Après avoir initié une stratégie d'exploitation minière des fonds marins et s'être abstenu du moratoire proposé par l'UICN l'an dernier, le chef de l'État a fait volte-face. Coup de bluff ou prise de conscience face à une mobilisation internationale ?
A-t-il suffit d'un passage à Lisbonne, ce jeudi 30 juin, pour qu'Emmanuel Macron affale les voiles françaises de l'exploitation minière des fonds marins ? À en croire les mots du chef de l'État, peut-être bien. « Nous devons mettre en place un cadre réglementaire pour mettre un terme à l'exploitation minière en haute mer et interdire toute nouvelle activité dangereuse pour les écosystèmes océaniques », a déclaré le président de la République, entouré des requins de l'Oceanarium de Lisbonne dans le cadre de la 2e Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc). Bien qu'agréablement surprenante pour beaucoup d'acteurs de la défense de l'environnement et de la biodiversité, cette prise de position semble surfer sur une récente vague d'actions en sa faveur.
Un rapport du Sénat peu valorisant
L'étau contre l'exploitation minière des océans se resserre et la France ne peut plus rester aux abonnés absents concernant cet enjeu
François Chartier, Greenpeace France
La première brique à cet édifice contestataire est le rapport d'une
mission d'information parlementaire présenté au Sénat moins d'une semaine avant l'ouverture de l'Unoc. Au terme de cinq mois de travaux, les rapporteurs, dont parmi eux le sénateur de la Polynésie française, avancent que se prononcer sur la pertinence d'une exploration, voire d'une exploitation, des grands fonds marins reste actuellement largement prématuré, compte tenu d'un manque cruel de connaissances en la matière.
Ce constat, appelant à la plus grande précaution, est à l'opposé de la volonté politique française. Jusqu'à présent, l'État s'est plutôt attelé à mettre en œuvre sa Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins depuis janvier 2021 ou à s'abstenir de voter, neuf mois plus tard, un moratoire sur l'exploitation minière à l'assemblée des membres de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
La mobilisation politique internationale à Lisbonne
Le vent a cependant continué de tourner en la faveur des fonds marins, dès le début des hostilités à Lisbonne. En collaboration avec le Fonds mondial pour la nature (WWF) et la Coalition pour la conservation des fonds marins (DSCC), les dirigeants des îles Fidji, Samoa et Palaos, dans le Pacifique sud, ont annoncé la constitution d'une nouvelle Alliance des pays pour un moratoire contre l'exploitation minière des océans. La constitution de cette nouvelle coalition internationale intervient une semaine après l'appel du Chili à réaliser un moratoire de quinze ans sur l'élaboration de règles d'exploitation minière en haute mer. « L'élan créé cette semaine à l'Unoc constitue un point de bascule pour les fonds marins, le cœur bleu de notre planète, atteste Sian Owen, directeur de la DSCC. Les mots d'Emmanuel Macron font effectivement écho aux nombreux appels à "appuyer sur pause" pour toute ambition d'exploiter les fonds marins. »
Bientôt une conférence en France ?
À la suite de ses déclarations, Emmanuel Macron a par ailleurs prononcé le souhait de la France de candidater à l'accueil de la troisième édition du rendez-vous international, en compagnie du Costa-Rica, à Marseille en 2025. Pour rappel, une Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc) réunit les dirigeants politiques ainsi que des entreprises, des scientifiques et des associations de plus de 200 pays. Chaque édition s'articule autour d'une co-organisation « entre un pays développé et un pays en développement » sur lesquels se concentre l'ensemble des dialogues : comme le Portugal et le Kenya, en l'occurrence, cette année.
La « déclaration parlementaire mondiale pour un moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins » en est un autre exemple. Initiée par Marie Toussaint et Caroline Roose, eurodéputées françaises (Verts/ALE), et un élu du Vanuatu (archipel au nord de la Nouvelle-Calédonie), trois membres du groupe Action mondiale des parlementaires, elle a été rapidement soutenue par 102 signataires supplémentaires de 37 pays.
« Nous appelons Emmanuel Macron à élaborer une loi interdisant l'exploitation minière dans les eaux françaises ainsi qu'à rejoindre l'alliance des états Fidji, Samoa et Palau, a déclaré Marie Toussaint sur Twitter.
Nous ne pouvons plus nous contenter de mots : il y a urgence, il faut donc agir vraiment. » Et cette urgence a une échéance : l'été 2023.
Un an pour faire pencher la balance
L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), instance onusienne chargée de délivrer des permis d'exploration en haute mer, élabore actuellement un code minier destiné à délivrer et encadrer des autorisations d'exploitation auprès de sociétés industrielles parrainés par un État. Elle cherche à l'instaurer d'ici à juillet 2023, afin de répondre à une demande de la République de Nauru, une île de Micronésie. La pression du temps s'ajoute par ailleurs à l'opacité de l'AIFM, dont les prochaines réunions s'effectueront dans des conditions restreintes. Ce manque de transparence a été signé dans une lettre par la DSCC et 31 autres associations.
Pour devenir véritablement légitime, l'opposition à l'exploitation minière désormais publiquement affichée par la France en la personne d'Emmanuel Macron doit ainsi se concrétiser au niveau du conseil de l'AIFM, où elle siège. « L'étau contre l'exploitation minière des océans se resserre et la France ne peut plus rester aux abonnés absents concernant cet enjeu, souligne François Chartier, chargé de campagne océans de Greenpeace France. La seule position valable pour Emmanuel Macron, dans le prolongement du One Ocean Summit de Brest, est de défendre ce moratoire sur l'exploitation des grands fonds devant l'autorité régulatrice, l'AIFM, [dans les réunions à venir cette année]. Tout autre positionnement ne serait qu'hypocrisie et jeu de manches. »
Greenpeace, comme l'association de protection des océans, Bloom, s'interrogent également sur l'éventuelle mise en place d'un « cadre juridique national nécessaire pour empêcher l'exploitation minière dans les eaux françaises et en particulier dans le Pacifique ». Tant que le chef de l'État n'aura pas précisé sa déclaration en ce sens, « il est aujourd'hui difficile de (lui) donner le moindre crédit », conclut néanmoins Greenpeace.
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Note Télécharger la lettre de la DSCC à l'AIFM (en anglais). Plus d'infosArticle publié le 01 juillet 2022