La bataille citoyenne contre le glyphosate commence sur le plan européen. Plusieurs coalitions ont confirmé le dépôt de requêtes en direction de la Commission européenne à cet égard. Pour rappel, un règlement d'exécution du 28 novembre 2023 renouvèle l'approbation de l'herbicide pour les dix années à venir. Selon les nouvelles règles de la Convention d'Aarhus, réformées en 2021, les organisations citoyennes avaient la possibilité de contester cette décision dans un délai de deux mois. Deux coalitions en particulier en avaient l'intention depuis novembre dernier et c'est maintenant chose faite. Le collectif français Secrets toxiques a déposé sa demande de réexamen interne, ce lundi 22 janvier à Bruxelles, tandis que le Réseau européen d'action contre les pesticides (PAN Europe), comprenant notamment l'ONG Générations futures, a présenté le sien, mercredi 24 janvier. Si la nature des recours est la même, chacun comporte des subtilités spécifiques.
Trois coalitions, quatre recours
La requête présentée par Secrets toxiques soulève « l'illégalité » de la procédure de réévaluation de la molécule, laquelle a ouvert la voie à sa réapprobation. Cette procédure s'est appuyée seulement sur une « formulation représentative », incarnée par le Roundup Bioflow vendu par Bayer (après son rachat de Monsanto), et non sur d'autres formulations pourtant examinées abondamment par la littérature scientifique. En outre, avance Andy Battentier, directeur de campagne de Secrets toxiques, « l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) continue d'extrapoler la toxicité d'un produit à partir des données portant sur ses composés, séparément les uns des autres ». Par ailleurs, le collectif soulève qu'aucun élément dans le rapport public d'évaluation ne permet d'estimer la toxicité à long terme pour la santé humaine ou environnementale.
Si sa cible est la même, l'objet du recours porté par PAN Europe vise plus largement le « biais général de mauvaise prise en compte de la littérature scientifique, valable aussi bien pour le glyphosate que pour d'autres pesticides », soulève François Veillerette, porte-parole de Générations futures, invoquant le principe de précaution. D'après l'expertise indépendante de PAN Europe, « environ 95 % des études de toxicologie et 93 % des études d'écotoxicologie ne sont pas prises en compte dans les évaluations de l'Efsa », en ce qui concerne le glyphosate. Selon les associations du réseau, l'Efsa n'a appuyé son évaluation que sur une infime partie des publications scientifiques, dont « très peu sur la reprotoxicité ou l'impact sur la biodiversité » du produit, ne se basant ainsi que sur des études respectant « des critères réglementaires encore trop attachés aux protocoles élaborés par les industriels il y a plusieurs décennies ».
Une troisième demande de réexamen interne a aussi été envoyée à la Commission européenne depuis la France sous la forme d'un recours gracieux. Elle est portée par une autre coalition – l'association Agir pour l'environnement, le collectif des Maires anti-pesticides et le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) – et menée par l'avocate et ancienne ministre de l'Environnement, Corinne Lepage.
Vers une « super-affaire » ?
Conformément aux règles de la convention d'Aarhus, l'exécutif européen a désormais 16 à 22 semaines pour prendre connaissance et répondre à ces recours. S'il les rejette, les requérants auront alors deux mois pour faire appel devant la CJUE. « Dans cette éventualité, la Cour aura sans doute la volonté de consolider les différents recours envoyés dans une même langue en une seule et même affaire », explique Martin Dermine, directeur de PAN Europe. Sachant, qu'à la connaissance de ce dernier, deux ONG allemandes ont également annoncé, le mercredi 24 janvier, avoir déposé leurs propres recours devant la Commission européenne.
Le glyphosate est, par ailleurs, la cible d'autres attaques juridiques. En mai dernier, le tribunal administratif de Montpellier a par exemple annulé deux autorisations de mise sur le marché concernant l'herbicide à la suite de recours déposés par Générations futures (actuellement en procédure d'appel). Et en décembre, des citoyens accompagnés par Secrets toxiques se sont constitués partie civile dans le cadre d'un recours en nullité à l'encontre de l'herbicide porté devant le parquet de Paris, à la suite d'une précédente plainte classée sans suite quelques mois auparavant.