Quels financements mobiliser pour la transition écologique à l'heure de la disparition de l'argent magique ? Comment, à quelle hauteur, avec quelles priorités ? C'est à toutes ces questions que devra répondre le tout nouveau Comité du financement de la transition écologique, créé il y a quelques mois par les ministres de l'Économie, de la Transition écologique et de la Transition énergétique, afin de rassembler les acteurs de ces transformations : industriels, banques, fonds d'investissement assurances, pouvoirs publics, scientifiques et association d'élus. En réunissant cet organe pour la première fois, mercredi 12 juillet, en marge de la tenue du Conseil national de la transition écologique (CNTE) par la Première ministre, Élisabeth Borne, Bruno Lemaire a d'emblée planté le décors.
« L'enjeu, c'est de trouver 60 à 70 milliards d'euros par an pour financer cette transition », a-t-il expliqué, en référence au récent rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz pour France Stratégie. Mais accéder aux crédits s'avère aujourd'hui plus compliqué qu'hier, en raison de l'augmentation des taux d'intérêt, des attentes plus fortes de certains fonds, notamment américains, en termes de rentabilité des investissements verts et de l'inquiétude suscitée par l'inflation au sein des ménages. « Dans un temps plus difficile, il faut trouver davantage de financement », résume le ministre.
Des clarifications à apporter
Pour dépasser ces écueils, Bruno Lemaire souhaite d'abord clarifier trois éléments qu'il juge essentiels. Avec l'appui du Trésor public, il compte lancer une évaluation du coût d'abattement de la tonne de carbone, autrement dit du coût d'une intervention visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) rapporté à la tonne de GES évitée. De 50 euros la tonne pour une action sur un site industriel à 1 280 euros pour la prime à la conversion, son chiffrage peut varier beaucoup et les controverses qu'il suscite rendent très difficiles la bonne allocation du capital, remarque-t-il. Ensuite, le ministre se penchera sur la rentabilité, attendue à moyen et à long terme, du capital investi dans la transition, en fonction du degré de maturité des technologies.
Une épargne à mobiliser
Pour ce qui concerne les sources de financement, le ministre réaffirme clairement son opposition à un « ISF vert », pourtant préconisé par le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz cité un peu plus tôt, qui consisterait, selon lui, « à lever plus d'argent public sur le dos du contribuable ». Plutôt que de financer directement les investissements nécessaires, Bruno Lemaire compte utiliser l'agent public comme un levier sur l'argent privé, solution « beaucoup plus efficace » à ses yeux pour aboutir à un « partage » entre financements publics et privés. En s'appuyant sur ce principe, il envisage une mobilisation massive de l'épargne privée longue qui totalise aujourd'hui 3 200 milliards d'euros (Md€). Une proposition largement inspirée du rapport présenté lors de ce comité par Yves Perrier, président de l'Institut de la finance durable (IFD).
Orienter 5 % de cette enveloppe vers la transition permettrait déjà d'atteindre 150 Md€ par an. Un déblocage anticipé du plan d'épargne logement (PEL) pourrait par exemple être autorisé sans perte fiscale pour financer des opérations de rénovation thermique. Avec ses 130 Md€ d'encours, le livret de développement durable et solidaire (LDDS) pourrait lui aussi être fléché plus fortement vers la transition, parallèlement à la création d'un plan d'épargne avenir climat réservé aux jeunes. Enfin, le capital-investissement dans l'assurance-vie et l'épargne serait développé pour soutenir la décarbonation des entreprises. Une clarification devra être faite auprès des épargnants afin de leur permettre de faire des choix plus éclairés avec l'aide d'un personnel bancaire mieux formé.
Des normes et des garanties à ajouter
Autre voie « très prometteuse » pour orienter cette épargne : celle de la norme, gage de rentabilité pour les secteurs concernés, précédée dans les prochains mois d'une hiérarchisation de ces derniers. « À partir du moment où vous interdisez le véhicule thermique à partir de 2035 (…), cela rentabilise mécaniquement les projets d'investissement dans le véhicule électrique puisqu'il n'y a pas d'alternative, souligne le ministre. Cela explique que Stellantis ait investit 30 Md€ dans la filière et Renault 23 Md€ ». Un accompagnement de l'État serait toujours envisagé pour les ménages les plus modestes, mais leur épargne, à supposer qu'elle existe, serait, elle aussi, vraisemblablement sollicitée.
Pour faciliter le développement des projets considérés comme « risqués », parce que la technologie n'est pas encore complètement mâture ou parce que leur ampleur est particulièrement importante, l'État développerait plus largement le champs d'application de sa garantie. Celle-ci pourrait prendre la forme de l'actuelle garantie d'achat à prix fixe d'électricité verte par l'État, par exemple. « On se projette dans un nouveau modèle économique avec de nouveaux montages financiers, analyse une conseillère. Nous allons devoir travailler avec les acteurs privés pour comprendre quels sont les secteurs vers lesquels ils iront en toute confiance, ceux pour lesquels ils ont besoin d'un accompagnement de l'État et ceux sur lesquels ils n'iront jamais. Ce qui est important, c'est d'embarquer toutes les entreprises. » Le levier du crédit d'impôt retient aussi l'attention du ministre, en faveur de l'industrie verte notamment, ainsi que celui de l'écoprêt à taux zéro.
Des indicateurs climat à venir
L'argent ainsi mobilisé devra aller en toute sécurité vers les cibles fixées. Pour s'en assurer, en complément du futur label volontaire triple E (Excellence environnementale européenne), l'État et les investisseurs pourront s'appuyer sur l'indicateur « climat » des entreprises élaboré par la Banque de France, sur la base de la méthodologie ACT de l'Agence de la transition écologique (Ademe). En cours de validation auprès de plus de 500 entreprises-tests, ce mécanisme national et gratuit de notation sera progressivement généralisé à l'ensemble des grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire, puis aux PME. La Banque de France assurera la centralisation de la collecte des données, leur stockage et leur transmission aux partenaires financiers et publics.
« Les besoins sont colossaux, de l'ordre de 4 à 5 % du PIB, pointe un conseiller du ministère de la Transition énergétique. Aucun État ne peut assumer seul cet effort. Il nous appartient de construire les outils les plus efficients. » C'est dans cette pesrpective que travaillera le Comité du financement de la transition écologique, qui se réunira à nouveau à la rentrée.