hybride les batteries vides », précise Chloé Monthieu.
Les zones d'ombre de la réglementation
Lorsque c'est possible, le déploiement de telles mesures se heurtent encore aux zones de flou des réglementations : comment rembourser les travaux et la recharge en électricité au salarié sans s'attirer les foudres de l'Urssaf ? Une mesure pourtant incontournable pour convaincre ce dernier de basculer vers une solution plus verte. Et ces opérations peuvent-elles être considérées comme un avantage en nature ? « Quand on questionne les opérateurs, personne ne répond la même chose », souligne Timothée Quellard. Enfin, de nombreux freins cognitifs restent à lever chez les collaborateurs, les principaux intéressés, peu désireux de modifier leurs habitudes en matière de mobilité.
Les perspectives ne s'annoncent toutefois pas aussi sombres qu'on pourrait le penser. Le programme international de démocratisation de l'électromobilité EV100 observe ainsi une rapide évolution du marché, avec un pourcentage de 10 % de l'électrique dans les ventes de voitures neuves en 2022. La question du reporting CSRD, qui suscite beaucoup de questions chez les clients des cabinets de conseil, est également susceptible de faire bouger les lignes. Un alignement des planètes réglementaires, fiscales mais aussi technologiques qui pousse Erwan Matte à l'optimisme. « Les constructeurs font des progrès gigantesques pour accélérer l'efficacité des véhicules automobiles et répondre à l'ensemble des usages de la mobilité », relève-t-il.